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RUSSIE (suite)

 

3 mai 2016 - 23 mai 2016

J'ai finalement vite fait le tour de la basilique. Des offices y sont encore célébrés, mais on sent tout de même une ambiance plus touristique dans ces murs que dans les précédentes églises que j'ai pu voir. Au Kremlin bien sûr l'usage est tout autant touristique mais l'aspect nécropole donne une solennité différente aux édifices. Je returne donc à l'extérieur, savourant la vue en hauteur sur la place Rouge par-dessus les épaules des citoyens Minine et Pojarski.   C'est tellement beau et j'ai tant de chance de bénéficier d'un temps aussi ensoleillé !

.Et sous ce soleil éclatant je redescends fouler les pavés de la place Rouge, me retournant régulièrement pour changer de perspective sur les bulbes multicolores et les briques rouges de Basile le Bienheureux. Je marche jusqu'au Musée d'Histoire et passe cette fois sous la porte de droite. C'est d'ailleurs à ses pieds que se trouve le kilomètre zéro à Moscou. Un jeune homme, sans doute professeur, est en train de le montrer à ses jeunes élèves.

Je m'éloigne du flux de touristes qui s'écoule régulièrement en direction de la Place Rouge, pour chercher une station de métro. Car pour aller maintenant au petit Kremlin il va me falloir faire un bout de route. Ismaïlovo se trouve au nord-est de Moscou. Je décide de découvrir une station que je n'ai pas encore visitée : Place de la Révolution. Et j'y découvre de nombreuses statues, et un rituel amusant. La station est magnifique, décorée de marbre brun. En descendant sur le quai soixante-seize statues symbolisant le peuple russe batisseur du monde révolutionnaire accompagnent les voyageurs. On passe ainsi devant un géographe, des sportifs, des soldats, un matelot, une étudiante avec un livre, un ouvrier avec un marteau piqueur, une mère et son enfant, un garde frontière et son chien... d'ailleurs une jeune femme s'arrête une seconde pour caresser le museau du chien ! Céline me l'expliquera plus tard : ce geste porte bonheur, paraît-il. Ce qui explique pourquoi le museau du chien est devenu quasiment blanc, à force d'être caressé par toute la population moscovite. Il n'est pas le seul à porter bonheur. Ailleurs, les gens caresse le pied d'un bébé porté par son père, ou le genou de ce père de famille. Un peu plus loin c'est en honorant le genou d'une femme tenant un fusil qu'on espère s'attirer les faveurs du destin. En tout cas pour moi la station Place de la Révolution est incontestablement une des plus belles de Moscou. 

Je me repère et prends la direction du nord est, direction Ismaïlovo. Je descends à la station Partizanskaia, qui s'avère encore une fois magnifique, et impressionnante avec son grand escalier vers la sortie que l'on gravit sous le regard des partisans sculptés sur un immense mur de marbre. La petite Kremlin est indiqué dès la sortie et il me faut près de quinze minutes de marche pour arriver face au mur d'enceinte. J'aperçois de loin les clochers de cette étrange forteresse folklorique multicolore. Contrairement au grand Kremln, le mur d'enceinte est blanc. Une fois parvenue au pied du site, je reste quelques instants perplexe devant le foisonnement de couleurs, formes et motifs des toits, bulbes et clochers qui s'enchevêtrent dans un fouillis indescriptible. Des losanges rouges et bleus sur fond blanc, rouges ou verts sur fond jaune, des tuiles vertes, des bulbes dorés ou argentés, des murs en stuc ou en bois, des croix, des flèches, des arrondis, des crénelages s'éparpillent un peu partout dans un méli mélo architectural dont le sens ne me saute pas aux yeux. Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Je comprends mieux ce que Céline et Nico voulaient dire par "Dysneyland moscovite". 

Je suppose que d'habitude il y a foule sur cette passerelle et dans les allées du petit Kremlin, mais je découvre vite que je n'y suis pas venue le bon jour. Ne m'étant pas suffisamment renseignée avant, j'ai choisi de venir le jour de la semaine où les boutiques ferment plus tôt ! C'est ballot car l'aspect boutiques à touristes et marché aux puces fait grandement partie du charme et de l'originalité du lieu. Mais ça n'est pas très grave en soi, puisque je n'ai, comme d'habitude, pas l'intention d'acheter quoi que ce soit. Je franchis la passerelle et découvre un univers très particulier, mélange de murs couleur chou à la crème et de façades rustiques en bois ou en pierres, juxtaposant les couleurs les plus flashy (rose, jaune, vert pastel,...). Les constructions sont si grossières que j'ai l'impression de me promener dans une gigantesque construction pour enfants. Des petits drapeaux multicolores flottent au-dessus de ma tête, donnant un petit air de fête. L'endroit est à la fois un marché touristique géant, et un centre d'attraction ou disons culturel. J'y trouve par exemple le musée de la Vodka, ou l'agence du "ministère de la joie" (dommage il est fermé !). J'emprunte les allées qui conduisent aux étals, installés dans des petites boutiques en bois collées les unes aux autres sur de longues rangées étroites. Les matriochkas s'alignent par centaines, ainsi que les bonnets de laine, les chapkas, samovars, stylos, boules à neige, jeux d'échec en bois... Tout ça ne manque pas de charme et me baigne dans un décor coloré rustique  très agréable bien que factice. Ca sent le bois et le vernis dans les allées. Je tombe sur un faux bateau, hissé en hauteur au milieu des isbas qui l'entourent, et face à un moulin de bois. Normalement on peut aussi faire des emplettes dans le bateau, mais pas aujourd'hui : à cette heure-ci la marchandise est déjà presque entièrement emballée. Aux pieds des marches qui conduisent à son bord, un homme vend encore des chapkas en fourrure. Je suis frappée par son visage très plat, ses pommettes mâtes, ses yeux bridés et son corps trapu. Il est jeune, sans doute moins de trente ans, et dégage une vitalité cordiale en m'abordant tranquillement pour m'inciter à jeter un oeil aux vestes de fourrure. Je lui explique que je ne peux pas m'encombrer, et lui demande d'où il est originaire.

Il est né au Kirghizistan. Un collègue l'appelle puis l'aider à porter des paniers en osier dans la vieille traban avec laquelle ils ont apporté leurs marchandises ce matin. Je reste songeuse, en pensant à ce qu'était l'Union soviétique avant : un ensemble de peuples dont certains était vraiment très éloignés les uns des autres. Ce qui doit toujours être le cas pour la Russie d'aujourd'hui car le medemande ce qu'ont en commun un russe d'Irkoutsk et un russe habitant aux frontières de la Biélorussie. De nombreux pays sont concernés par cette problématique d'éloignement de cultures, de traditions, d'idiomes locaux, de climat et de reliefs. Mais face à ce jeune homme je suis frappée par la différence de physionomie entre un russe des zones orientales et un russe des régions nordiques. Et d'une manière générale c'est sur l'identité nationale que je m'interroge, ce qui fait qu'au-delà des différences flagrantes on se sent appartenir à la même entité géo politique. 

Je poursuis ma balade sur les étals du marché, avant d'aller dans la partie un peu plus culturelle. Moi qui adore Dysney, je suis assez fascinée par toutes ces petites maisons typiques folkloriques bien proprettes. C'est tout mignon. Je ne suis pas spécialement tentée par le musée de la vodka. Par contre je m'amuse de lire sur un calendrier affiché sur le mur du Musée toutes les occasions fantaisistes qui sont listées pour trinquer chaque jour. Au cas où on aurait besoin de justification pour partager un verre entre amis. Par curiosité je regarde ce qu'on peut fêter le 22 mai, date de mon anniversaire. Et j'apprends avec un sourire que je suis née le même jour que Conan Doyle. Qu'on se le dise. Juste avant, le 21 mai, on peut commémorer le transfert en 1712 de la capitale de Moscou à Saint Pétersbourg.  J'entre dans quelques petites maisonnettes - la plupart étant des boutiques d'artisanat - et dans une chapelle en bois de forme conique. Tout est aseptisé, c'est beau, kitch, fantaisiste et tout à fait à l'image de ce qu'on s'attend à trouver en Russie. Comme chez Dysney, aucun détail n'est laissé au hasard et partout où l'oeil se pose la matière est sculptée, peinte, recouverte de dorure. Au coeur de la cité artificielle, un arbre à voeux expose ses petits papiers porteurs des rêves des passants. Je me retourne plusieurs fois en quittant le petit Kremlin pour savourer encore différentes perspectives sur cette forteresse pour touristes. En partant, je remarque plusieurs limousines qui stationnent un peu plus loin. Le petit Kremlin accueille très régulièrement des mariages. 

Ma prochaine étape va me permettre d'organiser mon départ de Moscou pour Saint Pétersbourg. Je dois aller à la gare pour me renseigner sur les horaires et tarifs des trains en direction de saint Pétersbourg. J'aimerais prendre un train de nuit pour ne pas perdre de temps, et je ne sais pas dans quelles conditions on peut voyager avec un vélo. Comme Paris, Moscou compte plusieurs gares (neuf !) en fonction du secteur desservi. Je dois me rendre à la gare de Léningrad, une des trois gares qui entourent la place Komsomolskaya, dans le nord de la capitale. En sortant du métro, je me retrouve dans un quartier très animé. La place a beaucoup de charme, très aérée. Traversée par Krasnoprudnaya Ulitsa, qui accueille une circulation dense, elle offre une vue dégagée sur les superbes façades des gares de Iaroslav, Léningrad et Kazan, ainsi que sur l'hôtel Léningrad (une des sept merveilles staliniennes). Je retrouve toute l'activité qui caractérise les grandes gares du monde entier : le mouvement perpétuel des personnes en transit, valise ou sacoche à la main, regard concentré sur la montre ou le téléphone portable, les squats de clochards, les jeux de glisse des groupes de jeunes, les allées. De l'autre côté de l'avenue, je découvre un grand bâtiment blanc crème dont je déchiffre le nom : Univers Mag. Voilà encore un nom qui revient du passé. Combien de fois l'ai-je prononcé en cours de russe, de la sixième à la terminale ! C'est vraiment une sensation particulière de mettre des images réelles sur des concepts ou des représentations qu'on a depuis longtemps. C'est donc ça, Univers Mag, un grand bâtiment moderne aux arcades régulières et aux portes vitrées. Tandis que j'essaie de faire coller cette vision de modernité avec celle que j'en avais sur les bancs de la classe il y a vingt ans, un vieux tram vêtu des couleurs de la Russie (rouge, bleu, blanc) s'approche et s'arrête au milieu de la place, passant devant la façade de la gare de Iaroslav. Cette magnifique gare est le point de départ du mythique Transsibérien. 

Je me retourne pour chercher sur des panneaux ou des affichages les informations qui m'aideront à comprendre où je dois me rendre pour acheter le ticket qui m'ouvrira la voie vers Saint Pétersbourg. Pas évident à première vue... Je commence par faire la queue à un guichet extérieur qui s'avère ne pas être le bon. Avec quelques difficultés je réussis à expliquer de quoi j'ai besoin, et à comprendre les indications de l'employée un peu agacée de perdre du temps avec moi mais tout de même assez aimable. Je dois entrer à l'intérieur de la grande gare de Léningrad. 

Dans le bâtiment je finis par repérer les guichets adéquats et je fais la queue. Lorsqu'arrive mon tour, la jeune femme qui me répond semble perplexe face à ce que je lui demande. On ne doit pas souvent monter dans ce train avec un vélo. Elle sollicite une collègue plus âgée et les deux femmes discutent un moment avant de revenir vers moi. 

Très gentiment, elles me posent un tas de questions pour être bien sûres de ce que je veux faire (qui n'est tout de même pas extraordinaire, en somme : juste mettre mon vélo dans le train... J'ai du mal à saisir ce qui leur semble compliqué dans tout ça). Puis elles cherchent sur l'ordinateur les horaires des trains dans lesquels je suis autorisée à monter. Il n'y a pas beaucoup de choix, et je prends un billet pour partir à 22h30. J'arriverai à sept heures moins le quart à Saint Pétersbourg.  Pour le vélo il faut prendre un billet séparé. Nous échangeons moitié en russe et moitié en anglais, je ne suis pas bien certaine d'avoir tout compris sur les conditions de ce voyage mais j'ai mon sésame pour partir dans la ville de Pierre le Grand; tout va bien. Je remercie chaleureusement les deux employées, qui ont bien volontiers cherché à faire au mieux dans des circonstances apparemment exceptionnelles pour elles.

Mon billet en poche, je me sens plus légère : la suite du parcours se dessine, la date de mon départ est fixée, voilà une étape franchie. Il ne me reste finalement pas beaucoup de temps à Moscou et j'ai bien l'intention d'en profiter. Il est clair que cette capitale est tentaculaire et qu'il est impossible d'en faire le tour en si peu de jours. Mais une chose est sûre : je reviendrai. En attendant, je retourne sur le parvis de la gare pour aller admirer les façades des gares qui sont vraiment très belles. 

 

En rentrant à la maison, je retrouve Céline et les enfants dans le parc. Il me reste trois journées à passer à Moscou. Céline a du temps pour venir se balader avec moi les deux prochains jours, et samedi, jour de mon départ, Nicolas ne travaille pas donc nous aurons une pleine journée pour en profiter tous ensemble. 

Au musee de la vodka, on vous expliquera qu il y a tous les jours une bonne occasion pour boire un coup. Par exemple le 22 mai, pour ceux qui n y auraient pas pense, et bien on peut feter la naissance de Conan Doyle !

Je pars donc avec Céline le jeudi en milieu de matinée, direction le nord de Moscou. Nous allons visiter le Musée du goulag. Nous descendons à la station Dostoïevskaya et tounrons un peu dans le quartier le temps que Céline se remémore le trajet. Tout en marchant, elle me parle de l'occasion exceptionnelle qu'elle a eue avec Nicolas de pouvoir visiter, la première année de leur installation, le bunker de Staline. Du moins un des bunkers. Il y aurait de nombreux bunkers sous la terre à Moscou, relié par un système de souterrain très développé, témoignage du climat de crainte perpétuelle qui régnait à l'époque. Les visites ne se font que sur rendez-vous, avec beaucoup de patience. Céline garde un souvenir impressionné de cette visite. Ce bunker-là se trouve sous un stade. Un tunnel de 17 kms le relie au Kremlin. Staline y aurait vécu pendant un mois en 1941.

Nous faisons un petit détour avant de revenir vers la route du Musée. Non loin du complexe olympique se dresse la grande mosquée avec ses belles coupoles bleues et dorées. Elle est splendide et très en valeur au croisement de larges avenues. Nous nous éloignons des avenues et pénétrons dans le quartier pour arriver dans la rue Samotechny Perulok. Il n'y a pas de queue à la porte du Musée. La porte est banale et l'écriteau passerait presque inaperçu. Nous sommes les seules visiteuses devant le guichet. Il règne une atmosphère très calme dès qu'on passe la porte. Le même silence que celui qui imprégne le Musée de la guerre à Saïgon, plus présent encore car on traverse vraiment les pièces dans la quasi solitude. 

Le parcours me fait remonter le temps de plusieurs façons. Avec des cartes représentant l'implantation des camps et leur développement en fonction des grands chantiers entrepris par Staline. Avec des articles de presse de l'époque. Avec des vitrines exposant les objets personnels et les échanges de courrier des prisonniers (un des déportés a écrit à Staline pour solliciter la révision de son procès...) Avec des reconstitutions. Dans une grande pièce sombre, on peut se faire une idée du trou de souris dans lequel vivaient les exilés : des constructions métalliques ou un marquage au sol dessinent les contours des cellules à taille réelle. Plusieurs portes sont exposées, ainsi que des lits, le tout dans une atmosphère glauque à souhait, appesantie par un silence de recueillement. Les explications sont données en russe ou en anglais. Nous croisons trois ou quatre autres visiteurs, les trois quarts du temps nous sommes seules devant tous ces objets venus du passé, ces traces de la vie brisée de centaines de milliers de gens. En fin de parcours, des biographies ou récits en russe sont exposés. Je prends en photo un livre qui parle de Soljénitsyne, en pensant à papa.qui aurait certainement aimé faire cette visite. 

Même si je suis passée à côté de certaines explications puisque je ne comprends pas tout, ce pélerinage en union soviétique période stalinienne m'émeut et me met mal à l'aise. Tant de vies gâchées... Voici encore un moment où je réalise que j'ai de la chance d'être née là où je suis née et à une époque bien plus paisible, malgré tout ce qu'on peut reprocher à notre société actuelle. Nous passons bien deux bonnes heures dans le Musée, à lire tout ce que nous pouvons, et à commenter dans un murmure ces témoignages qui ne suffisent pas à nous faire prendre conscience de la réalité des persécutions et des privations de toute individualité qu'ont subi les soviétiques pendant ces années noires. Une horreur de plus à mettre au palmarès glorieux de l'être humain.

Lorsque nous sortons à l'air libre, nous apprécions le retour à l'agitation de la rue et la paisible atmosphère printanière qui règne dans Moscou. Notre prochaine étape est un site que je tiens beaucoup à voir, même s'il ne représente pas nécessairement un grand intérêt pour d'autres touristes. Je veux absolument voir l'université de Moscou ! Celle dont la photo figurait sur mon tout premier livre de russe en 6è, et qui me fascinait. Celle où j'avais projeté, à l'âge de 18 ans, d'aller passer six mois d'étude après le bac. 

Apprendre cette langue me plaisait, j'avais déjà envie de partir et l'aventure des études à l'étranger me tentait beaucoup même si elle se teintait d'angoisse à l'idée de quitter le foyer familial pour la première fois et d'affronter la vraie vie toute seule. Quitte à avoir appris une langue originale, je voulais me perfectionner pour en faire un éventuel atout pour mon avenir professionnel. Et puis la Russie - l'Union soviétique, à l'époque - me fascinait. J'avais donc commencé des recherches pour savoir comment s'inscrire à l'université de Moscou, 

J'avais aussi besoin et envie de partir loin pour fuir une réalité de mon identité que je n'étais pas prête à regarder en face, je devais m'éloigner de mes repères et des émotions douloureuses qui allaient avec. 

Mais je ne suis jamais partie à Moscou. Sans le voir venir, cette année post-bac à été le début d'une longue descente aux enfers dont j'ai eu un mal fou à me relever et qui a reporté mes projets de voyage pour vingt ans. Ma relation avec Grégory a changé cette année-là. Au lieu d'aller au bout de mon projet d'étude en Russie, j'ai choisi de rester en France et de partir faire du bénévolat pendant un an dans une radio chrétienne. Trop heureuse d'échapper à une identité qui me faisait horreur, j'ai cherché par tous les moyens à me rassurer auprès de Grégory et mis de côté les rêves qui me portaient depuis toujours. J'ai tout de même adoré faire de l'animation et des reportages radio à Epinal, voilà une expérience que je ne regrette pas et qui m'aura passionnée pendant quelques temps. Mais de retour à Paris, et après avoir adopté les rêves d'un autre en essayant de me projeter dans une vie d'étudiante à Montréal qui n'a pas pu se réaliser non plus, le quotidien endetté a étouffé dans l'oeuf les possibilités de voyages pour longtemps. 

C'est donc un besoin irrationnel qui me pousse à me rendre enfin aux pieds de l'université de Moscou, à la voir de mes propres yeux et à tenter d'imaginer la vie que j'aurais eue si je ne m'étais pas laissée aveugler par ma peur et par le pouvoir de manipulation d'un autre. 

Nous retournons vers le métro. La station Université est à l'opposé de Dostoïevskaya. Nous en profitons pour prendre la circulaire et admirer encore au passage les magnifiques stations du métro moscovite. En remontant à la surface, nous nous retrouvons une nouvelle fois au bord d'une immense avenue, Vernadskovo Prospekt, qui ouvre une large perspective sud-ouest/nord-est. Je suis vraiment impressionnée par ces énormes voies. Il y a toujours beaucoup de circulation et les traversées se font souvent en souterrain, mais je dois reconnaître que c'est très agréable et reposant pour les yeux d'avoir tout cet espace ouvert autour de soi. Le carrefour avec Lomonovsky Prospect est tout simplement gigantesque. Le chapiteau de l'école du cirque de Moscou se dresse à l'un des angles. Céline m'entraîne vers le parc immense qui entoure l'université et qui pour l'instant la cache à mes yeux. Alors voilà ce qu'aurait été mon cadre de vie, si j'étais venue étudier ici ? Vu du parc, ça donne envie, tout cet espace et cette nature inspirent... Et lorsqu'enfin le bâtiment apparaît au détour d'un chemin de terre, je le trouve aussi magnifique que je l'imaginais. Enorme,élégant, beau. Allez savoir pourquoi je suis fascinée et envieuse, alors que la visite de la Sorbonne m'avait rebutée au possible et écrasée par le poids de son prestige... Sans doute parce que la Russie c'est loin, et que personne n'aurait rien attendu d'une étudiante en russe à l'université de Moscou, alors que mes professeurs français de l'époque nous présentait la Sorbonne comme le saint des saints de l'élite intellectuelle de la France... Sous un soleil lumineux, la tour de l'université se dresse dans un ciel bleu éblouissant et je reste un long moment à prendre des photos et à scrupter les détails de la décoration du bâtiment. Je la vois enfin pour de vrai, et je suis heureuse comme tout. En plus le site est superbe, tout est fait pour la mettre en valeur. Nous contournons l'université pour faire face au parterre de tulipes qui s'étend à ses pieds, comme sur la photo de mon livre de 6è. Céline me réserve une petite surprise. Tout au bout du jardin, une large esplanade débouche sur un point de vue en hauteur sur Moscou que je ne soupçonnais pas. Nous approchons du belvédère : l'immensité de la capitale se déploie sous nos pieds, c'est magnifique ! Céline me donne quelques repères car mon sens de l'orientation me confond devant cette gigantesque toile d'araignée citadine. L'avantage de l'architecture fantasque du Kremlin et de la Cathédrale de Basile le Bienheureux, c'est qu'on les voit facilement au milieu des toits et de l'enchevêtrement de couleurs. Je me rends compte également de l'étendue incroyable du parc Gorki. Nous essayons de repérer les six merveilles de Moscou.... 

Tout en bas, à nos pieds, la Moskva décrit une courbe qui enserre l'enceinte sportive du complexe olympique de Loujniki, et sur la gauche, au bord du fleuve, le couvent de Novodievitchi - que Céline me recommande de visiter. Je l'ajoute à mon programme du lendemain. 

Nous prenons un chemin dallé qui descend vers le stade olympique. La balade est super sympa. Une fois de plus, je trouve que décidément, comparée à d'autres villes du monde, Paris n'a que peu de jardins et qu'on n'a jamais l'occasion de s'y sentir vraiment en nature. Barcelone, Rome, New York, Madrid, Moscou, Rio paraît-il, offre l'occasion de s'échapper un peu de la densité de la ville. Et ça fait un bien fou. Le chemin mène à une rampe de saut à ski. Ensuite nous entrons dans des chemins forestiers, si dense que nous n'hésitons pas à nous faufiler dans les fourrés pour une pause toilette discrète ! 

Arrivées au bord de l'eau, nous avons une belle vue sur l'enceinte olympique. Qu'il doit faire bon se promener sur les rives à la nuit tombée... On voit du vert partout, avec cette douveur dans l'air l'endroit semble vraiment très serein.

Céline me propose de me laisser profiter de la fin d'après-midi pendant qu'elle retourne à la maison où elle a des choses à faire et doit récupérer Maylis. Nous marchons ensemble vers la station de métro la plus proche, au pied d'un pont qui enjambe la Moskva pour rejoindre le stade. Compte tenu de l'heure, je décide de revenir vers le centre de la capitale. Tandis que Céline rentre chez elle, je retourne vers le Kremlin pour marcher encore longtemps dans les ruelles du centre ville et me régaler de l'ambiance estivale.  Je ne rentre pas très tard cet après-midi là, ce qui me donne l'occasion de jouer un long moment avec les enfants, qui sont vraiment adorables. Je tente une nouvelle fois de traduire le beau livre de contes d'Hugo, mais je n'entre pas dans toutes les nuances de l'histoire ! Heureusement personne ne peut vérifier si je dis des bêtises ou non... Céline a décidé de libérer la nounou de Maylis demain. Nous irons donc nous promener ensemble toutes les trois le matin. 

Et c'est le parc Gorki que nous choisissons pour commencer la journée de vendredi. Pour Maylis c'est parfait, elle aura l'occasion de gambader pendant que nous discutons à bâtons rompus avec sa mère. Nous descendons en métro près de la cathédrale du Christ Sauveur. Nous empruntons le pont piéton au-dessus de la Moskva que Céline adore, pour passer sur la rive de l'île Bolotny. Céline attire mon attention sur un bâtiment indsutriel auquel je n'avais pas fait attention. Il s'agit d'Octobre Rouge, qui pour moi était le titre d'un film mais qui s'avère aussi être le nom d'une ancienne chocolaterie créée en 1687. L'usine a été transformée en espace culturel et artistique, nouveau spot très prisé par la jeunesse underground moscovite. Elle accueille des galéristes, designers, des expositions. En ligne de mire, la statue disproportionnée de Pierre le Grand s'avance à la pointe de l'île. Je ne suis vraiment pas fan de cette statue qui semble sculptée pour orner le parc Dysneyland. Mais il faut reconnaître qu'elle est imposante, et encore plus lorsqu'on passe vraiment juste à sa hauteur - ce que nous ferons un peu plus tard pour nous rendre dans le parc Gorki. 

J'avais une représentation du parc Gorki inspirée d'un film à suspens. L'action se passait en hiver, j'avais donc vu le parc sous la neige et ne savais pas trop à quoi il ressemblait, paré de ses couleurs d'été. Je découvre de larges allées traversant les zones de pelouse accueillant des espaces de détente mais également d'exposition. Parmi celles-ci, un cimetierre de statues... J'aperçois un buste de Lénine, puis un autre, puis encore un autre, et puis des dizaines de Lénine ! Il n'y a pas que lui. Nous sommes dans le cimetierre des statues déboulonnées de l'ère soviétique. On y trouve plus de sept cents statues, allant de Lénine, donc, à Gorki, Dzerjinski, Marx, Staline, la faucille et le marteau, des panneaux glorifiant l'homme soviétique dans toute sa gloire. Et au milieu, des scènes ou des représentations abstraites et plus modernes. Ce musée à ciel ouvert est installé non loin de la galerie Tretiakov, grand bloc de béton rectangulaire au bord de la Moskva. C'est tout de même très particulier, et assez oppressant, en fait, ces monumentales représentations allégoriques des idéaux patriotiques. Ou bien est-ce que ça me fait cet effet-là parce que je sais à quelle période noire ça renvoie ? Le pouvoir des propagandes est tel qu'on finit par ne plus savoir à quels stimuli répond le cerveau bien apprivoisé...

Une porte monumentale ouvre l'espace devant nous. De grands parterres de tulipes de toutes les couleurs enchantent Maylis. D'énormes coussins sont déployés sur l'herbe, pour le plus grand plaisir des jeunes moscovites qui s'y installent à plusieurs pour discuter, dormir ou lire au soleil. Le coin est convivial et les tables de bois installées devant de petits stands de nourriture nous donnent subitement faim. Nous restons un bon petit moment sur ces bancs à grignoter des pommes de terre recouvertes d'une petite sauce relevée. Maylis court vers les jeux pour enfants tandis que Céline et moi refaisons le monde. 

Je ne lui cache pas la forte impression que me fait leur couple, autant pour leur façon d'oser la vie à l'étranger - et pas dans les conditions les plus faciles ou les plus enviées - que pour l'attention qu'ils portent à leurs envies et rêves communs ou individuels, et le mode projet qu'ils ont reproduit dans leur vie personnelle pour réaliser tout ce qui leur tient à coeur. J'aurais l'occasion de le redire à Céline lorsque nous nous croiserons deux ans plus tard lors de leur transit parisien vers leur nouvelle vie à Stockholm : ces quelques jours chez eux m'ont durablement marquée et inspirée. 

En reprenant notre balade, nous tombons sur une fan zone installée dans le parc, avec gros poufs et écran géant. Ca m'a échappé, mais la Russie accueille depuis le 6 mai le championnat du monde de hockey sur glace. Mince alors, j'aimerais bien aller voir un match dans une fan zone, pour profiter un peu de l'ambiance. Surtout que la Russie est une bonne équipe dans ce sport, ce qui promet un chouette spectacle dans les tribunes. 

Sur la rive opposée de la Moskva se dresse l'imposant et austère Ministère de la Défense. Sur fond de ciel bleu, le bâtiment se détache avec beaucoup d'élégance. Mais là encore, quelle démesure ! C'est fou, ces constructions provoquent tout à la fois la fascination et un sentiment d'écrasement. Mais comme ces bords de Moskva sont agréables et propices aux promenades ! Larges, découverts, bordés de verdure... La ville regorge de ces lieux d'inspiration et de respiration, idéaux pour échapper à la densité de la population. Il faudrait que je revienne en hiver pour sentir quelle atmosphère se dégage de la capitale russe sous la neige. Atmosphère de magie ou atmosphère de désolation ?... En tout cas les perspectives que l'on a depuis les rives du fleuve sont juste superbes.  

Maylis donne des signes de fatigue. Céline ne va pas tarder à la ramener à la maison. Quant à moi, je vais prendre la direction du Monastère de Novodievitchi. A la moitié du parc Gorki - qui mériterait tout une journée de promenade, tant il est grand, nous bifurquons vers la station de métro Oktiabrskaya. Nous passons près de Louna Parc, et remontons jusqu'à Leninsky Prospect. Sur la grande place d'Octobre, une énième statue sur pied de Lénine trône sur un piédestal à une dizaine de mètres du sol. 

Je me retrouve seule en direction du Monastère. Je choisis de descendre à la station Sportivnaya, que je découvre sans surprise décorée à la gloire du sport russe. Dans des vitrines à l'intérieur de la station je découvre les tenues des sportifs de la délégation olympique, puisque les Jeux de Rio ont maintenant lieu dans 3 mois. Me voilà à nouveau sur l'île Bolotny, et dès ma sortie du métro je me retrouve aux abords d'un parc. Je dois le longer un moment avant de couper vers l'enceinte blanche qui entoure le couvent. Je passe l'entrée surmontée de coupoles dorées, prends mon ticket et pars à la découverte de ce lieu qui accueillit les appartements de plusieurs femmes aristocrates, comme l'épouse du tsar Fedor 1er, qui vécut ici avec son frère Boris Godounov, et la demi soeur de Pierre le Grand et la première femme de Pierre le Grand. 

Le monastère est un havre de paix. Une grande place est donnée à la végétation, les jardins se déploient au coeur de l'enceinte, et comme il y a peu de monde en visite aujourd'hui il règne vraiment une atmosphère très paisible. Les bâtiments du monastère sont en briques rouges ornées de stuc blanc. Entre la tour et le bâtiment principal se dresse la cathédrale de Smolensk, avec ses cinq bulbes dorés et gris. Je visite les appartements de la régente Sophie, dans lesquels sont  exposés des objets d'époque, et passe un long moment dans le bâtiment principal à regarder les icônes conservées et pieusement entretenues par les gardiennes du monastère. Dehors, au détour des petits chemins qui traversent les jardins, je m'arrête sur les tombes disséminées un peu partout. Mais je me dirige bientôt vers le grand cimetière du monastère, dans lequel Céline m'a dit que de nombreuses personnalités russes sont inhumées. Il me faut sortir de l'enceinte et entrer par le portail dédié après avoir longé un long mur de pierres. Le cimetière est immense. Je trouve un plan mais j'aurais les pires difficultés pour m'orienter. Qu'à cela ne tienne, j'empreinte une allée et me laisse emporter par l'inspiration, interpelée toutes les trente secondes par des tombes toutes plus originales les unes que les autres. Très souvent, une sculpture grandeur réelle surmonte la pierre tombale. La flânerie dans ces allées ombragées est aussi agréable qu'au cimetière du Père Lachaise, et historiquement tout aussi intéressante. Je passe ainsi devant les tombes de Boris Eltsine (un énorme drapeau russe de pierre semblant onduler au moment d'être posé sur le sol), Boris Brounov (acteur et metteur en scène), Youri Nikouline (acteur et clown qui donnera son nom au cirque Nikouline de Moscou), Sergueï Prokofiev, Rostropovitch, Chostakovitch, Raïssa Gorbatchev, Kouznetsov, Tchekhov, Gogol, Tupolev, Chevtchenko, Nikita Khrouchtchev.

Ca me fait tout drôle de me retrouver au pied des dépouilles de ces personnages dont j'entendais prononcer les noms en cours d'histoire, en cours à l'INALCO, à la télé. Certaines tombes de personnes dont les noms ne m'évoquent rien sont vraiment belles, finement sculptées. Evidemment les membres de l'armée sont particulièrement vénérés, mais je trouve aussi des tombes monumentales en souvenir des grandes ballerines russes et autres artistes.

Tout à mon plaisir de parcourir l'histoire dans ces allées ensoleillée, je n'ai pas vu passer l'heure. Je quitte bientôt le monastère et prends le chemin du retour pour aller passer ma dernière soirée posée avec Nicolas, Céline et les enfants. Nous avons prévu de passer une grande partie de la journée ensemble (jusqu'à l'heure de la sieste des enfants), avant de nous dire au revoir en fin de journée puisque je prends un train de nuit pour Saint Petersbourg.

En rentrant ce soir-là je savoure ce rare plaisir que je n'aurai pas souvent connu pendant mon voyage, l'apéro en famille. Cette semaine aura été bien courte, elle a filé si vite avec des journées bien remplies. Je sens déjà que cette étape moscovite est déterminante et bouleverse des choses au plus profond de moi. Moscou est arrivée sur mon parcours comme le point culminant de mon envie d'aller voir ailleurs. Une destination qui m'appelait depuis des années, et que je viens d'atteindre. Certes ce n'est pas la seule, et de nombreuses destinations m'appellent encore. Mais depuis quelques mois et particulièrement quelques semaines, Moscou est aussi devenue le point à partir duquel je vais entamer mon retour. Un heureux hasard m'a conduite chez Céline et Nicolas. Et alors que se dessine en moi l'envie de rentrer poser mes valises et de me lancer le défi de réussir à me poser quelque part, ce couple, par leur personnalités et leur manière de fonctionner, de se projeter dans l'avenir et de planifier la réalisation de leurs rêves personnels et communs, m'inspire énormément.

Alors que les enfants sont couchés et que nous discutons de mon retour sur la route, j'évoque mes freins défectueux. Nicolas va chercher mon vélo, le place au centre du salon, et va chercher sa trousse à outils. Le voilà qui se lance dans le rééquilibrage de mes câbles de frein. Tout en le regardant faire, nous continuons à échanger sur nos impressions à propos de la Russie et de Moscou. Une étape importante se joue également pour Nicolas et Céline cette année. Ils souhaitent préparer la prochaine étape de leur vie d'expatriés. Ils ne sont pas complètement maîtres de leur destin, car le départ de Nicolas est conditionné par l'arrivée d'un remplaçant qu'il faut encore trouver. Ils espèrent tous les deux pouvoir quitter Moscou dans l'année et nous trinquons à ce projet.

Nicolas relève tout à coup la tête avec un petit sourire satisfait : et voilà, les freins sont fonctionnels ! Epatée, je constate en effet que désormais mon vélo freine comme il faut. Formidable ! Me voilà tout à fait rassurée pour la reprise du voyage !

Ce soir-là, je me glisse sous la couette avec la pleine conscience que je passe peut-être ma dernière nuit vraiment douillette et confortable, dans un vrai lit et une vraie chambre, avant mon retour à Paris. Demain, je bouclerai une fois de plus mes sacoches. En une semaine on prend vite l'habitude de ne pas avoir à faire et défaire sa valise systématiquement. J'ai à la fois hâte de reprendre la route, et j'ai un pincement au coeur en ressentant la douceur des draps et la souplesse du matelas qui épouse les formes de mon corps bien mieux que le sol dur de la forêt ou des chemins de terre sur lesquels j'ai pu élire domicile depuis quelques mois.

Pour notre dernière journée ensemble, Nicolas et Céline m'emmènent au VDNKH, un immense parc au nord de Moscou. Et c'est une excellente idée  car je n'aurais pas pensé à monter si haut au nord et la balade vaut vraiment le détour ! Le parc est gigantesque et constitue un lieu de détente très appréciable, comme Moscou a su les aménager pour aérer sa métropole. Céline me dit que les moscovites adorent venir s'y promener, et je les comprends. Moins vert que le parc Gorki, il offre de nombreuses animations, possibilités de visite, et de nombreuses pistes pour tous les moyens de transport à roue. D'ailleurs les enfants ont pris leurs trottinettes et Nicolas sa planche de skate.

A notre arrivée, une belle surprise m'attend : A l'entrée du parc se dresse une sculpture de 25m de haut posée sur un pilier de béton lui-même couvrant le toit d'un pavillon. L'Ouvrier et la Kolkhozienne, monument réalisé par Véra Moukhina en 1937, brandissent dans un même élan l'un le marteau, l'autre la faucille. Cette oeuvre paraît tout droit sortie d'un livre d'histoire. Voici le symbole du réalisme soviétique, deux figures majeures du prolétariat représentés dans un mouvement de puissance et d'enthousiasme auquel plus personne ne croit. Je reste fascinée pendant quelques instants devant ce témoignage du passé. Puis je me joins à la famille Berthon pour franchir la porte monumentale du parc. A quelques mètres sur la droite, une grande roue permet de monter dans les airs pour admirer le paysage à quelques dizaines de mètres de hauteur. A la suite de Nico sur sa planche et des enfants sur leurs trottinettes, nous passons sous l'arc de triomphe et débouchons sur une vaste allée de bitume bordée de plates-bandes vertes et fleuries. En face de nous, au bout de l'allée, un monument s'élève à la gloire de Lénine. En hiver, cette longue bande de bitume gèle et se transforme en patinoire géante, qui s'achève aux pieds de Lénine. Le monument (une statue de Lénine devant un édifice blanc en demi cercle) est bâti sur un modèle qui me rappelle les sept soeurs. L'étoile rouge, dorée pour l'occasion, trône au sommet du monument. Comme toujours le regard profond de Lénine m'impressionne. Je me demande ce que dégageait le personnage, en vrai. En statue, en tout cas, son regard et sa stature en imposent.

En même temps tout dans ce parc glorifiant le génie et la croissance socialistes est fait pour en imposer. Nous contournons le monument et nous engageons dans une des allées ombragées qui offrent autant de pistes de promenades conduisant aux différents pavillons et zones d'animation. Un peu partout, de magnifiques parterres de fleurs créent un décor somptueux tout autour de nous, un régal pour les yeux. Maylis s'approche des énormes tulipes dont certaines variétés présentent des couleurs que j'ai rarement vues. Très régulièrement des bancs et sièges individuels fermob invitent les passants à s'arrêter et savourer la douceur de l'air et le parfum des fleurs. Tandis qu'avec Céline nous discutons à bâtons rompus tout en accompagnant Maylis dans sa découverte des fleurs, Nicolas initie son fils au skate. Nous nous retrouvons derrière le monument et sommes attirés par les tours de communication de la Robot Station, qui comme son nom l'indique invite les visiteurs à venir découvrir dans le pavillon correspondant les merveilles de la robotique. Le parc regorge de pavillons plus beaux et plus imposant les uns que les autres. Chacun apporte sa pierre à l'édifice des richesses et réussites de l'union des républiques de l'ancienne union soviétique.

La Carélie, l'Arménie, la Géorgie, le Kazakhstan... je lis les noms sculptés sur les murs des édifices, couverts de mosaïques, peintures et reliefs représentant des scènes de vie et des symboles des productions artisanales, industrielles et agricoles mais aussi des costumes de chaque république. Non loin du pavillon nucléaire, dans le prolongement de l'allée centrale, la Fontaine de l'amitié des peuples réunit 16 personnages féminines représentant chacune des républiques de l'URSS, 16 jeunes filles en habits traditionnels. Au centre de la Fontaine, l'eau jaillit d'un immense faisceau composé des principales cultures de l'époque stalinienne : blé, tournesol, chanvre. La fontaine occupe une place centrale, depuis ce point névralgique on a accès à de nombreux pavillons tout autour. Pavillon des arts, Musée d'histoire, Musée d'histoire. Encore plus loin, on retrouve la même configuration autour de la Fontaine de la Pierre Fleur, qui côtoie le centre du Cosmos. Nous n'entrons dans aucun des bâtiments - c'est trop agréable d'être dehors et de profiter de la promenade, et puis ça prendrait des heures de tout voir, et les enfants fatigueraient bien vite. Mais même sans rien voir de l'intérieur, c'est déjà un grand plaisir de découvrir une toute petite partie de cet immense parc très bien aménagé et offrant tant de témoignages d'une certaine époque. Les fontaines sont sublimes, et je me promets à moi-même de revenir en hiver, un jour, pour découvrir ces espaces immenses recouverts d'un manteau blanc et chausser des patins à glace le temps d'une chorégraphie au milieu de ce décor assez féérique...

 

Une troisième place circulaire nous attend derrière le pavillon du Cosmos : c'est l'Arena Space. Une fusée dressée vers le ciel semble prête au lancement, tandis qu'au sol un avion dans le genre boeing en plus petit et un hélicoptère s'offrent aux regards épatés des passants. Hugo file voir les engins au plus près. Juste derrière les avions j'aperçois le grand bâtiment de verre qui accueille l'aquarium de Moscou. Après avoir déjà bien marché, nous nous posons en terrasse d'un petit resto pour un déjeuner russe au resto. Après quoi, Céline et Nicolas annoncent le repli vers la maison pour la sieste des enfants tandis que je vais poursuivre ma balade seule dans Moscou. Je reviens avec eux vers l'arc de triomphe et les raccompagne à la voiture. En chemin nous passons devant le musée de l'astronautique. L'entrée est immanquable, signalée par le monument aux conquérants de l'espace. L'édifice de pierre donne une très belle représentation du décollage d'une fusée selon une courbe qui prend très vite un virage ascendant pour s'envoler dans le ciel. C'est très bien fait.

Je fais de grands coucous à tout le monde tandis que la voiture repart vers la maison. Me voilà à nouveau toute seule, pour quelques heures de promenade en tête à tête avec Moscou. Mes derniers moments dans la capitale avant de reprendre mon vélo. Mes sacoches sont quasiment prêtes chez Céline et Nico. Il me reste quelques vêtements à récupérer sur le sèche linge, et il serait bon que je charge un peu les batteries de mon téléphone et de l'appareil photo. Mais sinon, tout est fin près pour le retour en selle. Je n'ai plus qu'à profiter de l'après-midi pour dialoguer encore un peu avec la capitale russe, qui alimentait tant de fantasmes et vivaient à travers tant de représentations littéraires, musicales ou cinématographiques dans mon esprit depuis si longtemps.

Il me reste mille choses à voir, tant de choses encore ignorées et tant d'autres que je n'ai qu'entr'aperçues. Je ne me sens pas frustrée, je savais depuis le début que les journées seraient trop courtes pour avoir une expérience exhaustive de Moscou. Je ne me précipite donc pas pour courir voir quelque chose que j'aurais loupé jusqu'ici.

Au contraire, j'ai plutôt envie de revenir sur mes pas et d'imprimer dans ma mémoire des images et des sensations liées à des endroits que j'ai déjà parcourus. Je vais prendre le métro pour descendre à Tourgenievskaya et redescendre par Miasnitskaya oulitsa jusqu'à la Loubianka. Je reste encore un long moment à photographier sous différents angles cette prison de triste mémoire. Comment un bâtiment aussi lugubre peut-il paraître aussi.... beau ? J'essaie de voir quelque chose à travers les vitres des fenêtres, mais je n'aperçois pas la moindre ombre. Finalement je lui tourne le dos à ce fantôme du passé pour avancer à pas légers dans la très moderne et très commerciale rue Nikolskaya. Bijouteries de luxe, grandes enseignes de la mode, cafés de grandes classes, hôtels X étoiles et musées défilent sous mes yeux mais je ne m'attarde pas sur leurs promesses, charmée par les couleurs des façades, les formes des pierres et des pavés, tout l'aspect parfaitement poli et fignolé des moindres détails d'une rue qui tout autant que le Vdnkh - bien qu'à une autre époque - vante la gloire et la puissance de la Russie. Tandis que je descends lentement vers le coeur la capitale, de petits pavillons de bois apparaissent au centre de la rue piétonne. Je pourrais acheter une foultitude de souvenirs de plus ou moins bon goût. Heureusement que je n'ai pas le budget pour ça ni la place dans mes sacoches ! Je pourrais aussi me poser quelques minutes sur une table en bois pour savourer une boisson fraîche au soleil. Mais les bulbes des églises de la Place Rouge m'appellent pour un dernier tour de piste sous un soleil éclatant. Le mausolée de Lénine est presque tout à fait dégagé et s'offre à nouveau aux regards des touristes. On ne peut toujours pas avoir accès à l'intérieur, même si les gardiens du mausolée sont de retour au pied du monument. Je m'avance au centre de la Place, pour fixer dans ma mémoire ce moment magique et intense dans mon voyage : j'ai enfin honoré mon rendez-vous de longue date à Moscou ! C'est quand même fou... Je reviendrai, c'est sûr. J'ai encore tant de choses à voir et à vivre ici...

Enfin, je prends la direction du Musée d'histoire et quitte la Place pour rejoindre la statue équestre du Maréchal Joukov. De loin, j'aperçois vers la place de la Révolution des statues et constructions qui me semblent avoir été récemment installées. En m'approchant je découvre une pirogue en bois et trois statues de guerriers en armure, arc, épées et boucliers en mains, montés sur de grands chevaux.

La petite troupe d'éclaireurs attire du monde, les passants - notamment les enfants - se pressent pour les admirer de près. Sur la gauche, je retrouve la rue Bolchaya Dmitrovka, que nous avons empruntée avec Céline le 9 mai et dans laquelle nous avons déjeuner en terrasse. Je flâne à nouveau sous les arbres enturbannés de rose et de blanc, tout est d'une beauté artificielle. Tout est tellement parfait ici, c'est Dysneyland au pays des soviets. Pour le touriste, un vrai régal. Au beau milieu de la rue je tombe sur un festival de la mer. Entre les différents stands qui proposent un en-cas cuisiné sur place et des produits en bocaux, les passants s'agglutinent autour d'une chorale qui régale la foule de chants et danses folkloriques joyeuses. Robes de tulle, chaussettes montantes rouges et noire, corsages brodés mains tournoient dans les airs au rythme des sautillements des danseuses. Je me laisse porter par l'ambiance bon enfant.

Je continue vers le Musée Prokofiev alors que réapparaissent les papillons multicolores et les arcs fleuris tendus entre les bâtiments au-dessus des passants. Bientôt me voilà revenue sur Tverskaya, pour un dernier salut au cavalier Dolgorouki, prince fondateur de la ville de Moscou. Lorsque j'arrive à la station de métro Pouchkine, un coup d'oeil à mon téléphone me confirme qu'il est temps de mettre fin à cette dernière promenade et de rentrer à l'appartement. La station m'est désormais familière, et je rentre d'un pas habitué à Flotskaya Oulitsa. Céline a posé sur mon lit le linge sec que je ne dois pas oublier. Et voilà, j'envoie un message à mes parents pour les informer de mon départ imminent pour la gare, je plie et range les dernières affaires qui traînent, avant de boucler les attaches des sacoches. C'est fou comme en une semaine on s'habitue au changement : ça me fait tout bizarre de retirer mon jean pour passer mon pantalon noir imperméable et chaud, ma tenue de voyage que j'enfile en prévision de la route à faire et des heures de train couchette qui approchent. Je me regarde dans la glace. Ca y est, je ne suis plus tout à fait un être civilisé. Pendant une semaine je me suis fondue dans la foule moscovite en reprenant des habitudes sédentaires et une tenue vestimentaire adéquate. Il est temps de me remettre en mouvement.

Je ne dîne pas avec Céline et Nicolas. Je préfère prendre un peu d'avance et partir suffisamment tôt pour ne pas stresser sur l'horaire de départ du train. Vu les détours que j'ai faits en arrivant la semaine précédente, cette précaution s'impose... J'ai beau ne pas me dépêcher plus que ça, je finis par être fin prête. Les sacoches sont à nouveau fixées sur le porte bagage, j'ai rechaussé mes tennis trouées, rechargé les différentes batteries... il est temps de serrer ma famille d'accueil dans mes bras ! Je sais déjà qu'il s'est passé ici quelque chose d'important pour moi, dont je me souviendrai et qui m'inspirera longtemps. J'exprime ma reconnaissance à Céline et Nicolas. Ils m'ont annoncé hier qu'au cours de leur après-midi de décisions et de détente ils ont pris la décision de s'offrir un week-end à Saint Pétersbourg. Nous savons donc qu'il y a de très fortes chances pour que nous nous retrouvions une dernière fois en fin de semaine prochaine, dans la ville de Pierre le Grand, avant de nous dire au revoir pour de bon.

Nous appelons l'ascenseur. J'adresse un signe de la main aux enfants avant que les portes ne se referment. Instantanément, je me retrouve toute seule. Il n'y a pas de transition. La cabine de l'ascenseur a beau être assez grande pour me contenir avec mon vélo chargé sans que j'y sois à l'étroit, elle forme à cet instant un cocon dans lequel, pendant quelques secondes, je reprends conscience de mon chemin solitaire et de ma fragilité. Car comme toutes les fois où je dois prendre un moyen de transport qui ne dépend pas de moi, je sens monter la fébrilité. Je pars trois heures en avance mais je stresse à l'idée d'être en retard. Et j'ai beau avoir mon billet en poche pour moi-même et pour mon vélo, je n'ai aucune idée de la manière dont mon vélo va voyager. J'ai donc hâte d'arriver sur le quai pour en avoir une représentation plus concrète et rassurante.

Je quitte la bulle de l'ascenseur. La gardienne est dans sa loge, et sort une tête curieuse de son local. Je lui dis au revoir avec une chaleur dans la voix qu'après coup je trouve superflue, vu l'indifférence qu'elle me témoigne depuis mon arrivée. Ah cette éducation de gentille fille bien polie, agrémenté du besoin de me sentir appréciée partout où je passe ! Pas sûr que ce voyage m'ait été à grandir sur ce point.. Je descends le vélo au pied des marches de l'entrée d'immeuble, ferme ma veste et monte en selle. Les coups de pédale sont tout de suite familiers. Je contourne l'entrée pour rejoindre la route, et me retourne vers l'immeuble pour en graver l'image dans ma mémoire. J'aperçois alors, quelques étages plus haut, la fenêtre ouverte et les enfants dans les bras de Céline et Nicolas, qui me regardent. Emue, je lève la main et leur fais à tous un grand coucou, avant de me retourner et d'appuyer sur les pédales. Direction le centre de Moscou, du moins le quartier nord-est du centre...

Pour avoir longuement arpenté les avenues de la capitale, je n'ai plus d'appréhension à me retrouver dans la circulation. Je n'hésite donc pas à emprunter les grands axes, gardant prudemment mes distances de sécurité. C'est d'autant plus simple que je n'ai qu'à suivre sur plusieurs kilomètres Léningradskoïe sans me poser de question, jusqu'au périph intérieur. Sur ma playlist, un choix s'impose pour cette remise en mouvement ! The Pop, du groupe Katzenjammer. J'appelle la cavalerie à mes côtés pour entamer cette nouvelle étape du voyage ! Ce groupe découvert chez Priscilla Queen of the Medina ravive la flamme. Leur énergie me galvanise et répond à l'adrénaline qui s'empare à nouveau de moi tandis que je retrouve une sensation de liberté totale, nez au vent, sourire aux lèvres. Ma semaine à Moscou a été bien chargée, mais ces quelques jours sont passés très vite et j'ai vraiment un goût de trop peu car cette ville demande bien plus de temps pour en découvrir toutes les particularités, l'âme, les histoires. Je sais déjà que je reviendrai, forcément. Mais mes prochaines visites n'auront plus ce parfum unique de la première fois alors j'ouvre grand les yeux pour imprimer dans ma mémoire toutes les images, tous les mouvements, tout ce qui me rappellera ma rencontre avec Moscou.

Il est 20h et les rayons du soleil accentue les couleurs chaudes des bâtiments, même si le ciel reste clair. La luminosité du ciel en soirée est vraiment particulière, c'est très étrange la sensation que procure l'étirement du coucher du soleil. Il y a comme une latence, le temps semble suspendu, mon corps guette tous les signes familiers du passage à la nuit mais l'obscurité n'arrive jamais, du moins jamais aussi noire que nous la connaissons en France. La largeur des avenues moscovites me donne tout le loisir de rouler en observant le large pan de ciel qui se découvre au-dessus de ma tête. Je roule gaiment, chantonne, mets pied à terre pour prendre mes dernières photos de Moscou. Je roule vers Saint Pétersbourg, j'ai du mal à y croire ! J'ai la sensation d'être dans un rêve. Autant que Moscou, mais dans un genre totalement différent, cette ville me fascine et m'attire. J'ai hâte de la voir enfin de mes propres yeux. Je compte bien également profiter de ma semaine là-bas pour me remettre à écrire sur le blog.  

J'approche du périphérique intérieur. Je le rejoins au niveau de la place Maïakovsky, et découvre qu'une fête se déroule tout autour de la statue du poète. Une grande estrade a été dressée sur la place. Une foule massée tout autour porte des ballons blancs et une grande banderole annonçant "Histoire ordinaire, Ivan Gontcharov". ... Une actrice semble déclamer quelque chose, sans doute en rapport avec le roman de Gontcharov. Je mets pied à terre et observe quelques minutes cette atmosphère de fête. Les gens sont là en famille, habillés en grande pompe pour certains. Les cerisiers en fleurs roses et l'éclat du ciel bleu pâle crépusculaire apportent à la scène le charme d'une soirée d'été - bien que les températures ne soient pas encore suffisamment élevées pour se promener en manches courtes. Je suis ravie que Moscou m'offre encore ce petit moment de fête avant les adieux...

Je remonte en selle et bifurque sur la gauche pour rejoindre la place des trois gares. Lorsque j'arrive en vue, les lumières des réverbères sont allumées. Le soleil a nettement disparu derrière les bâtiments mais il doit flotter quelque part très bas, presque au sol, car il inonde encore le ciel de sa luminosité pâle. Je suis encore frappée par le charme de la gare de Iaroslav. Son style architectural est vraiment remarquable. Cependant, toute préoccupée que je suis par le bon déroulement de mon départ et alors que je suis arrivée largement en avance (1h30), je n'ai pas l'idée d'aller jeter un coup d'oeil à l'intérieur de cette gare pour en explorer les espaces et tenter d'apercevoir peut-être le Transsibérien... Quel oubli ! Ma préoccupation pour le moment est d'entrer dans la gare de Léningrad, de vérifier que mon train est bien annoncé et de repérer l'accès aux quais. Une fois que je suis fixée, je retourne sur le parvis pour m'offrir un dîner rapide.

Je me demanderai plus tard comment j'ai pu à ce point manquer de curiosité et ne pas traverser la place pour entrer dans la gare de Iaroslav. Peut-être n'y aurai-je pas vu le Transsibérien, mais qui sait, j'aurais pu observer son décor, les allées et venues du personnel et du public fréquentant cette gare. Mais non, à cet instant mes pensées se tournent vers mon estomac. Une longue nuit m'attend, je ne suis pas sûre de dormir beaucoup, et l'arrivée très matinale à Saint Pétersbourg ne me garantit pas l'ouverture des boulangeries pour grignoter un petit déjeuner alors bon... Je repère un petit resto rapide sur le parvis. Comme toutes les gares du monde, celles de Moscou attirent dans ses environs son lot de squatteurs, d'hommes aux tristes mines semblant inoccupés et réveillant mon attention sur la sécurité de mes affaires. Je choisis le resto pour sa vitrine claire et la possibilité d'attacher mon vélo sous mes yeux si je m'asseois à l'intérieur à une table collée à la vitre.

J'entre et commande deux pirojkis fourrés au fromage et à la viande, et un petit gâteau au chocolat. Je m'installe à la table que j'avais repérée. Autour de moi des groupes de jeunes discutent autour de leurs plateaux et des hommes parlent dans différentes langues que je ne reconnais pas. En restant à Moscou et à Saint Pétersbourg et dans les zones touristiques, je ne verrai pas toute la diversité des populations russes.

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A part sur le marché du petit Kremlin j'ai très peu vu de personnes au physique un peu plus asiatique, au visage plus arrondi et plat, aux yeux bridés.

L'heure tourne, le ciel s'obscurcit. La famille Berthon doit avoir fini de dîner, les enfants sont sûrement couchés. Je sors et décroche l'antivol de mon vélo pour entrer dans la gare. Sur le quai, le train, en métal gris, stationne déjà. Le départ est dans une demi heure, les voyageurs commencent à s'avancer sur le quai mais c'est loin d'être la foule que je redoutais. Tant mieux, je vais pouvoir repérer mon wagon sans gêner avec mon vélo. Le train me paraît très long. Le quai est plongé dans l'obscurité, mais les lumières intérieures du train sont allumées et je peux voir comment il est aménagé. Le wagon restaurant est magnifique, avec des sièges rouge et blanc visiblement très confortables et - quelle jolie attention - un bouquet de fleurs jaunes disposé sur chaque table ! La classe. Je ne compte pas m'y aventurer, car je ne tiens pas à m'éloigner de mes affaires. Je cherche le numéro de mon wagon, vérifiant quinze fois ce qui est marqué sur mon billet. Le voilà enfin ! La lumière à l'intérieur est très faible, je ne vois pas bien comment les compartiments sont disposés. La porte est fermée, je ne peux pas pénétrer à l'intérieur. Je cherche une signalisation qui m'indiquerait où se trouve le compartiment pour mettre mon vélo mais ne vois rien du tout. Je décide de remonter toute la longueur du train pour vérifier si les vélos doivent être montés dans un wagon dédié. Mais je fais chou blanc... et ce que j'arrive à distinguer par les fenêtres sur l'intérieur des wagons couchettes me laisse perplexe quant à la possibilité de ranger un vélo quelque part. Je fais demi tour et reviens jusqu'à l'entrée de mon wagon. Une queue de voyageurs à commencer à se former devant la porte. Vaguement inquiète, je me positionne dans la queue. L'heure tourne et mon inquiétude augmente. J'ai l'intuition que je ne suis pas au bon endroit pour le vélo, je sens que dès lors que la porte sera ouverte je disposerai de très peu de temps pour trouver la solution avant le départ du train. Quinze minute avant l'heure H, tandis que la queue s'est fortement allongée derrière moi, un contrôleur arrive enfin et se place devant la porte. Je mets la béquille pour laisser mon vélo dans la queue et m'approche de lui avec mon plus beau sourire. Le gaillard - une armoire à glace - est assailli par un petit groupe de voyageurs demandant des informations. J'attends mon tour puis pointe du doigt mon vélo en lui demandant où je suis censée le faire entrer. Le gars fronce les sourcils, visiblement contrarié, puis me répond par un terme que je ne comprends pas, sans daigner me jeter un regard. Je lui demande de répéter, ce qu'il fait tout en ouvrant la porte et en tendant la main au premier voyageur qui se trouve devant. Tandis qu'il commence à contrôler les tickets et que la montée des voyageurs commence, je dois répéter ma demande et lui faire comprendre dans mon russe le plus simple que je ne saisis pas ce qu'il veut que je fasse. Il peine à m'accorder de l'attention, visiblement je le dérange. Mon vélo gêne maintenant l'avancée de la queue. Je vois les gens entrer dans le wagon et comme la lumière a été allumée à l'intérieur je découvre par les vitres que l'espace de circulation entre les compartiments est très étroit. Mon dieu mon dieu, il a falloir que je me dépêche car plus le wagon va se remplir de voyageurs avec valise, plus ça va être compliqué de faire monter mon vélo là-dedans et de le ranger de façon à ce qu'il ne gêne pas le passage.

Montrant un peu plus de détermination, je reprends le guidon du vélo et l'avance jusqu'au contrôleur puis lui tends mon billet en insistant sur la question : je le mets où ??

Exaspéré, le type prend mon billet, y jette un oeil, puis me le rend en répondant encore un terme incompréhensible en désignant mon vélo. Quoi ? Ia nié panimayou ! (Je ne comprends pas). Le gars finit par répéter en faisant un geste plus explicite et je comprends ce qu'il attend : il veut que le vélo soit emballé ! J'ouvre de grands yeux. Hein ? Ani nié skazali mnié ! Ou minia nitchivo chtoboui diélat èto... (on ne m'a rien dit au guichet, je n'ai rien pour le faire !) Le contrôleur contient son agacement. Je l'embête, c'est évident. Il continue à faire entrer les autres voyageurs en m'ignorant, attendant visiblement que je me débrouille. Et moi je commence à angoisser face à son mutisme. Je suis censée faire quoi ? Je ne peux pas emballer le vélo dans les dix minutes qu'il me reste avant le départ, donc on fait quoi ?? Personne n'a l'air concerné, les voyageurs montent sans se soucier de rien.

Alors que la situation semble être dans l'impasse, un jeune homme surgit de la file d'attente pour venir à mes côtés. Petit sac à dos accroché à l'épaule, veste kaki et dreads sous sa casquette, il doit avoir une petite trentaine d'années. Il adresse deux mots au contrôleur qui lui répond sèchement puis se tourne vers moi et m'explique dans un anglais parfait que je dois démonter et emballer mon vélo. Plaît-il ? Reconnaissante à ce compagnon voyageur dont j'ignore encore la nationalité, je fais constater que je n'ai rien pour emballer et ne peut démonter que les roues. Rassurant, mon sauveur ne voit pas de problème mais des solutions et me propose de m'aider à démonter les roues et à porter le vélo et les bagages à l'intérieur. Par contre le contrôleur n'en démord pas, il faut un emballage, quel qu'il soit. Je réfléchis... et sors du sac de ma tente la toile extérieure. Je n'ai que ça ! Le contrôleur lâche l'affaire et soupire, ennuyé, que ça ira. Je suis soulagée mais dépitée : à quoi sert cette pseudo protection tellement fine qu'elle ne protègera rien du tout !? Tout ça risque seulement d'abîmer ma toile de tente ! Mais pas le temps de discuter ni de prendre le risque que le contrôleur change d'avis, il faut s'engouffrer vite dans le wagon et tenter de trouver encore suffisamment de place pour tout ranger à l'intérieur.

Le jeune homme se tourne vers moi et m'explique qu'il va vite poser son sac à sa place avant de revenir m'aider à charger mes affaires. Formidable ! Voilà qui met du baume sur mon angoisse. Le plus rapidement possible je détache les roues du vélo et toutes les sacoches et monte dans le wagon pour trouver ma place. Mon dieu les couloirs sont déjà blindés de valises et de gens, ça va être une vraie galère et je vais gêner tout le monde ! Heureusement ma couchette est à proximité de la porte d'entrée du wagon, le dérangement sera réduit à quelques voyageurs. Mais comment vais-je faire entrer mon vélo là-dedans ?? Je découvre ma couchette.... et ouvre des yeux horrifiés en voyant le peu d'espace que j'ai pour m'allonger et pour poser des bagages. Ohlala, c'est un trou de souris ! Sans réfléchir, pressée par le temps, je pose deux sacoches et retourne sur le quai chercher mes affaires. A coup de "pardon, excusez-moi, pardon, désolée" je fais quatre aller et retour pour monter toutes mes sacoches et les roues du vélo. Personne ne fait de commentaire, les gens me regardent avec indifférence et continuent à installer leurs couchettes en se poussant à peine pour me laisser passer. Mon chevalier servant réapparait sur le quai et attrape fermement mon vélo. Oh comme je suis contente qu'il m'aide ! Comment aurais-je fait sans lui ? Il doit être russe, car il prend les choses en main et demande aux passagers de se pousser pour lui laisser le passage jusqu'à mon compartiment. Mais comme moi il fronce les sourcils devant le peu d'espace qu'il reste pour ranger le vélo quelque part. Le contrôleur arrive à ce moment et râle en pointant du doigt le haut du compartiment et ma toile de tente. Quezaco ? J'ai une couchette en haut. Juste au-dessus se trouve, de chaque côté du compartiment, un espace de rangement pour les bagages. Moins haut qu'une couchette. C'est là que le contrôleur veut qu'on mette le vélo ! Evidemment le cadre ne tient pas en longueur au-dessus de ma couchette. Nous n'avons qu'une possibilité : coincer le vélo entre les deux compartiments de rangement. Il voyagera au-dessus de nos têtes. Et il faudra mettre la toile de tente autour pour donner l'impression que le bagage est "emballé".

Sans perdre de temps, mon compagnon cale ses pieds sur les couchettes du bas (heureusement elles sont encore vides) et me demande de lui passer le cadre du vélo. A force de contorsions, il réussit à étendre le vélo au-dessus de lui, posé en travers sur les deux espaces de rangement du haut. On glisse les roues comme on peut dans les espaces restant et on étire la toile de tente pour donner l'illusion de l'emballage. Le contrôleur repasse et râle encore. Qu'est-ce qu'il y a ? Le vélo pourrait bouger dans le voyage, ça ne va pas ! Je tends à mon compagnon les tendeurs pour qu'il fixe le cadre et les roues à la structure du wagon. Cette fois c'est bon, ça tient ! Ouf ! J'ai encore deux sacoches et la sacoche guidon avec moi sur ma couchette, je vais devoir dormir pliée en quatre sachant que la hauteur de la couchette ne me permet pas de tenir assise. Formidable... A peine avons-nous fini notre installation précaire, le train s'ébranle, quittant le quai de la gare et entamant son périple de plusieurs heures vers le nord. Je regarde mon sauveur avec soulagement et nous rions de la situation !

Tout s'est passé sous les yeux indifférents des autres voyageurs, dont pas un n'a levé le petit doigt pour aider. Mais ça y est, on est en route et demain matin je me réveillerai à Saint Pétersbourg ! Je me présente à mon compagnon de voyage, dont la place se trouve à l'autre bout du wagon. Deux autres voyageurs sont arrivés pour prendre place dans mon compartiment. Nous leur cédons la place pour discuter dans le couloir, dans lequel règne déjà un silence juste perturbé par nos voix et le ronronnement des roues sur les rails. Alexis est bien russe, et retourne à Saint Pétersbourg où il travaille. Comment se fait-il qu'il parle un si bon anglais ? A ma grande surprise, Alexis m'apprend qu'il travaille pour Greenpeace, qui a un petit local à Saint Pétersbourg. Ce qui explique aussi son look un peu baroudeur. La lumière à l'intérieur du train diminue. Nous sentons que notre conversation dérange les gens qui sont déjà prêts à dormir. Alexis va retourner dans son compartiment mais me promet de venir m'aider à décharger à l'arrivée à Saint Pétersbourg. Reconnaissante pour son aide précieuse, je lui souhaite une bonne nuit puis je me contorsionne à mon tour pour retirer mes chaussures et me faufiler sur ma couchette. Malgré l'inconfort extrême, je ne peux m'empêcher d'être aux anges. Voilà, je quitte Moscou, dans quelques heures je serai à Saint Pétersbourg. Cette montée dans le train m'a procuré quelques angoisses mais encore une fois quelqu'un est arrivé au bon moment, transformant ce moment de galère en rencontre inattendue et très sympathique. La vie est belle. Je regrette de ne pas pouvoir observer encore un peu Moscou à travers la fenêtre du train, ma position ne me le permets pas. C'est incroyable ce train couchette est presque moins confortable que les trains indiens ! Ceci dit, j'ai beau être recroquevillée sur moi-même, je parviens sans difficulté à trouver le sommeil, pressée de rouvrir les yeux à l'approche de la cité de Pierre le Grand et de la grande Catherine...

Je me réveille tôt. Le ciel est déjà clair. Je suis encore plus au nord, la nuit est encore plus courte qu'à Moscou. Je ne peux pas m'asseoir pour observer le paysage à l'arrivée de Saint Pétersbourg et le couloir est trop encombré pour que je descende faire trois pas et me coller à une vitre. Je reste allongée jusqu'à l'arrêt, laisse mes compagnons de compartiment sortir en premier puis remets mes chaussures avant de jeter un oeil par la fenêtre pour constater que ça y est, je suis à Saint Pétersbourg, sur le quai de la gare ! Sans perdre de temps, je descends mes sacoches et les traîne dans le couloir ainsi que les roues du vélo. Alexis arrive, toujours aussi souriant et chevalier servant. Il me laisse à peine porter les sacoches, ce que je trouve très gentil de sa part mais m'agace un chouïa quand je détecte dans son comportement cette tendance russe à soulager la femme de toute manutention. Je ne suis pas une poupée russe ni une petite chose fragile, cher ami, ne le vois-tu pas ?.... Non, il ne le voit pas.

Ceci dit, je suis bien contente qu'il me donne un coup de main pour dégager mon vélo de son emprisonnement dans le compartiment. Tandis que je remonte les roues et les sacoches sur le quai à présent déserté, nous continuons à faire connaissance. Alexis n'est pas pressé, il rentre chez lui. Enfin chez lui, c'est dans le local de Greenpeace. Quel est ton programme maintenant ? - "Je vais aller me balader dans la ville, j'ai un lit réservé à l'auberge de jeunesse mais le check-in n'est qu'à midi". Alexis m'indique alors que les locaux de Greenpeace ne sont qu'à 10 minutes en vélo, dans le centre, et me propose de l'y accompagner pour prendre un petit déjeuner. Voilà une bonne idée ! Alexis a son vélo attaché à l'extérieur de la gare, il va pouvoir me montrer la route. Ravie, je finis de fixer mes affaires sur le porte bagage et pousse mon vélo pour quitter la gare en suivant mon compagnon. Un grand soleil matinal nous accueille lorsque nous sortons sur l'avenue Ligovski. Comme à Moscou, l'artère est très large. A cette heure-ci nous sommes quasiment seuls, deux ou trois voitures perturbent le silence de la ville qui se réveille à peine. Alexis détache son vélo garé juste devant, puis m'entraîne à sa suite vers la place Vosstaniya. Nous tournons autour de l'obélisque à la gloire des héros de la ville, et prenons à gauche vers le centre. C'est excitant de rouler seuls de si bon matin sur la perspective Nevski. La fameuse perspective Nevski ! L'avenue fonce sur plusieurs kilomètres en ligne droite jusqu'au coeur de la ville. Nous n'allons pas si loin pour l'instant. Nous tournons à gauche, puis, toujours dans un calme presque absolu, nous nous arrêtons devant le porche d'un immeuble à la façade décrépite. Des affiches déchirées aux murs, des grilles aux fenêtres, et rien qui annonce la présence des bureaux de Greenpeace dans cet immeuble d'habitation de cinq ou six étages. Alexis descend de vélo, passe sous le porche, s'arrête devant une porte cadenassée à l'entrée à gauche, et me montre les deux boitiers électroniques fixés sur le mur, à côté du chambranle. Pour des raisons de sécurité l'accès au bureau est protégé au mieux. Il tape un code sur chaque boitier puis ouvre la porte et m'invite à entrer avec mon vélo, que je dois porter sur trois marches. Puis il referme la porte à clef. Je suis dans un petit local associatif dans lequel je découvre un bureau avec un ordinateur, une étagère exposant divers prospectus annonçant des regroupements et alertant sur les conditions de pêche, les traitements réservés aux animaux, les opérations de nettoyage dans le nord de la Russie. Sur une petite armoire des bocaux contiennent des graines et de la vaisselle. Dans un renfoncement une kitchenette est installée. Des classeurs et des cartons d'archive sont alignés sur des étagères murales et à même le carrelage au sol. Un canapé deux places est posé contre le mur, à côté d'un porte manteau le long duquel je gare mon vélo. Alexis me fait faire le tour du propriétaire. Il y a deux autres tout petit bureaux dans le local, des toilettes et une pièce aménagée avec un bureau et un canapé lit et une douche.

Nous faisons chauffer un thé. Le petit déjeuner consiste en un bol de graines mélangées. Alexis m'explique qu'il est bénévole pour ce bureau lorsqu'il n'est pas en mission dans l'Arctique. Il me montre un exemplaire du magazine de l'association dans lequel il figure en photo sur un bateau en mission.

Sur les murs de l'association, des photos mettent en cause l'impact des grandes enseignes de la mode sur le monde animal et la perversion d'un système poussant à la surconsommation.

Alexis est chaleureux et enthousiaste. Le thé me fait du bien, tout comme le fait d'avoir trouvé un point de chute sécurisé autant qu'inattendu dans ces locaux.

Alors que je feuillète les magazines en essayant de déchiffrer le russe, le jeune homme - qui a posé ses affaires dans le bureau avec le canapé lit - m'annonce qu'il a l'intention de prendre une douche puis de dormir un peu car il n'a pas vraiment fermé l'oeil dans le train. Il m'invite à venir "me reposer avec lui". A ce moment-là des warnings s'allument dans mon cerveau. Je lui dis que je ne me sens pas fatiguée. Imperceptiblement je sens que quelque chose change sans son attitude, tandis qu'il tente d'insister un peu pour que je le rejoigne sur le canapé. Mais je feins d'être en grande forme et pressée de découvrir la ville. Que comptes-tu faire jusqu'à l'ouverture de l'auberge de jeunesse ? - me demande-t-il.

Me promener, sentir l'atmosphère de la ville au petit matin ! réponds-je avec tout le naturel que je peux mettre dans le ton de ma voix pour ne pas laisser paraître la méfiance que son attitude a réveillée en moi. Alexis cesse alors d'insister, et me propose de laisser on vélo ici pour pouvoir me promener tranquille. Il va dormir et ne bougera pas du local. Il me donne son numéro de téléphone au cas où. Pour le cou, je sens que je peux me fier à lui et accepte volontiers sa proposition. J'ai trois heures devant moi pour me promener en touriste, avant de revenir chercher mon vélo pour aller à l'auberge de jeunesse. Je prends dans mon sac à dos tout ce dont j'ai besoin, et remercie Alexis. Au moment de nous séparer, celui-ci tient à me serrer dans ses bras. J'accepte du bout des lèvres, mettant fin le plus rapidement possible à l'étreinte car décidément il me met mal à l'aise ce garçon et je ne comprends pas bien son envie subite d'affection.

Me voici libre de me perdre dans les rues de Saint Pétersbourg, sous un soleil radieux ! Mon sourire revient aussitôt. Et voilà, bonjour Saint Pétersbourg ! Je pense à mon père, qui a si souvent exprimé le désir de voir cette ville... Je commence par aller repérer l'adresse de l'auberge de jeunesse, qui se trouve à deux pâtés de maison de Greanpeace. Je repère la rue et le numéro. Il s'agit d'un gros immeuble qui s'élève sur plusieurs étages et n'accueille pas uniquement l'auberge. D'ailleurs je ne vois pas tout de suite le nom de l'hôtel, parmi tous les panneaux et enseignes accrochés sur le mur. Un grand porche fermé donne accès à l'intérieur. Je m'approche et vois le nom de l'hôtel sur l'interphone. Bien, je n'ai plus qu'à profiter des trois heures qui me sont offertes pour me balader. Je me dirige vers ma gauche, que je pense être la direction du centre ville. Il y a si peu de circulation dans les rues que j'ai l'impression d'avoir la ville pour moi toute seule. Attirée par les grandes perspectives que je découvre au détour des carrefours, je change de direction, et m'approche d'un haut clocher. Grande, toute de jaune et de blanc vêtue, l'église Vladimirskaya m'offre son meilleur profil à l'ombre des arbres du jardin qui l'entoure. Un grillage en fer forgé m'empêche d'entrer : il me faudra revenir plus tard pour pénétrer dans cette église que fréquentait Dostoïevski. Je remarque un symbole impérial : un aigle à deux têtes, que surmonte une couronne, trône sur le haut du portail d'entrée. En face de l'édifice se dresse un clocher de trois étages construit dans le même style. Je recule au milieu de la place désertée par les voitures pour mieux apprécier les formes massives de l'église. Puis je reprends mes déambulations. Saint Pétersbourg ne ressemble en rien à Moscou. Ses avenues sont larges, ses façades hautes et massives mais dans un style plus travaillé. Ornements rénovés côtoient murs défraîchis et sombres. Je me laisse entraîner au gré des détails qui happent mon regard, et des ouvertures qui cassent les perspectives longilignes. Dans un style similaire à l'église Vladimirskaya, la cathédrale de la Transfiguration se dresse à l'intersection de trois rues. 

En lui tournant le dos, je m'engage dans la rue Pestel. A l'angle de la perspective Liteiny une enseigne rouge attire mon attention. Teremok, qui semble être un genre de café restaurant dans lequel on trouve en formule self à peu près tout type de grignotage salé ou sucré. Les graines d'Alexis ne m'ont pas vraiment rassasiée... Je décide de commander un bon café et un blini au chocolat. Il faut bien fêter mon arrivée à Saint Pétersbourg !

Tout en mordant dans le tendre blini, j'observe les gens autour de moi. Des jeunes, pour les trois quart. Depuis que j'ai quitté le train, je ressens la différence d'atmosphère entre Saint Pétersbourg et Moscou. Est-ce purement psychologique ? Est-ce parce que parce que la ville de Pierre est historiquement plus ouverte sur le monde ? Est-ce parce que les premiers badauds que je vois sont plutôt jeunes, que les bâtiments me semblent moins massifs ? Je ne sais pas. Mais l'air est plus léger.

Dans le fond de mon café, je cherche à savoir si j'ai pris ma décision ou non pour la suite du voyage... Le Cap Nord m'appelle depuis si longtemps.... Il était censé être mon premier objectif en partant ! A croire que je joue au chat et à la souris avec lui. Je sens au fond de moi que nous ne nous verrons pas encore cette fois-ci.... Oui j'en ai la quasi certitude, cependant, même si j'ai progressé sur cette voie pendant mon séjour à Moscou, je résiste encore. J'ai de bonnes raisons de vouloir rentrer dans le prochain mois, des raisons d'ordre administratif que je ne me décide pas à gérer à distance car cela m'obligerait à passer par des intermédiaires. Et je m'y refuse. Donc en réalité il n'y a pas de débat, je sais déjà ce que je dois et veux faire. Mais je suis si près du Graal qu'il est difficile d'y renoncer. Ce choix n'est pas le même que celui que j'ai fait quelques temps plus tôt, quand il s'agissait de prendre la direction de l'Amérique du sud ou de l'Europe du Nord. Les deux destinations m'étaient aussi chères et inconnues, je savais que je ne pourrais pas faire les deux, il me paraissait logique qu'en tournant à gauche je ne puisse pas aller à droite et cela ne m'a pas vraiment fait cogiter. Cette fois la situation est toute autre, même si dans tous les cas renoncer aujourd'hui ne signifie pas faire une croix sur la réalisation de ce rêve un jour ou l'autre. Je n'ai aucun doute sur le fait que, pour peu que je vive encore assez longtemps pour en avoir l'occasion, j'irai tôt ou tard au Cap Nord, mais aussi voir le Machu Picchu, la terre de feu, l'Australie et la Nouvelle Zélande, l'Afrique, et tous ces endroits où je rêve d'aller. Simplement, décider de ne pas mettre le cap maintenant sur le point le plus le plus au nord de l'Europe, c'est décider d'abréger mon voyage, d'acter le retour. Et ce jour-là, devant mon café, j'ai encore du mal à le décréter officiellement. Bien que j'éprouve une vraie fierté à envisager de faire face à mes responsabilités en rentrant pour régler des affaires administratives qui requièrent ma présence. Habituée à laisser pourrir les situations bancales et à ne réagir que lorsque je suis au pied du mur, j'ai pour une fois envie de "faire les choses bien", en adulte. Ca me ressemble si peu que j'en suis assez épatée et y vois un des premiers effets bénéfiques du voyage. Rien que pour ça, retarder mon rendez-vous avec le Cap Nord en vaut la peine.

Consciente d'avoir encore besoin de mes cinq prochaines journées à Saint Pétersbourg pour me donner l'illusion que je ne suis pas encore sur la route du retour, je dépose mon plateau sur le chariot dédié à la vaisselle sale, et je sors retrouver le soleil de la capitale impériale. Le nez en l'air, je me balade au hasard, attirée par une vitrine, une façade, un petit parc, une église. J'atterris rue Péstelia. Une longue rue de la taille d'une avenue. Dans son prolongement je distingue des coupoles, et déduis qu'elle file en droite ligne vers le coeur de Saint Pétersbourg. Je la remonte donc en remarquant au passage qu'on trouve très régulièrement des magasins Diksi, l'équivalent de nos Franprix.

Je tombe en arrêt devant un Sushi wok ! Y a pas de doute, Saint Pétersbourg est cosmopolite. Cette constatation provoque une légère déception, en fait. Venir si loin, pour retrouver la même vie et les mêmes modes qu'à Paris, c'est tout de même dommage... Je retrouve des repères qui me parlent, qui évoquent un univers familier à mes yeux, et je ne suis pas certaine d'apprécier ce retour au "connu". Ce n'est pas pour ça qu'on part. C'est rassurant, certes, mais il manque le charme du dépaysement. Bon tout de même le style architectural a de quoi me surprendre et me charmer, et l'alphabet cyrillique m'aide à ne pas me sentir tout à fait en terrain conquis !

La rue Pestelia oblique légèrement sur la gauche en bout de course, et l'église de Saint Pantéléon se dresse dans sa jolie robe rose bonbon, surmontée de coupoles grises presque blanches. La porte est ouverte, et j'ai la bonne surprise de trouver pour une foi un choeur très clair. Je lirai plus tard que cette église est dédiée à la gloire de la flotte russe. En dépassant l'église, je distingue un peu plus loin ce qui semble être un grand parc verdoyant. La rue débouche sur un pont qui enjambe la Fontanka, un bras de la Neva, pour filer vers ce parc. La Neva... encore cette sensation étrange de vivre un rêve éveillé.

J'ai lu ce nom dans tant de livres d'histoire, imaginé son cours et ses rives en dévorant tant de romans, et voilà que nous allons enfin faire connaissance dans la vraie vie.. A l'entrée du pont, un homme vérifie la justesse des perspectives entre les traits qu'il vient de peindre sur sa toile, et le modèle qui se dresse en face de lui, sur l'autre rive de la Fontanka, au-delà du pont. Trapu, les épaules épaisses, ses cheveux courts grisonnants disparaissant sous un carré de tissu noir noué derrière la tête, il me tourne le dos et baisse les yeux sur les contours du paysage qu'il crée avec ses pinceaux. Sur l'autre rive, le château des Ingénieurs s'étend le long du fleuve. Je crois d'abord que le peintre s'applique à représenter ce château, mais en y regardant de plus près il l'a effacé. Sur la toile je reconnais le parc et le pont, mais au-dessus des arbres il n'a pas figuré les murs et les toits du château, il a peint les bulbes et le clocher qui apparaissent derrière le château. Je reconnais aussitôt ces bulbes. Il n'y a qu'un édifice qui présente ce style de clochers à Saint Pétersbourg : la Cathédrale Saint Sauveur sur le Sang Versé ! Emue, aussi impatiente de la découvrir que je l'ai été de mettre enfin le pied sur la Place Rouge, je décide pourtant de retarder mon rendez-vous avec ce monument mythique. Il me faudrait un certain temps pour passer de l'autre côté de la Fontanka et pour marcher jusqu'à la Cathédrale. Or je ne veux pas me précipiter, je préfère prendre le temps cet après-midi, après avoir installé mes affaires à l'auberge de jeunesse. J'ai une heure d'avance sur l'horaire d'accueil de l'auberge, mais je choisis de faire demi tour maintenant pour aller récupérer auprès d'Alexis mon vélo et tenter d'accéder à ma chambre. Avec un peu de chance les hôtes accepteront de me laisser entrer 1h plus tôt que prévu.

Je retourne donc à l'adresse de Greenpeace. Deux heures et demi sont passées depuis que j'ai quitté Alexis. Je retrouve facilement mon chemin, et sonne à la porte blindée. Deux minutes s'écoulent avant qu'Alexis apparaisse sur le seuil, les yeux ensommeillés, les cheveux en bataille. Il me sourit avec le même air avenant qu'il semble garder en toutes circonstances. Les circonstances de mon départ rapide tout à l'heure font visiblement partie du passé, il ne fait ni ne dit rien à ce propos qui puisse me mettre mal à l'aise. Par contre le voilà qui se met à insister pour m'aider en poussant mon vélo. Je reconnais là la galanterie russe, cette manie dont Céline m'a parlé dès le premier jour, cette habitude culturelle qui pousse les hommes à éviter aux femmes le moindre effort physique. Je confirme à Alexis que j'ai déjà repéré le chemin, qu'il ne présente aucune difficulté, qu'il n'y a absolument aucun risque que je me perde et que je suis tout à fait apte à me débrouiller toute seule. Il insiste tout de même. Je pourrais battre en retraite et accepter son aide, mais je n'en ai pas la moindre envie. Je tiens à m'occuper de mon vélo et de mes affaires moi-même. J'éprouve cet agacement systématique qui monte brusquement du fond de ma poitrine, cette envie de balancer à la figure de celui qui veut m'aider : comment crois-tu que je m'en suis sortie jusqu'ici ??..

J'affirme catégoriquement ma volonté de prendre soin moi-même de mon vélo, et Alexis finit par abandonner. Consciente d'avoir été un peu trop ferme, je me rattrape en le remerciant chaleureusement pour sa compagnie et son aide depuis la veille. On se serre dans nos bras à la mode russe en se disant le plaisir que nous avons eu à nous rencontrer; puis je repars le sourire aux lèvres. C'est les deux mains fermement repliées sur le guidon de mon fidèle compagnon de voyage que je parcours le chemin jusqu'à l'auberge de jeunesse. J'appuie sur l'interphone, et pousse la porte lorsqu'on me répond que je peux entrer. Me voici dans un très large et long hall d'entrée, lugubre et sale, qui m'inspire moyennement confiance. Un très large escalier d'une vingtaine de marches pas très hautes monte à un premier palier où je vois un ascenseur. Celui-ci est trop étroit pour que j'y fasse entrer mon vélo. Je vais donc devoir l'attacher en bas, ce qui ne m'enchante pas. Je hisse mon vélo chargé jusque devant l'ascenseur puis enlève toutes les sacoches pour attacher le vélo derrière l'ascenseur, de façon à le rendre moins visible.  Pas idéal mais je n'ai pas trop le choix. Puis je monte au 4è étage avec mes sacoches.

Chargée comme un bourricot, j'arrive sur un palier au large couloir. C'est fou comme on a de l'espace dans ces grands immeubles décrépits. Une étiquette collée sur le mur indique la porte de l'auberge, qui occupe donc finalement la moitié d'un étage de l'immeuble. Je sonne. Après quelques secondes, un buzz sonore m'indique que la porte vient de s'ouvrir. Je la pousse avec mes sacoches et entre dans une petite entrée tout en longueur. Un guichet est aménagé sur la gauche. Droit devant moi s'ouvre un couloir menant à une grande salle commune au plafond haut. La moquette rouge amortit le bruit de mes pas sur le plancher qui ploie un peu sous mes pas. 

Derrière le guichet deux jeunes femmes discutent ensemble et ne font pas tout de suite attention à moi. La salle commune dont j'aperçois un tout petit bout semble silencieuse, hormis un écran télé fixé sur le mur. Finalement une des jeunes femmes disparaît dans le fond du guichet et la seconde lève la tête pour me souhaiter la bienvenue dans un anglais à l'accent parfait. J'ai posé mes sacoches le long du mur pour éviter de tout encombrer. Je donne mon nom et mon passeport et réponds aux questions, précisant que j'envisage de rester une petite semaine. On me remet une clef de la porte d'entrée et un plan de Saint Pétersbourg, puis la jeune femme m'invite à la suivre vers le dortoir. Je récupère mes sacoches et traverse à sa suite la salle commune. Un homme dans la trentaine est affalé sur un des deux grands canapés, plongé dans son téléphone. La salle est immense et meublée de canapés, d'une table en bois marron, d'une commode sous le téléviseur et d'un billard. La moquette foncée et le papier peint orange passé à motif géométrique crée une atmosphère un tantinet lugubre. 

A cette heure-ci l'auberge est apparemment presque vide. Nous passons dans un couloir qui donne sur trois portes de dortoir, une cuisine, une salle de bain pour les hommes et une pour les femmes. Mon dortoir est plongé dans l'obscurité. Les rideaux épais sont encore tirés, trois personnes dorment encore sous leurs draps. On y voit tout de même assez pour que la jeune femme m'indique les trois lits disponibles. Je choisis le plus éloigné de la porte, en mezzanine. Chaque emplacement consiste en un box de bois doté d'un large matelas qui s'encastre dans le cube. Je monte deux barreaux de l'échelle et constate que j'ai largement la place de dormir et de disposer toutes mes sacoches le long de la paroi murale. Il fait bon dans cette pièce. C'est très haut de plafond. Un lustre d'un autre temps pend au centre de la pièce, donnant un charme rétro à la pièce. Mon hôte me laisse m'installer. Je tente d'être la plus discrète possible pour monter toutes mes affaires et ouvrir la sacoche qui contient mes affaires pour la toilette. Direction la douche !

L'eau chaude me redonne du peps. Une fois lavée et habillée de propre, je me sens pleine d'énergie pour repartir parcourir la ville que j'ai hâte de découvrir. Un petit café au passage dans la cuisine plutôt cosy bien que très simple (on s'y sent comme chez grand-mère, avec la grande table au milieu, les meubles en bois et tout ce qu'il faut pour cuisiner). Et je suis fin prête ! Au passage, je demande aux filles du guichet si le hall d'entrée est un endroit sûr pour y laisser mon vélo. Elles me recommandent de le monter dans l'entrée de l'auberge, qui est suffisamment large pour qu'il n'encombre pas le passage. Je descends donc pour aller chercher mon vélo et suis ravie de pouvoir le mettre en lieu sûr pour la semaine.

Il est temps de partir à l'aventure. J'ai tout l'après-midi devant moi. Le temps est frais, je garde ma polaire et ma veste coupe vent sur moi. J'ai dans l'idée d'aller à la rencontre de la ville, mais également de trouver un cyber en soirée pour pouvoir me remettre sur le blog car depuis mon départ de Riga j'ai encore pris un retard énorme dans la rédaction ! Dans le récit je n'ai pas encore quitté Cancun, Je devine que mes dernières semaines de voyage vont me laisser peu de temps pour écrire, il faut vraiment que j'arrive à rattraper mon retard car je veux vraiment garder la trace la plus précise possible de ce voyage...

Un grand beau soleil m'accueille dans la rue. Le contraste avec l'obscurité qui règne à l'intérieur de l'immeuble est frappant. Je prends tout de suite la direction du centre pour traverser la Fontanka et retourner vers la Cathédrale Saint Sauveur sur le Sang Versé. Je retrouve la rue Pestelya et traverse le pont Panteleymon. Mon peintre de ce matin n'est plus là. Avant de bifurquer résolument vers les bulbes de la Cathédrale que j'aperçois par-dessus les arbres, je fais un détour par le jardin d'été qui s'étend le long du fleuve. La promenade est très agréable. Les allées sont grandes, calmes, baignées par le soleil qui filtre à travers les feuilles des arbres. Je croise des statues de marbre blanc, admire des compositions florales printanières, m'asseois quelques minutes sur un banc de fer forgé pour observer les familles et les passants solitaires qui se promènent dans le parc.

Le parc est entouré de canaux - Saint Pétersbourg n'est-elle pas surnommée la Venise du Nord ? -, et je longe à présent la Moïka. Le jardin d'été laisse place au Champs de Mars, au bout duquel un pont enjambe la Moïka pour revenir vers l'île centrale délimitée par la Fontanka. Droit devant, les bulbes de la cathédrale m'appellent. Je marche jusqu'au pont de pierres Malo-Konyushennyy, puis le pont Téatralny pour passer sur le bon côté de la rive. Il me faut passer devant l'Ecole des Arts avant que la Cathédrale se dévoile entièrement sous mes yeux. Me voilà enfin devant ce monument emblématique de Saint Pétersbourg. Je reste quelques minutes à l'observer, détailler les couleurs et les formes de ses parois et de ses bulbes et clochers. Le bâtiment est tout simplement extraordinaire. Très différent de Basile le Bienheureux. Sa construction remonte à 1883, et son nom officiel est la Cathédrale de la Résurrection. Son autre nom rappelle l'événement qui a conduit Alexandre III à décider de son élévation en mémoire de son père, assassiné à cet endroit. Les formes géométriques sur les bulbes font penser à des pierres précieuses. Les tons vert, doré et bleu des bulbes s'harmonisent avec la couleur brun des briques. Les icônes recouvrent une grande partie des façades, il me faut un long moment d'observation pour en embrasser l'ensemble, c'est splendide.

Selon mon habitude, je remets à plus tard la visite de la Cathédrale. Pour l'instant j'ai besoin de respirer l'atmosphère de la ville. Je contourne l'édifice bordé sur son côté est par le canal Griboïedov. Contre les garde corps du canal, plusieurs petites roulottes proposent aux touristes des souvenirs absolument typiques... des matriochkas aux visages d'homme politiques, des tshirts exhibant Poutine en tenue de boxeur ou de karatéka donnant une leçon aux occidentaux, des chapkas, des minis cathédrales. Je pars en quête d'un drapeau russe à broder sur mon sac à dos, mais je fais chou blanc sur tous les stands. Sur les deux rives du canal des amoureux se prennent en photo avec la Cathédrale en toile de fond.

Je longe le canal sur la route pavée, redescendant vers le sud de l'île. Les abords du canal sont somptueusement restaurés. Les bâtiments sont beaux, moins massifs qu'à Moscou même si leurs dimensions restent de belles tailles. Je retrouve le style italien que j'ai pu déjà voir dans les capitales baltes, et l'ensemble est également très coloré. Des bateaux promènent les touristes sur les canaux. Les vitrines des brasseries cossues et des bars modernes renvoient l'image d'une ville animée et consciente de son attractivité.

Le canal débouche sur la perspective Nevski. Les Champs Elysées de Saint Pétersbourg ! L'avenue s'annonce par un bâtiment emblématique, juste à l'ange du canal. D'un seul coup  l'horizon s'élargit, le ciel prend plus de place, j'aperçois une structure bétonnée en arc de cercle et découvre la maison du livre à l'angle, surmontée d'un globe porté par deux naïades. L'ensemble du dernier étage du bâtiment arbore des sculptures de personnages portant ce qui ressemble à des lances mais aussi à des bobines de fil.

J'arrive au carrefour. L'immeuble qui attire mon regard porte le nom de la marque Singer. Il s'agit pourtant de la Maison du livre. Construit au début des années 1900, l'immeuble se voulait résolument moderne pour attirer le bourgeois de Saint Pétersbourg. C'est drôle de voir la Compagnie Singer ici, on n'imagine pas spontanément cette marque installée en Russie. Nationalisé après la révolution d'octobre, le bâtiment accueillit ensuite la plus grande maison d'édition de la ville. La librairie occupe aujourd'hui une partie des locaux, le reste étant attribué à d'autres commerces. Juste en face se trouve la Cathédrale Notre Dame de Kazan, énorme édifice entouré d'un arc de cercle de colonnades qui me rappelle Saint Pierre de Rome. J'ai hâte de le visiter. En attendant, je poursuis ma flânerie et passe devant un genre de salon du livre en plein air avec plusieurs ilôts colorés remplis d'étagères qui me tentent bien ! Quel dommage que je ne puisse pas me charger car j'ai très envie d'en profiter pour fouiller et rapporter quelques livres en russe à lire au retour à la maison... Un peu plus loin, je tombe sur la boutique officielle du club de hockey sur glace de la ville. Je passe la Moïka et remonte la perspective vers la Neva. Une haute statue sur pied, dressée sur un pylône de béton, m'attire, tout au bout de la perspective. En marchant vers ce phare j'atterris devant l'autre monument emblématique de Saint Pétersbourg : le musée de l'Ermitage ! Il est tout simplement magnifique ! Je n'avais pas eu la curiosité de regarder avant à quoi pouvait bien ressembler ce musée de renommée mondiale. Je le trouve sublime avec son vert doux contrastant sur le blanc des façades, rehaussées de dorures sur les linteaux de toutes les portes et fenêtres, et au sommet de tous les piliers qui dessinent l'ossature du bâtiment. Un grand drapeau blanc-bleu-rouge coiffe le toit à côté de la couronne impériale. Emue, je m'attarde un long moment devant ce palais pour m'imprégner de la réalité de ma présence ici. L'Ermitage est le plus grand musée du monde, paraît-il, en termes d'objets exposés. Je ne sais pas trop quelles sont les oeuvres majeures mais je sais que je pourrai y voir des tableaux de maîtres, entre autres choses.

Au milieu de la place, au pied de la statue d'un archange brandissant une croix face au Palais d'Hiver, un groupe de policiers ou militaires est rassemblé. Des officiers, au vu des médailles et rubans agrafés sur leurs vestes. Dans des attitudes informelles, ils discutent les uns avec les autres, comme s'ils attendaient quelque chose. A l'autre bout de la place, une scène est presque totalement montée : Saint Pétersbourg s'apprête à fêter les 120 du cinéma russe.

Sur la gauche du Musée, au-dessus des cimes d'un parc verdoyant s'élève la tour de l'Amirauté, dont les bâtiments jaunes et le toit rouge sont déjà visibles à l'orée du parc pour rapidement disparaître derrière. Je passe entre l'Ermitage et l'Amirauté et rejoint le bord de la Neva pour une nouvelle séquence émotion : en face de moi, au-delà des deux cent mètres de largeur du fleuve, entourée d'une fortification pas très haute, la fine pointe dorée de la Cathédrale Pierre et Paul s'élève dans le ciel bleu, au milieu de la forteresse du même nom. Je pense une fois de plus à papa : je suis sûre qu'il aurait aimé la voir, cette forteresse, lieu d'emprisonnement de célèbres opposants politiques, et dernière demeure des tsars de Russie.

Je ne veux pas traverser tout de suite et découvrir trop tôt la forteresse, qui est pourtant accessible via plusieurs ponts. Je décide donc de longer la rive de la Neva vers l'est. De nombreux bâtiments d'état s'élèvent sur cette rive, comme le théâtre de l'Ermitage et le Palais de Marbre. A quai, de l'autre côté du fleuve un grand voilier de bois est amarré - que je soupçonne d'être un bar restaurant flottant ou un lieu d'événements. Deux drôles de sculptures monumentales, deux colonnes rouges ornées de motifs en reliefs dont je ne distingue pas bien les formes, ferment la pointe de l'île ouest - l'île Vassilievski. Mais je m'éloigne de plus en plus de cette pointe en continuant ma promenade vers l'est. Au niveau du jardin d'été la rive opère un virage vers le sud et me ramène vers le centre, non loin de la Cathédrale du Saint Sauveur sur le Sang Versé dont j'aperçois à nouveau les dômes au-dessus des toits.

Alors que je bifurque à gauche dans une grande avenue pour continuer un peu vers la pointe est, mes yeux accrochent une grande banderole qui traverse la rue et que je déchiffre : Championnat du monde de Hockey sur glace à Moscou et Saint Pétersbourg, du 6 au 22 mai 2016.

Génial ! Il faut que j'arrive à voir ça ! Les russes doivent être forts à ce sport, si je tombe sur une fan zone - comme on a pris l'habitude d'en faire à chaque grand événement sportif - je devrais vivre un très bon moment et me régaler de l'ambiance ! J'essaierai de trouver des infos à ce sujet. En attendant, je passe devant le Palais de Tauride, qui fut le siège de la Douma avant son déménagement à Moscou, et qui accueille aujourd'hui l'assemblée parlementaire des pays membres de la CEI. Je me promène dans ses jardins et constate qu'ici aussi les amoureux accrochent des cadenas aux ponts enjambant le moindre cours d'eau. Mes pas me ramènent vers la façade principale, dans Chpalernaya Oulitsa, qui file en droite ligne jusqu'à la Cathédrale de la Résurrection. Heureusement que j'en verrais de belles représentations sur des cartes postales, car ce jour-là et pour quelques temps encore, la Cathédrale est recouverte d'un échafaudage et d'un drapé blanc qui me laisse croire, en arrivant de loin, que je m'approche d'une structure de béton en forme d'obus à plusieurs têtes ! Ou une station spatiale prête au décollage. La beauté bleue et blanche des bâtiments qui l'entourent laisse deviner que la Cathédrale aura fière allure une fois restaurée.

En contournant la Cathédrale, je tombe à nouveau sur le fleuve. Je n'ai pas envie de retourner tout de suite vers le sud, du coup je repars d'un bon pas vers l'ouest pour passer sur l'autre rive de la Neva, à l'est de l'île de la forteresse Pierre et Paul. Je retrouve le pont Litieynyi et traverse le fleuve. Cette rive me paraît plus moderne, plus populaire. J'y devine un quartier d'affaire qui s'étend sur la gauche. Je remonte un peu la rive vers l'ouest, attirée par un bâtiment militaire, puis tourne résolument le dos à la forteresse Pierre et Paul, qu'un petit pont rend vite accessible, pour marcher vers une grande esplanade au milieu de laquelle j'aperçois une statue de Lénine. Un panneau indique la Gare de Finlande, la gare qui conduit les russes vers le nord.

Tournant le dos à la gare, Lénine semble haranguer les foules - enfin plus exactement un parterre de fleurs étendu à ses pieds. Une main tendue en avant, l'autre broyant son chapeau. Je trouve cette statue étonnante, détonnante dans  cette ville qui conserve la gloire de son histoire impériale. Alors que j'observe les détails réalistes de la sculpture, un vieux tram au rouge passé s'approche et passe en arrière plan. Je me dirige vers l'est, pour me rendre sur l'île aux Lièvres. Je dois longer l'académie militaire pour retrouver un peu plus loin le pont Sampsonievski. Le quartier que je traverse me semble plus moderne, avec de nombreux bâtiments de bureaux vitrés, banques, centres commerciaux. L'avenue qui conduit au pont, le pont lui-même et le fleuve : tout me paraît immense et extra large. En abordant le carrefour qui conduit à la traversée du fleuve, je tombe sur un panneau vitré dont je déchiffre l'affiche : "Saint Pétersbourg, ville de toutes les religions". Sur l'affiche figurent plusieurs symboles et monuments : je reconnais la basilique du Saint Sauveur, une mosquée, la flèche de la Cathédrale Saint Pierre et Paul, mais j'y découvre aussi deux sculptures rouges ornées de symboles dont j'ignore le sens, et un autre grand bâtiment rouge et or. Ville de toutes les religions... pas vraiment ce à quoi on pourrait s'attendre en Russie, mais Saint Pétersbourg est connue pour son ouverture sur le monde.

De l'autre côté du pont, sur ma gauche, un beau bâtiment bleu et blanc attire mon attention. En m'approchant, j'aperçois de jeunes hommes en uniformes et bérets blancs de la marine. Vu le nombre de ces jeunes aspirants tout autour du bâtiments et dans le parc qui le jouxte, j'en déduis que je suis devant l'école de la marine. J'imagine que cela doit être assez prestigieux de faire partie de ce corps d'étudiants ici à Saint Pétersbourg... En face de l'école, le croiseur Aurore, navire de guerre, est amarré, devenu navire-musée.

Je marche jusqu'à l'école militaire, puis la dépasse et longe la pointe en direction de l'île aux Lièvres. Les bords de la Neva sont aménagés pour la promenade, le regard porte loin sur les rives d'en face. Un trois mâts est amarré un peu avant le pont Troïtsky. Celui-ci accueille un bar restaurant et sans doute des soirées. Face au jardin bordant le quai, se dressant vers l'est, un très long bâtiment jaune s'étend sur une centaine de mètres. C'est la maison des prisonniers politiques. Je ne sais pas si elle se visite - en tout cas aujourd'hui c'est fermé - ni si la maison cette "maison-commune" est toujours utilisée ou bien si elle a été transformée en musée. Au-dessus des arbres, sur ma gauche, une coupole se détache : je reconnais la forme de la coupole de la Mosquée que j'ai vue sur l'affiche. Je traverse le jardin pour aller la voir de plus près. J'admire longuement les jolies mosaïques bleues qui ornent sa porte d'entrée. Le dôme aussi est très joli. Elle a deux minarets. Cent mètres à peine la sépare du pont Ioannovsky menant à la forteresse Pierre et Paul. Je suis toute émue alors que je m'apprête à traverser le pont pour poser le pied sur l'île aux Lièvres. Je ne visiterai rien aujourd'hui, juste m'imprégner de l'atmosphère des lieux et du plaisir de me trouver là. Les berges de l'île sont entretenues, ménageant espaces de détente sur la pelouse mais également plages de petits cailloux pour les nageurs - et il y en a quelques uns justement dans l'eau. Je n'aurais pas imaginé qu'on pouvait se baigner à Saint Pétersbourg, dans la Neva ! La flèche de la Cathédrale domine le mur d'enceinte de la forteresse. Je franchis le pont de bois et pose le pied sur les pavés de la route qui entre dans la forteresse. A mon étonnement, l'espace est dégagé et verdoyant derrière la porte. Je découvre de grandes allées sablonneuses ou pavées, traversant les jardins ou longeant les bâtiments. Ce n'est pas la foule, côté touristes, au contraire c'est très calme et clairsemé, si bien que ma promenade dans ce haut lieu de l'histoire russe est très paisible.

La couronne impériale surmonte la porte d'entrée, sur laquelle est gravée l'inscription "Année 1740". La ville a pris racine sur cette île au début des année 1700. Place forte, elle abrite la Monnaie nationale, mais surtout la prison qui accueillit de nombreux prisonniers politiques et la Cathédrale dans laquelle reposent tous les tsars depuis Pierre le Grand.

Depuis la porte de la forteresse, un chemin guide le visiteur jusqu'à la Cathédrale en passant devant plusieurs petits musées ainsi que le Musée d'histoire. Juste avant d'atteindre l'arrière de la Cathédrale, un drôle de monument à Pierre le Grand se présente sur ma gauche. Un personnage étrange, assis, quasiment chauve, avec un buste bien disproportionné par rapport au reste du corps et notamment de la tête, qui semble du coup toute petite. Curieux. A vérifier si c'est bien lui, car il ne ressemble pas aux autres représentations que j'ai pu en voir.

Le palais de la monnaie fait quasiment face à l'entrée de la Cathédrale, sur une petite place vide qui ne me laisse pas beaucoup de recul pour tenter d'immortaliser dans sa splendeur cette Cathédrale toute fine et élégante. Ca y est j'y suis ! Le mausolée des tsars, un autre monde enterré ici... J'ai hâte de revenir et de lire sur les tombeaux les grands noms de l'histoire russe. Des bancs sont installés devant l'église. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'en profite pour m'asseoir quelques minutes et contempler la façade du bâtiment en écoutant un air de musique classique diffusé par des petits hauts parleurs disséminés le long des jardins.

Je m'éloigne de la place pour rejoindre le bord de la Neva, d'où j'aperçois les bulbes de Saint Sauveur sur le Sang Versé au-dessus des toits de la ville. Je découvre également, un peu plus loin, les fameuses colonnes rouges aux sculptures bizarres, que j'ai vues tout à l'heure sur l'affiche.

Et en face, le Palais de l'Ermitage. Ces perspectives depuis les rives du fleuve sont vraiment un des atouts charmes de cette ville. Il faudra absolument que je revienne en hiver, pour découvrir l'autre visage de Saint Pétersbourg sous la neige et avec les rives de la Neva gelée...

Des flâneurs profitent des rayons du soleil sur les berges de l'île, allongés dans l'herbe ou bien assis sur de petits rochers émergeant. Je me régale à me promener le long du fleuve, pour quitter l'île par le pont ouest, le pont Kronversky. En remontant vers l'ouest je passe à proximité du Bastion Troubetskoï, qui accueillit quelques prisonniers célèbres. De l'île aux Lièvres, je passe sur l'île Vassilievski. Je passe devant le voilier - resto de luxe, type navire du capitaine Crochet. Il est magnifique et ce que j'aperçois de l'intérieur paraît somptueux. Ce n'est pas exactement le lieu pour un café ou une boisson fraîche vite absorbée.

Dans le prolongement de la poupe, les deux tours rouges grandissent dans mon champs de vision. Les points de vue sur l'Ermitage et la Cathédrale Pierre et Paul sont tout aussi splendides et je ne me lasse pas de prendre des photos.Enfin me voici face aux fameuses tours et je peux en observer les détails. Les colonnes rostrales semblent former la porte d'une grande place ouverte vers le nord est et donnant un point de vue panoramique unique sur le coeur de la ville.  Traditionnellement, ce type de colonnes commémore des victoires navales. C'est pourquoi je découvre que les drôles de sculptures que je voyais de loin sortir des colonnes sont en fait des proues de bateau. Elles servaient également de phare, la pointe de l'île ayant abrité le premier port de Saint Pétersbourg avant que la flotte soit un peu trop envahissante. Au pied des deux colonnes, des statues préfigurent les grands fleuves de la Russie : Neva, Volga, Dniepr et Volkhov. Sur la place en arc de cercle, les tables d'un café me tendent les bras. L'endroit idéal pour prendre le temps de boire un verre en savourant le bonheur d'être ici. Je décide donc d'en profiter et de reposer un peu les jambes par la même occasion.

Un peu plus tard, en traversant le Pont du Palais, je rejoins la rive sud de la ville et remonte les quais vers l'Ermitage. Par les jardins d'hiver je retrouve la place du Palais avec la colonne Alexandre, et rejoins la Perspective Nevsky pour retrouver la vie de début de soirée sur la principale avenue de Saint Pétersbourg. Pour mon plus grand plaisir, la musique a envahit l'avenue. A intervalles réguliers, des musiciens se sont installés et ont capté l'attention des passants. Groupes de rock ou chansons folkloriques, l'ambiance me plaît et je passe d'un groupe à l'autre avec bonheur. Au niveau de  Notre Dame de Kazan je retrouve, sur le trottoir d'en face, mon allée fétiche avec les stands de livres et la statue de Gogol. Vraiment dommage de ne pas pouvoir faire le plein de livres en russe ! Un peu plus bas sur l'avenue, un homme sculpte d'énormes bulles de savon pour les enfants. Je m'arrête pour acheter un blini au caviar à emporter. Il fait doux, la soirée est belle, c'est l'été à Saint Pétersbourg et il fait bon se promener en profitant des animations. je me sens moins dépaysée ici qu'à Moscou ou sur la route entre la frontière et la capitale russe, je retrouve un parfum familier dans l'air et je le regrette un peu car je sais que tout, dorénavant, va me paraître de plus en plus familier. Mais la richesse du patrimoine entretient mon enthousiasme, il y a tellement de choses ici que je voulais voir depuis longtemps ! Lorsque la fatigue se fait sentir, je cherche au milieu des enseignes un cyber pour pouvoir me poser et poursuivre la rédaction du blog. Je dois remonter Nevski sur une bonne distance avant d'y parvenir. Le cyber se trouve au premier étage d'un petit centre commercial sur la perspective. Il est assez grand, et je m'installe dans un coin tranquille, écouteurs sur les oreilles. Pour me mettre dans l'ambiance je cherche sur youtube des chansons russes actuelles, histoire de découvrir peut-être des musiques que je pourrais télécharger et écouter plus tard, quand j'aurai envie de me replonger dans les souvenirs du voyage.

Trois heures plus tard, j'ai bien avancé. J'en profite pour envoyer un mail aux parents, et pour répondre à Céline qui me confirme le rendez-vous dans quatre jours avec sa petite famille pour une dernière soirée tous ensemble à Saint Pétersbourg. La nuit est tombée quand je quitte le cyber. Une nuit toute relative, puisque le ciel est clair. Je marche tranquillement vers l'auberge, repérant au passage un petit supermarché pour acheter de quoi me faire un sandwich pour ma première journée de visites demain, et une petite soupe pour ce soir car le blini est déjà digéré depuis longtemps.

Ce soir, je ne suis pas seule en cuisine. Un russe d'une trentaine d'années termine son dîner, qui ressemble à un ragoût. Il va dormir tôt ce soir, il commence à travailler demain matin et démarre à l'aube. Nous sommes dans le même dortoir, et lorsque je vais m'installer sur mon lit pour la fin de soirée il dort déjà, en tout cas son rideau est tiré.

Nous ne sommes pas nombreux dans l'auberge, en tout cas je croise peu les autres pensionnaires, pour la plupart des russes, surtout des hommes. Il doit y avoir un couple d'étrangers, j'ai entendu une fille parler avec un gars en anglais dans la chambre derrière un rideau mais on ne s'est pas croisés.

Au réveil le lendemain je suis en grande forme et excitée par le programme de visites qui m'attend. Je suis seule au petit déjeuner mais ça me va bien, j'ai l'impression de vivre dans un grand appart, c'est cool. Je commence la journée par la Cathédrale Saint Sauveur sur le Sang Versé. Pour y aller, je décide de varier mon trajet. Cette fois, je passe par le cirque Ciniselli, le château des Ingénieurs et le monument à Pierre 1er, et rejoins le point de rencontre entre la Moïka et la Fontanka. Alors que je traverse le premier pont (le pont du 1er ingénieur), je vois des touristes désigner quelque chose en contrebas sur la berge. Je jette un oeil, et découvre un petit oiseau sculpté sur un petit promontoire de pierre et surplombant le fleuve. Je n'ai aucune idée de ce dont il s'agit sur le moment, c'est plus tard que je lirai la légende de ce petit pinson de bronze, la plus petite sculpture de Saint Pétersbourg. Apparemment la tradition veut qu'on tente de faire tomber une pièce aux pieds du pinson, pour s'attirer les faveurs de la chance. Créée par Revaz Gabriadze, comédien, directeur de théâtre, compositeur et sculpteur géorgien, l'oiseau pèse 5 kilos et mesure 11 centimètres de hauteur.

Je n'ai plus qu'à longer la Moïka et retraverser la petite largeur du fleuve un peu plus loin pour arriver, par le canal Griboyedov, devant la fabuleuse Cathédrale du Saint Sauveur sur le Sang Versé - je ne me fais décidément pas à ce nom étrange !

Après avoir encore pris le temps d'admirer sa façade chargée de motifs sculptés, peints, décorés, j'entre enfin dans la Cathédrale. La visite tient ses promesses, je trouve l'intérieur magnifique, avec des teintes bleues que je trouve très belle et une hauteur impressionnante. Il ne reste plus un centimètre carré qui ne soit pas recouvert de mosaïques ou peint, c'est chargé mais j'aime, y compris les jolis lustres. Devant l'autel un groupe d'enfants est massé autour de celle qui doit être leur maîtresse. Je me rends compte qu'ils ont tous des visages assez typés asiatiques, ronds et plats. Ils portent tous un drôle de chapeau blanc à rabat, et je découvre dessus l'inscription "Kirghizistan". J'ai à nouveau l'impression de toucher du doigt la diversité des cultures et des origines de la Russie et surtout de l'ancienne Union Soviétique. Ils viennent de loin, ces jeunes. Je me demande comment leurs professeurs leur racontent l'histoire, aujourd'hui. Je me demande ce que ça fait d'être en visite dans un pays auquel on était intégré récemment, et qui est désormais un voisin... Voilà des questions qu'on ne se pose pas du tout à Paris !

J'admire encore des icônes argentées, la porte scintillante de pierres et d'or qui mène au saint des saint, le Christ Pancrator qui nous bénit depuis le plafond, et l'autel qui marque l'emplacement où l'empereur Alexandre II fut mortellement blessé. Les pavés de la route sur laquelle l'empereur tomba sont exposés au regard des fidèles et des touristes.

En bonne touriste que je suis, d'ailleurs, je vais faire mon petit tour de boutiques à souvenirs le long du canal, toujours tiraillée par l'envie de rapporter une matriochka de Russie. Mais bon, ce n'est pas du tout sur ces stands que je vais trouver de la qualité donc j'abandonne vite l'idée. Par contre je trouve mon petit - enfin, mon grand écusson du drapeau russe à coudre sur mon sac. Ils n'ont pas de petits format, cet écusson prendra donc beaucoup de place par rapport aux autres pays ! Question souvenirs, j'ai aussi le choix entre de multiples tshirts à l'effigie de Poutine en mode héros : Poutine en train d'exécuter un Mawashi Geri pour mettre Obama K.O. avec ce slogan : "Notre réponse", Poutine torse nu à la chasse au lion, Poutine en tenue militaire derrière un ours... Incroyable que les gens achètent ça ! Ca laisse rêveur...

Mon prochain objectif est la Cathédrale Notre Dame de Kazan, et je remonte le canal jusqu'à la perspective Nevski. Sur le trottoir, une petite camionnette est garée, portes arrière ouvertes, laissant apparaître une installation artisanale : percolateur à droite, frigo à gauche, et sur l'intérieur d'une des portes le menu du jour : un large choix de cafés, thés, sirops et jus de fruits. Je m'arrête et demande un café, charmée par cette installation de fortune à taille humaine. Un peu plus loin, l'enseigne Rive Gauche écrite en cyrillique au-dessus d'un magasin attire mon attention. Magasin d'objet design pour la maison... Paris fait toujours rêver !

Je retrouve l'emblématique Maison du Livre, qui fait quasiment face à Notre Dame de Kazan. Une fois traversée la Perspective Nevski, me voici bientôt devant la statue de Koutouzov, qui trône quelques mètres devant l'arc de cercle des colonnades de la Cathédrale. Avec son collègue le général Barclay de Tolly, ils rappellent à tous la victoire sur l'armée napoléonienne lors de la campagne de Russie. A peine ai-je mis le pied à l'intérieur de l'édifice, je sens une ambiance totalement différente de Saint Sauveur sur le Sang Versé. Bien plus recueillis, les gens avancent silencieusement et dans la contemplation. Je repère tout de suite une queue de personnes attendant pour pouvoir prier quelques minutes devant une icône : celle de Notre Dame de Kazan. J'observe un long moment l'attitude fervente des gens qui patientent puis restent tête baissée, mains jointes, devant l'image adorée. La cathédrale est sombre et vaste, et une petite musique en sourdine rend l'atmosphère pesante. Je ne me sens pas très bien dans cette église, il y règne une ambiance mortifère je trouve. Huit mille personnes se réunirent ici en 1893 pour les obsèques de Tchaïkovky. La foule ne désemplit pas devant l'icône sacrée, tandis que je prends le chemin de la sortie pour retourner à l'air libre et à la lumière du jour.

Remontant vers le nord ouest, je quitte Nevski dès que je peux pour longer la Moïka en direction de l'Ermitage et des jardins. Je me garde l'Ermitage pour demain, aujourd'hui je veux faire les jardins et les environs. Je passe par le pont bleu, et le jardin Saint Isaac, derrière lequel se dresse un nouvel édifice aux belles proportions et à la coupole dorée énorme, soutenue par de nombreux et fins piliers. C'est la Cathédrale Saint Isaac. J'aperçois des gens en train de se promener sur la coupole. J'ai envie de grimper là-haut pour avoir une belle vue en hauteur sur la ville. C'est donc parti pour la visite de la troisième cathédrale de la journée ! C'est également la troisième plus grande cathédrale d'Europe, après Saint Pierre de Rome et Saint Paul à Londres. D'un style encore totalement différent des autres, elle est très large et offre de nombreuses peintures et dorures à observer à l'intérieur. C'est très beau, avec une dominante orangé et vert cette fois-ci, et beaucoup de marbre de multiples couleurs. Un lustre particulièrement énorme et chargé de bougies pend du plafond juste sous la coupole centrale. Enfin j'accède aux escaliers qui mènent à la promenade sur les toits, tout autour de la couronne. Je suis ravie de pouvoir observer les perspectives sur la ville depuis ces hauteurs ! Le ciel est voilé et Saint Pétersbourg apparaît étendue et plate. Je repère ça et là les bâtiments remarquables. Au sud, le Palais de Marie et le monument à Nicolas 1er. A l'est, Saint Sauveur sur le Sang Versé et l'Ermitage avec la colonne d'Alexandre. Au nord, la forteresse Pierre et Paul, le palais de l'Amirauté, ma coupole de la Mosquée... A l'ouest, le port et les énormes machines de levage des containers.

Depuis les hauteurs de la cathédrale j'ai repéré la statue équestre de Pierre le Grand, dans les jardins d'Alexandre. Je m'y rends donc en quittant l'église, pour aller admirer de plus près le fondateur de Saint Pétersbourg. Ca vaut le détour. Fièrement cabré sur ses pattes arrières, le cheval de l'empereur s'élève sur un rocher de plus de trois mètres de hauteur. Aux pieds de la statue, un couple se promène en costumes d'époque et perruques, se soumettant volontiers aux demandes de photographies des touristes. Catherine la Grande et Pierre le Grand, j'imagine ? La robe de la prétendue Catherine me semble un peu trop bariolée mais je ne suis pas une spécialiste... Les nuages se sont épaissis et quelques gouttes de pluie commencent à tomber. Pas denses, mais humides tout de même. C'est le moment de m'arrêter quelques minutes à couvert, pour faire une pause déjeuner. Le temps d'avaler un plat chaud dans un genre de self cantine sans charme, la pluie s'est arrêtée. Je me remets en route en commençant par me perdre dans les petites rues qui bordent les quais, m'amusant à passer d'un pont à un autre, d'une perspective sur la ville à une autre.

Une nouvelle publicité sur le championnat du monde de hockey me rappelle l'événement. Il faudra que je trouve le moyen de voir un match, si possible dans un bar, si je peux en trouver un avec une télé et des spectateurs en délire devant, histoire de tester l'ambiance des supporters russes ! L'envie me prend de remonter toute la perspective Nevski, pour mesurer sa longueur infinie.  Je ne sais pas combien de kilomètres elle fait, mais elle s'étire vraiment loin en ligne presque droite !

Sans le savoir j'ai eu une excellente idée, puisqu'en dehors de me faire sillonner la ville en observant le changement d'architecture et de vie en m'éloignant du coeur de ville, la perspective Nevski me conduit droit jusqu'au monastère Alexandre Nevski. 

L'avenue se termine par un grand rond-point avec la statue de Nevski. Quelques mètres derrière, une porte s'ouvre sur ce qui ressemble à un jardin. Je m'aventure par là, pour découvrir qu'un chemin traverse des parcelles enceintes d'un muret jaune pâle

 

.Je ne peux pas voir ce que ce mur cache, mais par-dessus les arbres j'aperçois des bulbes. Au bout d'une centaine de mètres, deux portes de font face, donnant accès à la Nécropole des maîtres des beaux arts. En poursuivant, j'arrive sur un petit pont enjambant une rivière. Ce pont achève sa course devant le portail d'entrée du monastère couleur rose bonbon. J'achète un billet et commence à faire le tour du monastère et de son petit cimetière aux tombes disséminées sous les arbres. Je trouve beaucoup de charme à ce site. Le côté kitch des bâtiments, les couleurs, les petits chemins qui serpentent sous les arbres et ménagent des espaces de pause ombragés et calmes. Certaines tombes sont surmontées d'une statue figurant le personnage. N'ayant aucune idée de qui peut être enterré là, je déchiffre avec curiosité les stèles. Mais aucune ne m'évoque de personnage connu.

L'avenue se termine par un grand rond-point avec la statue de Nevski. Quelques mètres derrière, une porte s'ouvre sur ce qui ressemble à un jardin. Je m'aventure par là, pour découvrir qu'un chemin traverse des parcelles enceintes d'un muret jaune pâle

 

.Je ne peux pas voir ce que ce mur cache, mais par-dessus les arbres j'aperçois des bulbes. Au bout d'une centaine de mètres, deux portes de font face, donnant accès à la Nécropole des maîtres des beaux arts. En poursuivant, j'arrive sur un petit pont enjambant une rivière. Ce pont achève sa course devant le portail d'entrée du monastère couleur rose bonbon. J'achète un billet et commence à faire le tour du monastère et de son petit cimetière aux tombes disséminées sous les arbres. Je trouve beaucoup de charme à ce site. Le côté kitch des bâtiments, les couleurs, les petits chemins qui serpentent sous les arbres et ménagent des espaces de pause ombragés et calmes. Certaines tombes sont surmontées d'une statue figurant le personnage. N'ayant aucune idée de qui peut être enterré là, je déchiffre avec curiosité les stèles. Mais aucune ne m'évoque de personnage connu.

Du moins dans cette partie. Car lorsque je passe du côté de la nécropole des artistes, je me retrouve face à la tombe de Rimski - Korsakov, Tchaïkovski, Moussorgski, Rubinstein, Stravinski... Pour une visite non programmée, voilà une belle surprise. Cette promenade hors du temps m'a fait quitter la grande ville pendant quelques instants. Je quitte la nécropole et remonte par les mêmes petits chemins et le même petit pont vers la perspective Nevski. La journée est déjà bien avancée, j'en ai plein les pattes. Je reprends la marche vers l'ouest et remonte l'avenue pour retrouver mon cyber. Il est temps que je me pose, et que je détende un peu mes jambes en avançant sur le blog. J'ai un retard abyssal à rattraper. Il me faut bien une bonne demi heure de marche pour retrouver mon cyber, toujours aussi calme et peu fréquenté. Je m'installe au même poste que la veille, et reprends là où j'en étais hier - non sans avoir branché mes écouteurs et lancé une playlist de musiques russes.

Trois heures plus tard, en sortant du cyber à 22h, je suis surprise par la drôle de luminosité dans le ciel. La nuit s'installe, mais on se croirait toujours en fin d'après-midi d'été. C'est très étrange de constater à quel point cette luminosité est particulière. On dirait un crépuscule sans fin. Il fait nuit mais il ne fait jamais tout à fait nuit. L'obscurité enveloppe la ville, mais le noir n'arrive jamais. Mon cerveau a du mal à se situer dans le temps, on dirait qu'il est 20h mais il est 22h30 passé. Je savoure cette sensation en remontant la perspective à pied jusqu'à retrouver la rue qui me ramène à l'auberge de jeunesse. Dans la grande salle commune, trois hommes sont installés sur les canapés et à la table de bois, regardant la télé ou leurs téléphones portables, sous le regard du buste de Lénine. Je vais me cuisiner ma traditionnelle petite soupe dans la cuisine avant de venir me poser moi aussi sur un canapé pour vérifier mes mails et regarder quelques pages internet sur les sites que j'ai vus aujourd'hui et ceux qui m'attendent demain. Grosse journée demain, à nouveau, avec deux perles de Saint Pétersbourg : l'Ermitage et la forteresse Pierre et Paul.

Je saute du lit à 7h30 pour démarrer cette journée marathon qui me promet des merveilles, d'autant que le soleil est de retour. Le temps de savourer un bon café accompagné de mes céréales préférées, je descends à grandes enjambées l'escalier à 8h30 et avale en un rien de temps les cinq cent mètres qui me séparent de la place du palais. J'ai bien fait de venir aussi tôt : la queue commence déjà pour l'achat des billets, mais elle avance très rapidement à cette heure-ci. Je me faufile avant un groupe de touristes asiatiques et prends mon billet vite fait avant de laisser mon sac à dos à la consigne pour ne garder que mon appareil photo. Me voici donc enfin dans ce musée mythique ! Je me sens privilégiée. Le bâtiment est déjà superbe en soit. Il paraît qu'il compte près de mille salles et contient le plus grand nombre d'oeuvres exposées parmi tous les musées du monde.  Je passe la majeur partie de la visite ébahie devant la beauté et le faste des salles, toutes plus belles les unes que les autres. Tout brille, scintille, les couleurs tranchent, les peintures monumentales ornent les plafonds, les lustres dorés habillent l'espace. Je passe plusieurs heures fabuleuses à rassasier ma curiosité, fascinée par la beauté des lieux - finalement les oeuvres d'art m'émeuvent peu, je suis plus sensible à l'histoire et à la charge symbolique des objets, lieux, meubles et représentations qui réveillent le souvenir des cours d'histoire ou des livres et films que j'ai pu voir ou dévorer sur les différentes époques de l'histoire de la Russie. Les salles des trônes (j'en verrai deux), les blasons, les couronnes en or, les grands portraits sur pied, la salle de réception, la marquèterie, les galeries de portraits, les chapelles, les tapisseries ... je prends conscience du sens du mot magnificence. J'ai pourtant visit beaucoup de châteaux et palais depuis mon enfance, mais aucun ne m'a laissé cette impression de beauté fabuleuse dans le moindre détail.

Cela donne tout de même un côté factice, entièrement restauré et finalement sans âme, un monde imaginaire reconstitué mais dans lequel tout est tellement immaculé et intact qu'on n'imagine pas de vie dans ces murs. J'admire quelques belles pièces de mobilier, des vases énormes, la statue de Platon, un superbe piano à queue, de grands portraits de la Grande Catherine, une collection de traîneaux, des objets couverts de pierres précieuses, des vêtements d'époque, la magnifique horloge du paon en cuivre doré - la plus ancienne horloge automatique, et tout particulièrement une bibliothèque en bois comme je rêverais d'en avoir chez moi un jour... Et puis bien sûr tous les tableaux de maîtres. Je passe trois heures hors du temps. L'appareil photo chauffe, partout où mes yeux se posent je suis subjuguée.

Fatiguée mais heureuse, je sors du Musée pour retrouver un ciel blanc. Le soleil s'est à nouveau caché.

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