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LETTONIE - LITUANIE - ESTONIE

5 avril 2016 - 3 Mai 2016

Aie aie aie, ca va etre complique de poursuivre le blog ici : pas de cyber !! Je profite de dix minutes qu il me reste sur l heure qu on m a accordee a la bibliotheque de l universite de Riga pour utiliser gratuitement un ordi. J ai pu finir mes demarches concernant l obtention du visa russe, Par contre je n ai pas le temps d ecrire quoi que ce soit sur le blog. Juste que je suis plus heureuse que jamais d etre ici, je ne sais pas pourquoi, mais cette odeur de bois dans les rues, ce froid qu i m accueille apres tant de mois au soleil, ces eglises aux coupoles dorees et qui sentent l encens a l interieur, ces gens tres types semblant venir d un autre temps, ce melange de letton et de russe dans la rue, c est tout simplement l immersion dans un autre monde ! Et j adore ca. Depuis hier je me balade avec un sourire beat sur les levres, meme si peu de gens me rendent ce sourire - ah les lettons et les russes n ont pas la chaleur des mexicains et guatemalteques, c est sur ! Je suis contente, super contente. J avias rendez-vous depuis longtemps avec l Europe du nord est, Enfin j y suis, et la sensation est intense... Et doublee du plaisir de retrouver aussi mes parents demain ! Apres quatorze mois sans se voir, Je suis pressee, tellement pressee ! Et contente de les voir aussi tout excites. Vivement demain, ca va etre super de decouvrir ensemble les capitales des pays baltes !

 

J ai achete hier un cahier pour ecrire sur du papier a defaut de tenir le blog sur le net...  Dans la soiree j ai commence a ecrire tout en ecoutant les chansons d Yvan Rebroff et les choeurs de l armee rouge que j ecoutais quand j etais ado, Pas seulement moi, d ailleurs, ces chansons ont berce la famille, en alternance avec les chansons tyroliennees et les balades napolitaines !

 

Quant la la suite... depuis hier, tout est devenu tres incertain. Les jours a venir vont etre determinants. Il se pourrait que je rentre plus tot pour des questions personnelles. Dans un cas comme dans l autre, je me sens tres sereine.

On verra,

Pour l instant, place aux retrouvailles avec papa et maman demain a 13h55 a l aeroport de Riga, et place au road trip dans les pays baltes !

 

 

.....

 

Ah ah, j ai trouve une autre bibliotheque ! Allez hop, deux heures pour avancer un peu... et au moment ou je m apprete a ecrire, voici , dans la bibliotheque, des notes qui s elevent totu a coup d un piano. Comment dire tout le charme de cette ambiance ?... Ca ne derange personne, au contraire ca inspire, ca calme, et puis c est tellement beau et ca va tellement bien avec ce ciel gris-bleu qui succede au beau soleil de la matinee... L ai-je deja dit ? Je suis tellement contente d etre ici !...

 

Je ne dors pas. Je somnole. 

Malgre tout le voyage ne passe pas si lentement. Ma voisine me pousse du bras pour que j ouvre les yeux au moment du diner. Les hotesses sont d une indifference totale. A mon avis, seuls les diplomes d un master 12 en clownologie peuvent leur arracher un sourire. Elles font ce qu elles ont a faire, et encore, mais rien de plus. Ma voisine a tout de meme le droit a un ""tout va bien madame ?"" avec un sourire faux, a chaque passage d une hotesse qui parle un peu francais. Mais apres tout, elle a paye pour ca.

 

Je ne dors decidemment pas. J alterne lecture, somnolence, contemplation des etoiles - c est magnifique et flippant. Enfin le jour se leve, et nous approchons des cotes de l Irlande. Mon excitation monte. Je suis de retour en Europe !! C est fou comme ca me rend joyeuse ! Je regarde l ecran et le hublot toutes les cinq minutes pour verifier notre approche. Tout a coup c a y est ! J apercois les cotes de l Irlande ! Ah comme c est bon... On passe au-dessus de Londres, puis on franchit la Manche. Et puis comme une enfant, je goute avec un plaisir immense le survol de la France, pendant dix petites minutes. La France du nord-est. Si pres de la maison... et puis on s eloigne a nouveau. Bruxelles, Cologne... de toute facon je ne vois que des nuages sous  l avion.

Ca ne m empeche  pas d etre heureuse comme tout d atterrir a Frankfort. J ai survecu a ce vol, je rentre a la maison... ou presque..

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Correspondance à Frankfurt
Arrivée à Riga

C est la pluie et la grisaille qui m attendent en Allemagne. Je crispe les epaules en prevision d un froid glacial, mais non, ca va. Je reste meme en tongs - mes chaussures sont presque seches mais je n ai aucune envie de faire macerer a nouveau mes pieds dedans !

Surprise : je sors de l aeroport, et me retrouve veritablement dehors, avec mon sac a dos ""Cancun"" sur les epaules, sans aucun controle, Ca me fait tout bizarre. Il n y a pas de zone de transit, c est direct la sortie ! Sortie en travaux, d ailleurs. Du coup mon environnement est fait d echaffaudages et de casques de chantier. Bienvenue en Allemagne !

Mon cerveau tente de s adapter au fait qu ici, on parle allemand... Je fais appel a mes dix mots d allemand pour demander coomment ca se passe a present.Il faut que je change de terminal, et que je prenne le shuttle gratuit - ca tombe bien, je n ai pas d euro sur moi. Bon... Par reflexe je reponds "gracias" et je me mets en recherche du fameux shuttle. Un chauffeur de taxi m aide a trouver.. Le bus arrive et deverse sur le trottoir l equipe nationale russe de jene sais pas quel sport. Des femmes et des hommes en survet national et parlant russe. Ca me fait tout drole ! Je suis toute contente et voudrais leur dire quelque chose, mais ils ont tous l air tellement absorbes dans leur debarquement et leur correspondance que je n ose pas. Et puis c est pas comme si je parlais russe couramment. J ai le vocabulaire dans la tete, je le sais, mais il faut que je le ramene a mes levres. Pas si simple...

 

Dans le bus, je repere tout de suite une femme voilee, et une black. Je suis de retour en Europe, et j aime ca ! J aime cette mixite. Je m apercois aussi que tout le monde est habille, en toute logique, en manteau et vetements d hiver. Chapeaux, vestes, jeans, chaussures chaudes. La jeune fille a cote de moi est enrhumee. C est vrai que j ai du perdre entre 25 et 30 degres en une nuit. Moi qui ai toujours dit que je ne voulais pas voyager par sauts de puce, parce que j avais envie de voir evoluer lentement les physionomies, les climats, les paysages... je viens de faire le grand saut, et c est pas fini ! En tongs et poncho bariole, je me sens un peu decalee... j ai change de monde. L odeur de schnitzel que j ai humee dans l aeroport me l a confirme !

 

Au terminal 2 de Frankfort, j ai une demi journee a patienter. je pourrais aller faire un tour dans la ville, mais je n en ressens pas l envie. Ca fait tout bizarre d etre dans la rue et de se sentir libre d aller ou on veut.

N ayant pas d euros sur moi, je decide de reste tranquilou a l aeroport. En me promenant dans le hall, je tombe sur des adaptateurs et percute : ah mais oui, depuis le vol de mes affaires au Belize je n ai plus de branchement compatible ;pour l Europe ! J achete donc un adaptateur. Et puis je vais m etendre sur des sieges pour tenter de recuperer un peu, puisque je n ai pas dormi dans l avion.

Et je ne fais toujours que somnoler. Je me leve pour aller chercher un sandwich, ou pour me degourdir les jambes, et je retourne somnoler. Je finis par mettre mes chaussures, savoure un vrai cafe (trop bon ! Enfin un vrai cafe !) vais me laver les dents dans les toilettes, bref : je m occupe. J ai fini Borgia, je m attaque a un roman en russe que j ai telecharge precedemment. oulala... c est pas gagne. C est frustrant, j ai l impression de reconnaitre les mots, mais je ne suis pas sure de la signification. Je relis X fois les memes phrases. Bon. Ok, ca ne va pas revenir instantanement. Mais j ai envie, tres envie de rafraichir ma memoire. 

 

Enfin je passe le portique de securite a 17h, mange un bout de pizza et patiente pres de la porte d embarquement jusqu a l heure indiquee sur mon billet : 18h30. 

Pourtant, quand je me presente a la porte 22 a 18h35 precises (le temps de ranger mon livre dans mon sac et d approcher tranquilou de la porte), je suis seule...

Un employe est au telephone derriere le comptoir, tout seul lui aussi. Vous embarquez ? - me demande-t-il. Oui oui. Il verifie mon billet et me demande de patienter dans la piece a cote... que je decouvre tout aussi vide que celle dont je sors. C est quoi ce bazarre ? Ou sont les autres passagers ?? Lorsque l employe me rejoint et m invite a le suivre en bas, je le questionne : "mais je suis la seule a embarquer ??" - Non, vous etes la derniere, me repond-il gentiment. Oups... bah c est quoi ce bins ? Ils ont embarque comment, les autres ? J etais a cote de la porte et je n ai vu personne ! Bon...

En bas de l escalier, un bus m attend... et me conduit aux pieds des marches de l avion, sur le tarmac. L avion d Air Baltic est encore plus petit que le premier que j ai pris a Cancun. Mon dieu, ca vole, ca ? Je monte cinq marches et vais m asseoir a mka place. Chouette, il n y a personne a cote de moi ! Je vais encore pouvoir regarder par le hublot. Enfin en meme temps, la nuit tombe... A ma gauche, sur les sieges de la rangee qui me precede, un asiatiqueregarde partout avec la meme curiosite que moi. C est drole, tous les asiats qui voyagent ont le meme look : cheveux mi-longs, bouc ou moustache et barbichette, lunettes, casquette.. J aime assez le look du globe-trotter asiat. Je ne sais pas pourquoi mais ils ont toujours l air beaucoup plus intelligents que les autres !

 

A peine avons-nous tourne l avion face a la piste d envol que le pilote met les gaz ! Ah bah on ne perd pas de temps. Mais ca m angoisse un peu. Je trouve qu on ne va pas assez vite. Attends attends, ca va pas le faire, la.... Mais si, ca le fait. L avion decolle, vacille un peu a droite, a gauche, puis met le cap sur les nuages. Je ne detache pas les yeux de l aile droite, guettant un eventuel arrachement parce que je trouve qu elle tremble un peu... Mais bien sur tout se passera bien, et je finis par me detendre. Nous voici au-dessus des nuages. J essaie encore de dormir, mais decidemment rien n y fait.

 

Trois heures plus tard, on nous annonce l atterrissage. Et voila les petites lumieres lettonnes en-dessous. J apercois une grande ville, et puis une autre, toutes illuminees, mais entre les deux tout est noir, tres noir. Ca semble totalement inhabite entre les deux. Y a-t-il tellement de forets autour de Riga ? Je ne me rends compte de rien. Cette fois ca y est, je suis en Lettonie... waouhhh... et dans trois jours, mes parents arrivent... re-wahouuu... Tout ca me parait dingue !

 

Je ne sais pas parler un mot de letton, donc je dis juste "bye" en quittant l avion. La aussi j ai peur d etre congelee sur place a la sortie, mais on dirait qu il ne fait pas si froid que ca. Allez, recuperons les bagages... Trois policiers et une femme au look d enquetrice nous scrutent a la descente de l avion. Mais apres... c est le desert  !

Il n est que 22h20, je n ai pas traine pour arriver a la recuperation des bagages, mais comme a l embarquement, je suis toute seule ! Et au moment ou j entre dans la zone il n y a deja plus que mes sacoches qui tournent sur le tapis roulant... Le velo m attend a cote, dans un carton tout mouille et dechire par les manipulations. A part deux officiers qui discutent derriere leur comptoir vitre, je ne vois personne d autre dans la piece... Ca me rappelle vaguement mon transit a Moscou avec Sophie, lorsque nous avions eu la sensation d etre dans un desert de bureaux vides... Etrange...

 

Un homme de service entre dans la salle et ramasse quelque chose dans un coin. Je vais le voir et lui demande en anglais si je peux deballer et remonter mon velo ici, puisque visiblement ca ne genera personne. Il leve alors les mains en l air dans une attitude exasperee et me repond qu il n est qu un simple employe, ici, et que je n ai qu a demander au gars qui se trouve derriere un comptoir vitre, plus loin. Bon bon...  Bienvenue en Lettonie... Il s en va, et je vais voir l autre employe. En Amerique centrale, on ne m aurait pas laissee me debrouiller de cette facon. Le gars ne m aurait pas plantee la, il m aurait accompagnee et aurait negocie pour moi la possibilite de m installer ici... autres lieux, autres moeurs...

...

La reputation de froideur des slaves ne me fait pas peur. Ou presque. Mon lien de coeur avec ces regions passe outre ces reactions. Ou en tout cas ca ne m empeche pas d etre heureuse d etre la !

 

Le gars au comptoir ne voit aucun inconvenient a ce que je deballe ici. Parfait. Je pose toutes mes affaires sur les bancs et deballe les sacoches puis le velo.Je mettrai beaucoup moins de temps a le remonter qu a l emballer ! Il n a pas l air d avoir trop souffert. Si ce n est que la roue avant frotte sur les freins. 

Bon, je suis prete... a passer la nuit a l aeroport. Je pousse tout de meme le velodehors, pour realiser que je suis en Lettonie. La nuit est fraiche et claire. Des taxis rouges attendent devant la sortie de l aeroport. Une boutique est encore ouverte (il est 23h). Je vais retuirer des euros au distributeur et me paie un cafe. Oh que ca fait etrange de voir des euros ! J ai l impression que les billets sont faux. Leur taille et leur couleur, tout me parait bizarre. Je paie mon cafe et demande a la jeune fille comment on dit merci en letton/ Poldiets ? D accord ! Bon, en realite je n imprimerai jamais un mot de letton. Focalisant sur le russe et l anglais, il me sera impossible de retenir comment on dit bonjour, au revoir, merci...

Et puis je suis encore impregnee d espagnol, et c est pareil : il me faudra plus d une semaine pour cesser de penser en espagnol, enfin cesser de dire gracias, buenos dias et por favor... De meme, je suis encore tres perturbee par le retour des toilettes avec chasse d eau. Toute la premiere semaine en Lettonie, j aurai le reflexe de jeter le papier dans la poubelle, trouvant bizarre de le jeter dans les toilettes. 

 

Quand je sors avec mon cafe en main, trois hommes sont en train de fumer dehors. Cranes rases, blousons noirs, trapus, visages aplatis... Charmant. Ca ne me rassure pas des masses, et en meme temps je ne me sens pas en insecurite. Etonnant. Visiblement j avais plus d apprehension en Amerique centrale. Quoi qu il en soit, je suis trop contente d etre ici pour etre effrayee. Et puis ca correspond a une certaine image que je me faisais aussi du balte. Je croiserai beaucoup de types differents, mais ce physique de boxeur ou de repris de justice ne me surprend pas, en tout cas. Est-ce parce que je suis en Europe ? Depuis que je me balade dans les rues de Riga, de jour comem de nuit, et meme dans les coins peu attrayants ou lorsque je croise des gens aux allures bizarres, je n ai pas peur.

Le hall des arrivees est quasiment vide. Un jeune homme est assis dans un coin. Je m installe dans un autre coin et m allonge sur les sieges, la tete sur ma sacoche - guidon. Normalement si on essaie de me la voler je devrais me reveiller !

 

Et c est reparti pour un tour : je somnole, mais le sommeil ne vient pas. Je me lève pour aller fumer trois minutes. Lorsque je reviens, la jeune femme qui surveille le hall en faisant des allers et retours entre son bureau et la porte d'entrée m'adresse la parole : "pourquoi avez-vous laissé vos bagages ?" Euh... Question étrange, car je suis seule dans le hall, et que mon vélo est à deux mètres de moi... "Ben, mes bagages sont là" lui dis-je naïvement. Mais on ne s'en tire pas à si bon compte avec la dame, qui, très sérieuse, insiste : "ce n'est pas ce que je vous ai demandé". Ah d'accord, j'ai compris. Bien madame, je ne quitterai plus mon vélo d'un oeil ! Elle acquiesce et s'en va. Bon bon, il ne faut pas rigoler avec la sécurité ici... Et d'une manière générale, les lettons ne sont pas des comiques. Il va falloir que je m'y habitue.

Je retourne m'allonger. Et le sommeil ne vient toujours pas. Les minutes défilent lentement. Je vois passer au moins trois personnes du service nettoyage. Une femme commence par passer un coup de balai. Un homme enchaîne derrière avec la serpillère. Et un troisième arrivera ensuite assis sur un engin motorisé qui lustre le sol. Chacun passe tout près de moi. J'ai jeté mon foulard sur ma tête pour atténuer la lumière fatiguante des projecteurs qui restent allumés. Je ne les vois donc pas mais je devine leurs gestes lorsqu'ils balaient ou lessivent sous mon banc et tout autour. J'entends aussi la porte du bureau s'ouvrir et se fermer, à cinq mètres de moi, à chaque fois qu'un employé entre ou sort, c'est à dire tous les quarts d'heure environ. Je me relève et sors fumer une fois de plus, prenant mon vélo avec moi cette fois au cas où la fille de tout à l'heure passerait à nouveau dans le hall... Il reste encore un chauffeur de taxi dehors. Je le salue, tente de parler un peu avec lui. Comment dit-on bonjour en letton ?  Est-ce bien par là pour aller vers le centre de Riga ? Combien coûte le trajet en taxi ? Non non, pas pour maintenant et pas pour moi, mais mes parents arrivent dans deux jours (j'oublie alors que mes parents ont loué une voiture et n'auront pas besoin des services d'un taxi)... Il me répond mais n'a pas l'air visiblement emballé à l'idée de faire un brin de causette à une heure du matin.Bien. Ma cigarette est finie. Voilà voilà... Alors bonne nuit ! Je rentre dans le hall et retourne m'allonger sur mon banc. Ah non, pas facile de discuter avec les lettons... Je remets mon foulard sur ma tête, cherchant toujours le sommeil. Ca ne marche pas plus qu'avant. Comme je capte internet et que je suis bien réveillée, j'ai l'idée d'aller sur youtube chercher des leçons pour apprendre le russe, histoire de réviser un peu. Ah, voilà une occupation qu'elle est bonne ! Elle va me tenir en éveil pendant près de deux heures. Je trouve de petites vidéos d'initiation, parfait pour reprendre les bases. Une prof se filme, donnant quelaues explications et mors de vocabulaire, puis posant des questions pour nous faire pratiquer. Et me voilà, à deux heures du matin, dans un hall d'aéroport vide, répondant tout haut aux questions de la prof qui montre des objets en demandant : est-ce une pomme ? - non, ce n'est pas une pomme, mais un crayon. Est-ce un cahier ? Oui, c'est un cahier. Est-ce un parapluie ? Non, c'est un verre d'eau. Apprenons maintenant des expressions courantes. Elle montre des phrases écrites sur un papier et je répète, retrouvant avec plaisir les sonorités et le vocabulaire que je maîtrisais si bien vingt ans plus tôt et qui dort sous une montagne de poussière quelque part dans mon cerveau... Ca m'amuse. depuis le temps que je voulais me remettre au russe, je suis ravie !

Eto tak ligkho ! = c est très facile !

(mais si, puisqu'on vous le dit...)

J'ai des flashes, des mots qui me reviennent tout à coup. Céline me disait dans un mail "j'arrive enfin a me rappeler comment on dit répétez s'il vous plait". En lisant ce mail, j'avais essayé de me souvenir de cette expression en russe, mais ça ne venait pas. Or, entre la leçon sur les fruits et celle sur les expressions courantes, tout à coup le vocabulaire ressurgit. Pavtaritié pajalouysta, bon sang mais c'est bien sûr ! Ahhhh, que c'est bon de retrouver les mots ! Et puis c'est tout un parfum d'enfance qui remonte à la surface par la même occasion.

J'avais bien accroché avec le russe. Etait-ce parce que c'était ma première langue étrangère, et que l'alphabet cyrillique ressemblait à un code à décrypter ? L'aspect ludique a sans doute été pour beaucoup dans mon intérêt pour la langue. Entre le russe et la lecture d'Edgar Poe et de son Scarabée d'Or, l'idée de créer mon propre code secret a germé. Combinant les signes cyrilliques, grecs, et quelques tracés de mon invention, mon alphabet personnel a vu le jour et j'ai trouvé comme ça le moyen de pouvoir raconter ce que j'avais besoin de sortir de ma tête et de mon coeur en toute discrétion. Sur les bancs de l'école, de l'église, sur les cahiers que j'avais toujours à portée de la main à toute heure du jour ou de la nuit, je pouvais laisser libre cours à mon besoin d'écrire sans que personne ne sache ni ne juge ce dont je voulais parler. Pratique...

Mais pour en revenir au russe, madame Payet, ma prof de la 6è à la 3è, est également pour beaucoup dans mon engouement. Je n'ai pas du tout accroché avec l'anglais, alors que le russe a vraiment été un enseignement plaisant. Je me souviens de la plupart des chansons et poésis par lesquelles madame Payet rendait l'apprentissage divertissant. Et puis tout l'aspect histoire et littérature a alimenté mes fantasmes et mon imagination de jeune ado. Et pour ça, l'école n'est pas uniquement responsable. Mon père avait tous les auteurs classiques dans sa bibliothèque où j'allais puiser régulièrement mes lectures, dans la chambre de mes parents. Papa me disait encore il y a quelques jours qu'à son arrivée à Paris il a été acheter sur les quais, dans les étals des bouquinistes, les Tolstoï, Gorki, Tchekhov et Dostoievski qu'il a pu trouver en français, faisant d'une pierre deux coups : relire ces auteurs qu'il adore, et parfaire son français par la lecture. Bref, l 'amour de la Russie et du russe devait être inscrit dans mes gênes depuis toujours... Il a tenu une place importante dans ma prime jeunesse, et ce retour à la langue russe ramène ce passé agréable à la surface. 

Les heures défilent d'un seul coup très vite tandis que je répète mes leçons. Le froid commence à pénétrer mes vêtements. Je sors de mes sacoches mon bonnet, mon cache col et ma polaire. Je me pèle ! Vers 4h30, mes paupières s'alourdissent enfin. Je ferme les yeux. Oh, pas longtemps, car les équipes du matin ne tardent pas à arriver et les allers et retours du bureau aux portes du hall s'intensifient, m'empêchant de sombrer dans le sommeil. A 5h, je me lève et retourne à la machine à café me servir un expresso bien noir. Le soleil vient de se lever. Rond et rouge en face de la porte de sortie du hall des arrivées. Un voile blanc pâle couvre le paysage, c'e'st un dire un parking aux trois quarts vide, une route déserte qui vire à gauche après le parking puis file en ligne droite vers le centre ville, et puis la forêt, là-bas au loin. Je fais quelques pas dehors, me tourne pour voir à quoi ressemble l'aéroport en plein jour. Je sens que j'ai les yeux rouges. Et je ne dois pas embaumer la rose... Plusieurs employées font une pause cigarette autour de la poubelle. Je ne comprends pas un mot de ce qui se dit, c'est étrange comme sensation... Je vais aux toilettes me passer de l'eau sur la figure pour me réveiller franchement.

Finalement, il fait bien assez clair pour que je me mette en route vers Riga. Je me sers un autre café et décide de m'en aller après l'avoir bu. En prévision du vent, je ferme mon sweat et ma veste coupe-vent jusqu'au menton, et j'enfonce mon bonnet sur ma tête, car je ne me réchauffe toujours pas depuis que la température s'est mise à baisser en pleine nuit dans l'aéroport. Le soleil se lève, certes, mais il ne chauffe pas encore vraiment. Il y a de fortes chances pour que le check-in ne soit pas possible avant 12h. Je m'attends à devoir patienter toute la matinée avant de pouvoir m'installer. Mais autant aller me promener plutôt que de traîner plus longtemps à l'aéroport.

En observant le groupe d'employés en pause cigarette, je constate que ce ne sont que des femmes. Je m'étonnerai toute la journée, et les jours suivants, de voir presque toutes les femmes que je croise avec une cigarette au bec... Il ne me semble pas avoir vu autant de femmes fumer dans d'autres pays. Ceci dit, j'arrive de l'Amérique centrale, où les femmes  fument très peu... Ceci explique peut-être cela.

Allez en route, il est temps ! Mes premiers coups de pédale me font traverser le parking. J'aperçois de drôles d'oiseaux cherchant des miettes sur le bitume. Un genre de gros pigeons très bien nourris, au plumage gris et noir. On dirait qu'ils portent une fourrure ! Ah, c'est bien fini les oiseaux multicolores. Je souris et sors l'appareil photo...

Puis je m'élance sur cette longue ligne droite qui s'en va vers Riga.A cette heure-ci, la circulation est quasi nulle. Tout est calme autour de moi. Mis à part ma fatigue, je me sens extrêmement sereine. L'atmosphère y contribue largement. Une agréable odeur de bois vient flatter mes narines. J'adore ! Et voici mes premiers boulots, aux troncs fins et blancs, de part et d'autre de la route. Depuis le temps que je rêvais de les voir en vrai... Difficile de décrire ce sentiment de plénitude qui nous transporte lorsqu'on vit enfin ce dont on a rêvé depuis toujours. Cette étape réveille en force ma passion pour la Russie. Comme mon imaginaire a travaillé, depuis mon adolescence, autour des récits et contes slaves, et des chansons aux accents si particuliers. Yvan Rebroff, les Choeurs de l'Armée rouge, les chansons populaires pour enfants... D'accord, je ne suis pas encore en Russie, mais je suis malgré tout dans l'espace géographique de l'ancienne Union soviétique, et ce prélude letton m'y conduit doucement.

Juste après le pont qui enjambe la voie rapide, très tranquille à cette heure matinale, la forêt s'étend et déploie ses chemins de promenade un peu partout. J'ai très envie de pénétrer dans ces sous-bois accueillants. Mais les premières habitations apparaissent. Les murs sont revêtus de bois. Et ça continue à sentir le bois, partout ce parfum m'ennivre. Dans cette partie de la banlieue de Riga presque toutes les maisons sont encore revêtues de ces lattes de bois de couleurs sombres, marron, gris, bleu. Les couleurs ont vieilli, mais à mes yeux elles ont un charme fou. Cetet vision correspond en tout cas à l'idée que je me faisais des paysages lettons.

Un bus arrive en face; Je souris en lisant sa destination écrite en lettres jaunes sur son front : Zolitude... Drôle de nom pour un quartier ! Tout à fait de circonstance en tout cas, au moment où je le croise, car il n'y a pas un chat dans ces rues.

Je pédale avec l'énergie de la bonne humeur. Même les voitures me paraissent rouler tout doucement et sans faire de bruit. Des voitures modernes, d'ailleurs. J'en verrais de bien plus anciennes et en avais état en province, lorsque j'aurai quitté mes parents à Riga pour pédaler jusqu'à Moscou. Pour l'heure, les voitures que je vois sont tout ce qu'il y a de plus modernes. 

Sur une portion de rue déserte, qui longe des immeubles et maisons de bois, une dame d'une cinquantaine d'années, portant un long manteau gris boutonné jusqu'au cou et un fichu sur la tête, traverse et regarde tout autour d'elle en tenant à bout de bras deux grands sacs en plastique bien chargés. Elle m'interpelle : "Izvinitié pajalouïsta, gdié amérikanskoié ?" Je m'arrête et lui réponds que je n'en ai pas la moindre idée. J'ai envie de lui dire que je ne suis pas d'ici, mais je pense que ça se voit... Je n'ai pas l'idée de consulter mon GPS pour repérer la rue en question. En fait, je suis surtout étonnée qu'elle m'ait adressé la parole en russe. Tiens donc, les gens parlent donc spontanément en russe, ici ? 

Je lirai un peu plus tard que Riga compte environ 45 % de russes dans sa population. Ce qui explique qu'en me promenant j'entendrai très souvent des gens parler russe dans la rue. Je le distingue tout de suite, au milieu des sonorités lettones auxquelles je ne comprends strictement rien. . Bon et bien super, voilà qui s'annonce de très bon augure pour le réveil de ma mémoire russe !

Je pédale lentement, savourant mon arrivée dans cette partie du monde. Plus j'approche du coeur de la ville plus je m'aperçois que le vélo semble être un moyen de transport très commun ici. Il est utilisé essentiellement par les jeunes mais pas uniquement. Je vois de nombreuses pistes cyclables, et les vélos sont admis sur les trottoirs - qui sont généralement assez larges, du moins hors du centre historique. Me voilà bientôt prise dans le flot de circulation qui se concentre à l'entrée du pont enjambant la Daugava. Les coupoles et les clochers de la ville s'offrent bientôt à ma vue depuis la rive du fleuve. Elles sont en contre-jour, Mais tout de même quelle émotion... Alors voilà, je les vois enfin ces coupoles orthodoxes, depuis que j'en rêvais... Avant de franchir le pont, je descends au bord du fleuve pour savourer la vue dans la fraicheur de ce petit matin ensoleillé. Trois hommes pêchent. Leurs lignes disparaissent dans une eau noire qui ne reflète pas du tout le ciel bleu pâle.  Le drapeau bordeau et blanc flotte au-dessus du palais présidentiel que je vais longer pour entrer dans la vieille ville, à la sortie du pont. La douceur de l'air m'enchante, je souris bêtement, comme cela m'arrive souvent depuis le début de ce voyage. Un bonheur tout simple d'être là où je suis... 

Un peu plus haut, arrivant par le haut du jardin, une dame aux cheveux gris marche lentement, perdue dans ses pensées, les mains enfoncées dans les poches de son long manteau beige. Comme c'est étrange de voir autant de personnes habillées de cette façon. Une impression de pauvreté se dégage de cette première vision des lettons. En tout cas on est loin des préoccupations de mode. On fait plutôt dans le chaud et le pragmatique, ici. La dame s'asseoit sur un banc, à quelques mètres d'une statue grise. Son visage et son allure me sert le coeur. A quoi peut-elle donc bien penser ? Elle n'a pas l'air très heureuse. Je tourne la tête et m'aperçois que les trois pêcheurs me jettent des coups d'oeil intrigués tout en surveillant leurs lignes. Ils me voient installer l'appareil photo alors que je souhaite graver dans le marbre ma rencontre avec la Daugava. Une fois ma photo prise, je tente un regard amusé dans leur direction, mais ne rencontre aucune complicité dans leurs yeux. Pas l'ombre d'un sourire. Bon bon bon. Je remballe et pousse le vélo vers le pont. Je longe les bus en pédalant au-dessus de la Daugava. J'ai l'impression de détonner dans le paysage habituel des lettons qui se rendent à leurs rendez-vous en ce petit matin. Je décide d'ignorer mon malaise passager et redresse la tête en me préparant à rouler sur les pavés de la vieille ville. 

Les mains fermement accrochées au guidon, je tente de minimiser les tremblements du vélo et des sacoches, provoqués par les pavés. D'habitude j'ai horreur de ça, Mais ce matin je suis toute à ma joie de respirer l'atmosphère de Riga alors ça se passe sans grincement de dent. Je roule lentement, détaillant avidement les façades des bâtiments que je découvre au détour des rues. J'attends avec impatience les petites places et les maisons colorées qui hantent mon imagination. Pour l'instant ce que je vois est plutôt un mélange de délabré et de restauré, avec des façades couvertes de bâches en trompe-l'oeil pour masquer les travaux en cours ou abandonnés en cours de route. Certaines façades sont un peu biscornues, ou tordues, penchées. Parfois les toits sont colorés et les murs peints façon "chou à la crème" comme dirait Titi. Parfois le noir est la couleur dominante. Le charme cotoie le délabrement. Je pense à papa et maman, qui ne manqueront pas de trouver que beaucoup de rues et de bâtiments sont "disestatés".

J'aperçois une première statue, au milieu d'un espace vert occupant une place centrale. Je m'approche pour lire la plaque. La statue honore la mémoire du "premier" Premier ministre de la Lettonie, "victime du régime totalitaire soviétique" (il est mort en prison). Voilà qui donne une note d'ambiance...

En poursuivant vers le centre, je découvre l'ile et ses petits ponts romantiques. En cherchant ma route vers Merkela iela pour trouver mon auberge de jeunesse, le Big Bed Hostel, je passe par la place Brivibas, avec son monument à la liberté. J'aperçois un très beau bâtiment bleu et blanc sur le fronton duquel flotte un drapeau que je reconnais. L'ambassade de France a pignon sur rue, à Riga ! Grâce à mon GPS je ne mets pas beaucoup de temps pour trouver la bonne rue. Par contre je la remonte jusqu'au croisement du boulevard qui en marque la fin, sans voir le nom de mon hôtel. Allons bon. Je vérifie mon GPS. Pourtant, d'après lui, je viens de dépasser l'auberge. Je lève la tête, mais ne vois que l'enseigne de Mac Donald's face à moi. C'est quoi ce bazard ? Je pousse dix mètres plus loin, jusqu'au carrefour avec Marijas iela. En face se dresse les grands magasins Orego et Stockman, arborant de grands panneaux publicitaires, et un peu au-dessus, les quais de la gare de Riga. Bon, demi tour, je me suis éloignée du point bleu du GPS indiquant l'hôtel. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Je réfléchis, et remarque que l'entrée du Mac Do communique avec l'entrée d'un autre fast food. Je descends de vélo et attache le cadenas pour aller voir à l'intérieur. La porte du Mac Do donne en fait sur un petit hall, au fond duquel j'aperçois un ascenceur et un escalier. Ah. Justement un jeune homme sort de l'ascenseur. Je lui demande s'il connaît le Big Bed Hostel. Je suis bien au bon endroit, simplement l'hôtel se trouve au 5ème étage de cet immeuble. Ok ok. L'entrée est assez glauque. Ce hall un peu crado ne fait pas du tout entrée d'auberge de jeunesse. Je retourne chercher mon vélo dans la rue et réussis à le faire entrer avec les sacoches dans l'ascenseur. 

Le hall du 5ème étage donne sur trois couloirs différents. La porte du Big Bed se trouve sur la gauche en sortant, ouverte. J'ai l'impression de réveiller la jeune fille aux cheveux fins et longs très noirs qui se trouve derrière le comptoir. Face à son ordinateur, elle mange des céréales dans un bol qu'elle tient d'une main au-dessus de son clavier. Juste à côté, trois ou quatre hommes en survêtement ou en marcel regardent la télévision sur l'énorme écran fixé au mur. La voix off de l'émission commente en russe des séquences vidéo. Un couple âgé d'une quarantaine d'années préparent des sandwiches pour leurs deux enfants assis à une table haute. Cette table et le micro onde posé derrière sur une étagère constituent le coin cuisine de l'auberge. Un peu just pour faire la cuisine... 

Il est très tôt. Je me présente à la jeune fille de la réception, qui me confirme que le check in se fera à partir de 13h. Par contre je peux laisser mes affaires dans le local sécurisé et attacher le vélo à la rampe sur le palier. Je la remercie, me libère de mes affaires pour ne garder sur moi que le sac à dos Cancun avec mon appareil photo, mes papiers et les deux ou trois choses importantes que je garde toujours sur moi, et descends les escaliers pour partir me promener jusqu'à 13h. J'ai 5h devant moi... Et je suis morte de fatigue. J'irais bien m'allonger quelque part, mais là c'est un peu compliqué. Je commence par prendre un café au Mac Do, ainsi qu'un sandwich en petit déjeuner car je découvre qu'en Lettonie le Mac Do est beaucoup moins cher qu'en France. Et j'en profite pour consulter mes mails. Une fois le ventre plein, je sors et traverse l'avenue Marijas pour commencer ma découverte de Riga. Je veux d'abord aller à la gare et prendre des informations sur les prix du transport en vélo par le train pour se rapprocher de la frontière. Je suis en effet préoccupée par l'obtention de mon visa. Je ne suis pas sûre que j'aurai le temps de faire la route entre Riga et la frontière, je veux donc me renseigner sur la possibilité de me rapprocher du poste frontière en train au cas où. 

D'après mes calculs, je ne devrais pas recevoir les documents nécessaires pour mon visa avant le départ de mes parents pour la France. Ce qui me conduira au 17 mai. Je dois envisager les options qui se présentent à moi d'une part si le délai est très long pour l'obtention du visa à partir de la date de dépôt (normalement ça ne devrait pas prendre plus d'une semaine mais on ne sait jamais), d'autre part si pour une raison ou une autre je n'obtiens pas ce fichu papier. Cette incertitude ne me rend pas très zen. J'aimerais être fixée le plus tôt possible sur ce qui m'attend. 

Je pousse la porte de ce qui semble être le hall d'entrée de la gare, mais qui semble intégrer dans un centre commercial. Sur la gauche du hall un couloir conduit au grand magasin type Leclerc ou Casino, au-dessus de moi deux étages présentent un alignement de boutiques (sport, téléphonie, chaussures, maquillage, matériel informatique, pharmacie, etc, un peu sur le même modèle que nos petits centres commerciaux). Devant moi et sur ma droite, les guichets de la gare se présentent surmontés d'indications de direction qui me sont étrangères. Je ne vois pas par où on accède aux quais; Je comprendrai quelques jours plus tard qu'il faut monter d'un étage par les escaliers. Pour l'heure, je décide d'aller tenter ma chance à un guichet où l'employée vient de servir son dernier client. Je lui demande si elle comprend l'anglais. Son visage se décompose, elle fait un geste de la main pour dire "couci couça". Bon, je me lance alors avec mon russe très approximatif. On y arrive. Cinq minutes plus tard je la remercie et repars avec mes infos : oui je peux voyager en train avec mon vélo. J'aurai un supplément à payer, ridicule par rapport à ce que j'ai pu payer aux Etats-Unis ou au Canada. Et si j'en ai besoin, il m'en coutera 8 euros pour aller en train jusqu'à la frontière. Tout ça est rassurant. Cela ne me garantit pas de pouvoir passer en Russie, mais en tout cas pour m'en approcher au plus près je n'aurai pas de souci.

C'est donc l'esprit léger que je sors de la gare pour me lancer dans les rues de Riga. Quoi que, tout compte fait, puisque je suis à côté d'Origo, le "Casino" letton, je me laisse tenter par un pett détour dans ses rayons pour voir ce qu'on y trouve et m'acheter de quoi déjeuner ce midi. J'ai en effet dans l'idée de cuisiner à l'auberge dès le check-in bouclé, et d'enchaîner avec une bonne sieste. Et voilà qu'au moment où je franchis les tourniquets de l'entrée je me sens vraiment revenue en terre connue ! Même si les produits sont différents, les rayonnages et la disposition des étals me semblent tout à fait familiers. Fini l'exotisme, je suis à nouveau dans la communauté européenne et ça se voit. D'ailleurs j'attrape un pannier presque par réflexe derrière les tourniquets. Ce retour à un mode de consommation connu me perturbe. J'éprouve tout à la fois un sentiment de sécurité et un vague à l'âme qui n'aura de cesse de grandir au fur et à mesure que je me rapprocherai de Paris. C'est bon de pouvoir mettre ses sens sur un mode économie d'énergie parce que la découverte et le dépaysement est moindre. La contrepartie, c'est que mon cerveau enregistre également que finalement les étapes qu'il me reste seront les moins dépaysantes. 

Quoi que. Je ne sais pas encore, je lutte encore pour faire un choix. Dois-je renoncer à aller au Cap Nord pour cette fois-ci ou bien... Ou bien irai-je tout de même ? A mon arrivée à Riga je suis presque totu à fait décidée à renoncer pour rentrer à Paris au mois de juin. Un détour par le Cap Nord prolongerait bien le voyage d'un mois. Or des impératifs administratifs me rappellent en France, et je sens que je ferais bien de ne pas rentrer plus tard qu'en juin. Bref, finalement mon atterrisage à Riga se fait dans une humeur curieuse, heureuse mais préoccupée par un tas de points d'interrogation en suspens. 

Je regarde les fromages, les saucissons, les bortshes en boîte, les stands où l'on peut composer la salade de son choix en piochant dans différentes préparations toutes prêtes ou des légumes découpés. Pratique pour la pause déjeuner. Comment se fait-il que nous n'ayons pas encore cette possibilité en France ? Au rayon gâteaux tout me paraît trop lourd ou trop sucré, rien ne m'inspire. Evidemment je craque en retrouvant mon bon vieux chocolat Milka, que je prends délicatement dans mes mains avec la tendresse des retrouvailles avec un ami de longue date... Côté boulangerie, j'ai le choix entre une foultitude de petits pains salés et sucrés, aux céréales, au blé noir ou brioché. Bon, ça n'est pas encore le bon pain français - qui commence sérieusement à me manquer - mais à partir de Riga je vais tout de même goûter à nouveau au plaisir de manger du bon pain tranché aux céréales. Il constituera la base des sandwiches que je vais manger à presque tous mes repas en solitaire. Par contre pour le fromage c'est pas encore ça. J'ai un budget limité donc je cherche le moins cher, et là c'est la grosse déception : je devine qu'ils n'ont pas de goût. Pour fêter mon retour en Europe je m'offre tout de même un morceau de fromage à pâte dure et assaisonné au cumin. 

La bonne surprise vient du côté du rayon frais. Je trouve du saumon fumé à moins de deux euros. De quoi me faire des pâtes au saumon pour deux repas. Je saute dessus. Et bien voilà, je sais quoi manger ce midi. Je prends également un yaourt et une tomate et je vais à la caisse. En attendant mon tour j'observe les gens. Je continue à trouver les traits assez grossiers de manière générale. Mais sans conteste me voilà revenue en Europe, et dans une ville où les habitudes ressemblent beaucoup à la vie des français. La mode semble toujours être aux pantalons larges à la taille et s'affinant au niveau des mollets, pour les garçons. Mes observations sur les tendances vestimentaires s'arrêtent là car ce n'est décidemment pas mon rayon. Je commence à voir tout de même des tenues un peu plus modernes que les gros manteaux informes en laine et les collants et bottes grossières à motifs fleuris d'une autre époque. 

Je range mes courses dans mon sac et m'apprête à sortir, prête, cette fois-ci, à passer en mode touriste. Je suis de pus en plus crevée, mais pour l'instant ma curiosité me tient en éveil. Avant de passer les portes, j'aperçois sur ma droite une librairie et ne résiste pas à l'envie d'aller y faire un tour. Je ne résiste jamais, pourtant je n'achète jamais rien car je n'ai pas envie de m'encombrer du poids d'un ou de plusieurs livres. 

Cependant cette fois-ci je vais craquer. D'abord parce que je découvre que  les rayons sont pour la plupart remplis de littérature russe écrite en russe. Ensuite parce que je troue un tout petit livre à 2 euros qui raconte de brèves histoires, et que j'ai très envie de lire du russe. J'achète le livre, comptant dessus pour me remémorer plus rapidement du vocabulaire simple de la vie courante. Allez, zou, le livre est dans le sac et cette fois je sors vraiment.

Je m'avance jusqu'à la pointe du carrefour séparant le grand magasin Origo du grand magasin Stockman - genre de Galeries Lafayette, cette fois-ci - pour jeter un oeil à ce qu'il y a sur la gauche. La route passe sous le pont de la voie ferrée. J'aperçois de l'autre côté une foule et ce qui ressemble aux stands d'un marché. Tiens tiens. Je prends cette direction. En passant sous le pont, je constate que le froid préserve encore des stalagtites figées au-dessus de la tête des passants. On est au mois d'avril, mais je suis bien contente d'avoir ma parka pour garder la tête bien au chaud. 

Juse avant le marché, une foule piétine devant les arrêts d'autobus des deux côtés de la route. Je regarde ce qui est marqué sur les destinations; Ah, et bien j'ai déjà trouvé le bus qui me conduira à l'aéroport dans deux jours pour aller accueillir mes parents. Je me retroune et avise une jeune femme plongée dans son téléphone (comme partout dans le monde...) Bonjour mademoiselle, peut-on acheter les billets de bus dansle bus ou bien ?... La jeune femme me répond en russe que les "E-tickets" s'achètent dans les petits kioskes à tabac et qu'ils sont valables pour un trajet. Parfait. Me voilà fixée.

Je remarque alors que cette jeune femme fume, mais que presque toutes les femmes autour de moi, qui attendent leur bus, ont une cigarette à la main. Frappée par cette observation, je prolonge mon regard au-delà de la station de bus, vers le marché. Et mon impression se confirme : ça alors, mais toutes les femmes fument, ici ! Est-ce parce qu'en Amérique centrale ce n'est pas si courant que ce détail me saute aux yeux ? Probablement. Je passe d'une culture où les femmes sont, dans l'habillement et l'attitude, très féminines, à une autre culture où - du moins dans cette partie de Riga qui, je dois dire, fait un peu cour des miracles - la féminité ne suit vraiment pas les mêmes codes. 

Tout ce que je vois me paraît passé de mode depuis longtemps, et on fait dans le pratique, pas dans le joli. Ce qui me surprend le plus, c'est que cette observation est valable aussi pour les jeunes. A posteriori, je note que ces tenues d'un autre âge sont visibles plus particulièrement dans certains quartiers de Riga. Et le quartier de la gare centrale et du marché ne sont pas les plus chics de la capitale.  Un peu plus tard, en me promenant plus dans le vieux centre ou au début de l'avenue Brividas, je remarquerai plus les filles et femmes jeunes très féminines, avec leurs fourrures et leurs petits sacs portés façon "bouilloire" comme dirait Pascal, bandoulière dans le creux du coude, avant bras relevé pour pouvoir tenir le téléphone relié aux écouteurs. De même, je verrais des hommes aux looks plus stylés que les caricatures de camionneurs de ces messieurs trapus aux visages de gangsters qui rôdent autour du marché.

Le marché, justement, s'ouvre devant moi avec ses multiples petites maisons de bois aux pieds des anciens grands hangars de construction des zeppelins qui abritent désormais le marché couvert, fonctionnant par secteur.

Il y a le pavillon des viandes (les morceaux vendus sont énormes !), le pavillon poissonnerie, les primeurs, les fromages, laitages et le pain, et bien sûr ici et là les stands de souvenirs typiques : bonnets et gants de laine, mugs en tous genres, pins et portes-clés, matriochkas, jetés d'épaule brodés à la main, etc. Sur les stands exposés à l'extérieur des hangars, les fruits et légumes sont apétissants. Ils sont énormes, notamment les grenades, qui sont probablement les plus grosses que j'aie jamais vues. Dans les allées, j'entends sans cesse parler russe. Que c'est étrange, tout de même. Je ne comprends pas tout, loin de là,mais quel plaisir de renouer avec ces sonorités familières. Ces retrouvailles avec le russe prennent une grande part dans le plaisir que je ressens à me trouver dans cette partie du monde. A ce moment-là je suis optimiste et excitée, je pense qu'il me sera facile de me souvenir et de m'exprimer couramment, comme je savais le faire il y a longtemps. Pourtant je me trompe. Au bout du compte j'aurai beaucoup de difficultés à parler, ça ne revient pas si facilement. 

En arrivant devant quelques stands d'habillement, je suis surprise de constater que ce qui est vendu tient du style "babouchka". Mais que c'est moche, tout ça ! Qui achète ça ?... Oui enfin en même temps, si je regarde autour de moi, je trouve vite la réponse... Tiens, au passage voilà que j'entends parler français. Un jeune homme visiblement installé ici joue les guides touristiques pour ses deux amis. Que c'est bon d'entendre parler français. 

Une rangée est consacrée au marché aux fleurs. Lorsque je me promènerai dans les petites rues de la ville, je croiserai fréquemment des stands ou simplement des mamies vendant des fleurs en bouquets. Dans les passages sous-terrain qui permettent de traverser les carrefours également. Un peu plus loin, on peut acheter des répliques des anciennes médailles militaires, et des casquettes de soldats. Voilà qui me rappelle ma première visite à Berlin juste après la chute du mur. Là-bas aussi, notamment près de la Porte de Brandebourg et près du No man's land, les stands se multipliaient pour vendre les breloques militaires et bien sûr des bouts de mur... Et cette fois encore je me demande : mais qui achète ça ?... Je déambule avec une espèce de fascination pour les gens. Une fois de plus je n'ose pas les photographier. Mais j'observe beaucoup  ces hommes et ces femmes dans leur quotidien, passant d'étal en étal, discutant, rigolant d'une manière très familière, Ces bons gros visages abimés, aux yeux enfoncés profondément, cette peau rugueuse et épaisse, ces poignes de fer, ces regards tranquilles qui ne sourient pas mais ne paraissent pas hostiles, juste sur la réserve, me plaisent. Je sens que je ne suis pas d'ici, mais je me sens à l'aise. Je continue à remarquer que tout le monde fume, c'est impressionnant... 

En m'approchant de la fin du marché, je passe devant une guinguette de cuisine géorgienne, et une autre de cuisine kazakhe. Il faudra que j'essaie... 

Je m'éloigne du marché, me sentant de plus en plus fatiguée. Un homme en grosse fourrure vend des oeufs sur une toute petite table. Sous son bonnet de laine, les boucles blanches de ses cheveux et ses joues rebondies font de lui à mes yeux le slave typique...

 

Je me retrouve bientôt devant une église orthodoxe aux coupoles vertes et façades jaunes. J'entre, oubliant qu'il faut normalement se couvrir les cheveux lorsqu'on entre dans une église orthodoxe. Je ferme la porte de bois derrière moi, et bascule dans un autre univers. Ici, ça sent l'encens qui brûle dans les coins de l'église. Deux femmes en fichus blancs et robes à dentelle entretiennent les samovars et époussètent les supports de bois des icônes. Leurs tabliers bleus leur donnent un jair de kolkhoziennes. Elles me rappellent Tanya Komarova, la fille de Lara et du Docteur Jivago...

Je suis émue d'être là. J'avais été assister une fois à un culte dans l'église orthodoxe de Paris. L'obscurité régnant dans le choeur m'avait surprise, j'avais adoré les chants. Les icônes dorées brillent de tous leurs feux. Certaines sont bizarrement faites. Le support doré est découpé à certains endroits et laisse apparaître un visage ou une main argentés en arrière-plan. Pendant que je regarde la décoration de l'église, les femmes entrent derrière moi, se signent plusieurs fois en se courbant et s'approchent des images saintes pour les embrasser. 

Je resors, et décide de retourner vers Marija pour traverser à nouveau et me diriger vers le vieux centre. J'empreinte le passage souterrain. Un homme joue de la guitare et chante de sa voix éraillée une mélodie qui me paraît triste, bien que je ne comprenne pas les paroles. Le sous-terrain comporte trois tunnels, il ne faut pas se tromper car en surface on ne peut pas traverser donc si je n'ai pas pris le bon escalier il me faudra redescendre pour remonter ailleurs. Ce genre de passages sous-terrains risquent de fatiguer papa, flûte... Il y a bien des rampes pour les vélos, mais pas d'ascenceurs ni d'escalators. Bon, il faudra faire avec.  

Je retourne voir le monument à la liberté. Un soldat en manteau bleu-gris garde la place, un bouquet de fleurs à ses pieds. Je pars au hasard, et ne tarde pas à passer devant la cathédrale orthodoxe. Je décide de ne pas la visiter tout de suite, j'attendrai que mes parents soient là. Qu'elle est belle avec ses énormes coupoles dorées. Je m'aperçois que je suis partie dans le sens opposé au centre historique et traverse le parc qui enveloppe la cathédrale pour me remettre dans la bonne direction. Au passage, j'admire les façades de la vieille université. En quelques foulées, je me retrouve dans le centre historique après être passée par l'île et avoir admiré l'opéra sur ma gauche. Et voilà le centre avec ses pavés et ses vieilles maisons pleines de charme, ses façades typiques des villes hanséatiques, mélange de style hollandais et allemand,  Que c'est joli ! Je ne suis pas déçue, c'est tout mignon. Les petites rues s'élancent en serpentant vers la cathédrale. Je décide de me promener les mains dans les poches, ou plus exactement l'appareil de photo en mains, sans chercher à savoir quels sont les batîments que je vois. De toute façon je vais visiter tout cela avec les parents donc pour cette fois-ci j'ai envie de flâner nez au vent, admirant le charme de la ville sans les explications historiques. 

Dès que l'on s'éloigne des artères principales, des façades franchement abimées apparaissent. Beaucoup sont en travaux et recouvertes de bâches trompe-l'oeil. Par contre dans les rues principales, mes yeux se régalent. Riga, surnommée la Perle de la Baltique, est classée au patrimoine de l'Unesco. Lorsqu'on se promène dans ses rues, les murs semblent vouloir nous raconter l'histoire de la ville. Les constructions Art nouveau sont plutôt en dehors, du centre historique. Ici vraiment on marche dans l'ombre des chevaliers teutoniques et des rois suédois, on imagine les échanges commerciaux et les déplacements en grande pompe des membres des guildes. Je ne connais bien évidemment rien à l'histoire, mais comme toujours le contexte et le charme des vieilles pierres me donnent envie d'en lire un peu plus. Je compte sur mes parents pour s'être parfaitement documentés et me raconterl'histoire des pays baltes. 

Je n'ai pas regardé le plan de la ville, je passe donc sans le savoir devant les bâtiments emblématiques de la ville. Je remarque bien, par exemple, ce chat noir perché sur le toit d'une maison d'un style moyen-âgeux, mais je ne sais pas encore ce que signifie cette sculpture. Ni qu'elle se trouve sur le haut de la maison d'un riche marchand qui, désireux de se venger de la Guilde, avait décidé de faire en sorte que l'animal montre son derrière au siège de la Guilde ! Il faudra l'arrivée de mes parents et la lecture du Guide Michelin pour me l'apprendre. Bref, je me promène, admirant tout de même au passage la très jolie façade restaurée de la maison des têtes noires, abritant l'office du tourisme et faisant face à la statue de Roland. Cependant l'heure tourne, mes jambes deviennent lourdes et mes paupières se ferment toutes seules. Je me traîne. 

Je contourne le dôme mais ne vais pas admirer tout de suite sa façade, me concentrant sur le charme des rues et des petits vendeurs de vêtements en laine et objets en ambre ou en bois. Mes pas me conduisent au hasard à la sortie de la vieille ville, non loin de la Swedish gate. En traversant le canal et les jardins qui le longent, je reviens vers la cathédrale orthodoxe de la nativité. Le soleil brille de tous ses feux, et de larges bancs entourent l'édifice, semblant me tendre les bras. Une vieille dame en manteau de fourrure un peu plus classe que ceux que j'ai pu voir jusqu'ici occupe un des bancs. 

J'aime les vieilles dames, les grands-mères un peu vacillantes, le dos vouté, qui se promènent et s'arrêtent sur les bancs - pour penser à quoi ?

Je m'asseois sur un autre banc et l'observe un moment du coin de l'oeil, plongée dans ses pensées. Puis je finis par ouvrir ma veste et la rouler en boule pour me faire un coussin, que je pose sur le dessus de mon sac à dos. Je m'étends alors sur la pierre dure, et cale ma tête sur mon coussin de fortune. Avec mon sac à dos sous la tête, normalement même si je m'endors de fatigue je devrais être réveillée si quelque voleur tente un méfait en me voyant aussi peu alerte..

Et je me laisse aller, cessant de lutter contre le sommeil. J'ai encore une petite heure devant moi, profitons-en. Je fais la sieste sur un banc public de Riga - cette pensée me fait sourire. Ce voyage continue à me sembler une aventure improbable, combien de fois aurais-je eu ce genre de flashes, ce sentiment intense de vivre exactement ce que je voulais vivre, d'être exactement là où je voulais être. C'est ce goût de liberté que je cherchais, et lorsque je m'en rends compte des bouffées de bonheur me submergent, un sourire idiot étire automatiquement mes lèvres. Qu'est-ce que je suis bien sur ce banc... Je me revois tout à coup avec Sophie, 7 ans plus tôt, faisant ainsi la sieste en plein coeur de Bangkok où nous avions atterri quelques heures plus tôt. Nous étions aussi crevées l'une que l'autre, je quittais à peine le congrès et n'avais pas dormi dans l'avion. Avançant au radar, arrivée à l'aube dans la capitale thaïlandaise, nous avions erré jusqu'à un jardin public. Insouciantes, nous nous étions allongées dans l'herbe, à côté de nos sacs à dos, et nous étions endormies pendant une heure comme ça, à la merci des brigands et des crocodiles qui se promenaient sur les rives du fleuve un peu en contrebas. Lorsque nous nous étions réveillées pour repartir à la recherche d'un logement pour la nuit, je m'étais tout de même dit que nous démarrions ce voyage sous une bonne étoile, car nous avions tout de même fait preuve d'une certaine imprudence. Mais c'était aussi un de nos points communs avec Sophie, je crois, cette faculté à ne pas s'angoisser pour rien, à faire spontanément et raisonnablement confiance aux gens et à la vie, cette envie de croire que tout se passera évidemment bien plutôt que d'envisager tout de suite le pire.  

Je me redresse près de trois quarts d'heure plus tard. Cette petite sieste m'a fait du bien, mais je suis toujours aussi vaseuse. Je sens que mon programme de l'après-midi va se résumer en un mot : dormir ! Après tout, j'ai quelques jours à passer à Riga. C'est bien agréable de pouvoir prendre mon temps. J'engouffre ma veste dans mon sac à dos, et, doucement, à pas lents, je me dirige vers l'auberge de jeunesse. J'y suis assez rapidement. Je pousse la porte qui donne sur la rue, et trouve devant l'ascenseur cinq ou six hommes en blousons noirs, grosses valises et sacs de voyage à la main. Oulala, j'espère qu'on ne va pas au même endroit... L'ascenseur s'ouvre. Ils me font une petite place, gentiment mais sans plus de cérémonie. Je ne comprends pas leur langue, dont les sonorités ressemblent cependant au russe. 

Bon ben bingo, on sort tous au cinquième étage. Et ils se dirigent vers l'entrée du Big Bed. Leurs sacs et valises restent sur le palier, car le passage entre le mur et le comptoir de la réception à l'entrée n'est pas bien large. Bon. Je n'arrive pas à me glisser tout de suite entre eux pour me signaler à la réception. Commence alors une attente qui va durer plus d'une heure... 

Un des trapus prend l'ascendant sur le groupe et s'adresse à la fille, en russe cette fois-ci. Il récupère quelques passeports. Je commence par patienter, pensant que le check-in ne durera pas longtemps. Mais ça parlemente un bon moment. Je ne sais pas très bien de quoi ils causent. Je me rapproche, et mon regard croise à un moment donné celui de la réceptionniste. Mais celle-ci m'ignore. C'est une gentille fille, comme je le découvrirai par la suite, mais elle est complètement stressée par la gestion du groupe et décide de ne pas s'occuper de moi. Disciplinée et patiente, j'attends... Longtemps... Les hommes vont et viennent du couloir au palier, discutent entre eux, cherchent des documents dans leurs valises. Bon qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi c'est si long ? Au bout de vingt minutes, la jeune fille finit par profiter d'un seconde de calme (celui qui fait office de chef s'est éloigné pour discuter avec ses accolytes) pour relever la tête et s'excuser auprès de moi. Elle m'explique qu'elle va finir avec eux et m'invite à patienter dans l'espace convivial à côté de la réception. "Vous pouvez vous faire un thé" - ajoute-t-elle. Je la remercie, et contourne les gars pour aller m'asseoir sur une chaise haute en face de la télé. Derrière moi, un ordinateur est posé sur la table haute. La jeune fille m'autorise à l'utiliser, car je veux profiter de ce temps d'attente pour checker mes mails et revoir la liste des documents nécessaires pour ma demande de visa pour la Russie. 

Mais lorsque je tourne l'écran vers moi, je vois que plusieurs pages internet sont déjà ouvertes. Et puis de toutes façons je m'aperçois que la connexion n'est pas sécurisée. Bon, je remets mes recherches à plus tard et me contente de jeter un oeil à la carte de la Lettonie, toujours préoccupée par la possibilité d'un refus de passage au poste frontière que j'envisage d'emprunter. Un quart d'heure passe ainsi. Je quitte ma chaise alors que je n'entends plus trop discuter à côté, pensant que peut-être mon tour est enfin arrivé. Mais ce n'est pas encore fini, le chef de la bande est encore devant le comptoir. Mais qu'est-ce qu'ils fichent, tout de même ?... Je me retourne pour retourner sur l'ordi, mais un homme au crâne rasé et tshirt de football a pris ma place devant l'ordinateur. Bien. Je prends une autre chaise haute et me plante comme mes quatre autres voisins devant l'écran télé géant qui diffuse un vidéo gag. Finalement les émissions idiotes sont toutes les mêmes partout dans le monde, semble-t-il... Et je me prends au jeu. Certaines scènes me font sourire, puis rire franchement. Du coup, les minutes passent sans que je m'en rende compte. Je ne me rends pas compte non plus que les tractations à la réception sont terminées. Lorsque je m'en aperçois enfin, je me lève et m'approche du comptoir. La jeune fille m'accueille avec surprise : "Ah je me demandais où vous étiez". Ah bon ? Ben tu n'as pas beaucoup cherché... 

Allez, reprenons sur de nouvelles bases. Je sors ma confirmation et ma carte de crédit pour payer. C'est alors que la jeune fille se pare de son sourire le plus aimable, pour m'expliquer un peu le contexte et... le changement de programme. Le groupe qu'elle a géré juste avant fait partie de la même société de transport par camion, avec laquelle l'hôtel a signé un contrat. Ce sont donc des chauffeurs routiers - ce qui explique qu'ils aient si peu le look de gobe-trotters touristes. Et aujourd'hui il en arrivait un grand nombre. A tel point que... l'hôtel est plein. "Mais ce n'est pas grave et vous allez être très contente, je pense -me rassure la jeune fille - car nous avons un autre hôtel qui vient d'ouvrir il y a un mois, et qui est beaucoup plus calme. Franchement je suis sûre que c'est beaucoup mieux pour vous, c'est un peu plus loin du centre ville mais c'est beaucoup plus tranquille". Euh... c'est quoi cette arnaque ? Je suis crevrée, j'ai besoin de dormir, je pensais être à une minute et demi d'une bonne douche et dix minutes d'une bonne grosse sieste, alors c'est quoi ce plan ? Pleine de bonne volonté mais également de nonchalance - ce qui me crispe un peu vu mon état de fatigue - la jeune réceptionniste poursuit sur sa lancée. "Je vais vous imprimer le plan pour vous rendre à cette nouvelle adresse, vous allez voir je suis sûre que vous allez aimer, c'est vraiment calme - insiste-t-elle. Ok mais qu'est-ce que t'en sais, si je cherche du calme ou pas ? Elle m'envoie où ? Dans un couvent ou quoi ? Dans un endroit tellement loin de tout que je n'y rencontrerai personne - d'où le calme absolu ? Je garde mes questions pour l'instant, la laissant aller au bout de ses explications. "Ce sera le même tarif, par contre c'est ici qu'il faut payer". Elle me montre où se situe l'autre hôtel sur un plan : "vous le reconnaîtrez, c'est un bâtiment peint en rouge, avec des arbres blancs sur la façade. Il faut sonner et monter au premier étage, je vais prévenir le réceptionniste là-bas, ils savent que vous allez venir." Oui oui oui... Bon ça n'a pas l'air trop loin. Est-ce que je pourrai y mettre mon vélo en sécurité ? "Oui oui bien sûr, pas de problème." Je soupire. "On va vous accompagner pour vous montrer le chemin - me dit-elle, visiblement désireuse de faire passer la pillule comme elle peut. Mais non ne vous embêtez pas, je vais bien trouver ma route, ça va aller merci. "Je suis sûre, vraiment, que vous allez préférer être là-bas" - ajout-t-elle encore, faisant clairement référence aux clients routiers qui dorment ici. Je lui souris avec bienveillance pour la détendre un peu : je vous fais confiance. 

Je n'ai plus qu'à récupérer toutes mes affaires dans le local gardé, décrocher le vélo que j'avais cadenassé à la rambarde du palier, et tout redescendre dans la rue. Alors, par où faut-il passer ? Et zut, je dois trouver le moyen de traverser l'avenue pour me diriger vers le marché central. Je tente ma chance en m'insérant dans la circulation mais mauvaise pioche : aucune voie ne tourne à gauche vers le marché, je suis emportée tout droit sans trouver de solution immédiate pour m'arrêter. Je dois rouler un moment avant de pouvoir trouver un trottoir, traverser à pied dans ce trafic intense et repartir dans l'autre sens. Cette fois-ci je peux tourner au bon carrefour. 

Je passe devant le marché et la station de bus, et poursuis dans la rue qui longe l'église orthodoxe aux lurs jaunes et coupoles vertes, non loin de cet énorme édifice qui ressemble à l'Empire state building ou - je le découvrirai plus tard - aux sept soeurs construites sous l'ère Staline, à Moscou. Je consulte mon GPS, et malgré tout je me trompe - fichu sens de l'orientation défectueux ! Je tourne en rond, sentant le poids de la fatigue dans mes jambes. J'en ai marre, j'ai envie d'arriver, je me demande où je vais atterrir. J'appréhende le plan galère. Et bien sûr je n'ai pas bronché. Là où d'autres auraient été fermes pour rester loger dans l'hôtel réservé, surbooking ou non, moi j'accepte d'être expatriée je n'sais où. Quand apprendrai-je a m'affirmer ?...

Je m'arrête, consulte à nouveau mon GPS pour m'apercevoir que je fais fausse route. Super. Je fais une fois de plus demi tour, pour finir par trouver enfin la bonne rue. Ah c'est idiot, ça n'était vraiment pas bien loin, je suis passée devant sans la voir à l'aller. Voilà presque une demi heure que j'ai quitté le Big Bed. Alors que j'aurais pu y être en dix minutes. 

Je repère la façade rouge avec des arbres blancs peints de façon assez grossière. La réceptionniste m'avait prévenue qu'on ne voyait nul nom d'hôtel sur les murs. Un escalier raide monte au premier étage, donnant sur une unique porte sur laquelle rien n'est écrit. Aux pieds de l'escalier, un portail donne sur une cour dans laquelle sont garées deux voitures, devant un garage. Un énorme chat noir traverse la cour, trapu et court sur pattes, et comme revêtu d'un énorme manteau de fourrure noire aux poils mal brossés. C'est drôle ça, je n'ai jamais vu de chat avec cette tête-là. Il a bien une tête de chat slave, tiens ! Je fixe le cadenas sur mon vélo que je laisse dans la cour intérieure, et gravis les marches hautes pour aller sonner à la porte grise. Une caméra est fixée sur les visiteurs attendant à la porte. Un jeune homme d'une trentaine d'années, portant un costume noir et une chemise blanche, vient m'ouvrir. Je me présente. Il a effectivement été prévenu. Il m'autorise à monter mon vélo au premier, à l'intérieur. Je peine un peu à porter les sacoches puis le vélo sur ces marches raides, mais je suis bien contente de pouvoir mettre mon vélo en garde à la réception et de découvrir des locaux flambants neufs et... vides. Meublés mais vides. Suis-je la seule pensionnaire ? En fait non, mais à ce moment-là c'est ce que je crois, et je comprends pourquoi la réceptionniste du Big Bed m'a dit et redit que j'allais être très au calme. 

Le jeune homme habillé en croque mort est bien aimable et me fait faire le tour du propriétaire. Il y a deux grands dortoirs au 1er étage et un au second, où se trouve aussi l'unique salle de bain. Moi je suis logée dans une chambre de quatre lits. On m'annonce que ce soir je serai seule dans la chambre. Super. La cuisine est petite mais fonctionnelle. Une plaque électrique et un four micro ondes. Du thé et du café sont à disposition. La télé est allumée dans cette cuisine qui fait aussi office de lieu convivial. Elle diffuse une série russe que je retrouverai tous les jours hormis lorsque les guests choisissent de visionner des films, toujours doublés en russe. 

Nous revenons à l'accueil. Oleg a fait son apparition derrière le comptoir. Oleg est grand, carré, la trentaine, le visage taciturne sous ses cheveux courts bruns. Il a la voix grave et un débit de parole assez lent, assorti d'un regard bienveillant. Le croque-mort s'installe derrière Oleg, à qui je tends mon passeport pour l'enregistrement. Nous échangeons quelques mots. Les garçons me donnent l'impression de mettre les petits plats dans les grands, enfin autant qu'ils peuvent. L'endroit est nouveau, ils sont bien aimables et je suis rassurée sur les conditions dans lesquelles je vais être hébergée, mais... et bien c'est un petit peu étrange d'avoir l'impression d'être l'unique cliente. En fait, je les sens presque un chouïa stressés. Et du coup j'ai envie de les mettre à l'aise ! J'arbore alors mon plus beau sourire et laisse éclater ma joie (je n'ai pas à forcer le trait) d'être ici, à Riga, en Lettonie. Ah oui ? - s'étonnent-ils. Et pourquoi donc ? Et bien ça fait si longtemps que je rêvais de venir dans les pays d'Europe de l'Est et de l'ancienne Union soviétique !  Euh, ah oui ? Mais euh, qu'est-ce qui vous attire en particulier, ici ? Leur perplexité face à mon enthousiasme me destabilise un peu, mais je me lance sur le même ton : Je ne sais pas, tout ! Je rêve depuis toujours des forêts de bouleaux, des maisons en bois, des coupoles dorées, des lacs, des sonorités slaves, des contes et légendes de la région, de l'histoire des tsars et des boiards, des chants orthodoxes !... Emportée par mon élan, j'explique alors qu'à l'adolescence j'ai lu tous les classiques russes, j'ai appris des chansons, j'ai vu des films qui m'ont donné envie de goûter pour de vrai au climat et à l'atmosphère si particulière des pays slaves, et puis j'ai appris le russe à l'école et je n'ai jamais eu l'occasion de pratiquer cette langue qui me plaît beaucoup...

Je ne me rends pas du tout compte de ma maladresse. Même lorsque je constate que mon long et joyeux laïus ne brise pas la glace avec mes hôtes. Je mets ça sur le compte de la réputation visiblement confirmée d'apparente froideur des slaves. Ce n'est que quelques jours plus tard que je me demanderai si je n'ai pas commis une erreur grossière en débarquant en Lettonie comme si j'atterrissais dans l'ancienne Union soviétique... Quel manque de tact et de lucidité, quand j'y pense... Il faudra que je sois rembarrée deux ou trois fois pour réaliser mon erreur. Et le fait est que mes fantasmes sur cette région du monde se sont construits autour de l'histoire de l'ex URSS. Je ne connais strictement rien aux pays baltes ! Je finirai par prendre conscience que j'ai commis une belle bourde en matière de communication. Mais on n'en est pas encore là, j'anticipe.

Les deux hommes ne trouvent pas grand chose à répondre à ma joie débordante. Bien. Je les remercie pour leur accueil et vais installer mes affaires dans ma chambre. Comme c'est bon d'avoir un "chez-moi" temporaire. Je n'y resterai que trois nuits dans un premier temps, puisqu'ensuite je bougerai avec mes parents, mais après leur départ c'est à nouveau dans cette auberge de jeunesse que je vais vivre en attendant mon visa pour la Russie. Alors je regarde cette chambre aux petits lits en mousse et au plancher en parquet flottant en poussant un soupir d'aise. Je choisis de prendre un des lits simples parmi les deux qui ne sont pas superposés. Je commence par trier toutes les affaires que je veux laver. Enfin une machine, je vais me payer le luxe d'avoir des vêtements propres ! Puis je monte prendre une douche à l'étage. A côté de la cabine de douche se trouve un sauna. Ca me tenterait bien, mais à 10 euros le sauna c'est hors de question. Dommage. Mon corps revit sous l'eau chaude et abondante de la douche. Mon dieu comme c'est agréable ! Je sens la fatigue et la lassitude se détacher de ma peau moite. Je reste un bon moment sous l'eau, savourant la sensation, puis je me rhabille avec des vêtements propres -ça aussi c'est bon, lorsqu'on a porté les mêmes vêtements depuis presque trois jours. Je redescends pieds nus dans ma chambre, et m'allonge sur la couette douillette.... pour sombrer dans un sommeil de trois heures. Au réveil, la douce lumière d'une fin de journée ensoleillée filtre à travers les persiennes. Je regarde le plafond. Cette chambre et le fait d'avoir reposé le pied en Europe... quelque chose change dans mon voyage. Je ne suis plus au loin là-bas, sur un autre continent. Je suis sur la route du retour.  Est-ce que je vais aller jusqu'au Cap Nord ? Que j'y aille ou pas, je serai en France dans quelques mois, dans peu de temps. Je suis sur la courbe descendante de l'aventure, c'est bientôt fini. 

En étudiant le plafond, je réfléchis. Il me reste quelques mois, quelques semaines. Est-ce que ce voyage aura été l'accomplissement de mon rêve ? Est-ce que je suis contente à l'idée d'être bientôt de retour ? Est-ce que j'ai fait exactement ce que je voulais ? Je pourrais répondre oui et non à chaque question. A partir de maintenant, les choses vont changer. Oui, je suis de retour. et ça change tout. Le compte à rebour est enclenché. Ma priorité est de faire le nécessaire pour l'obtention de mon visa. Histoire d'être fixée le plus vite possible sur la suite du parcours. Mais reste la question de l'après-Russie, si je parviens à entrer en Russie. Depuis quelque temps, certains dossiers administratifs deviennent compliqués à gérer à distance. Ma raison me suggère de ne pas trop tarder à rentrer. Mais je sens que je suis en pleine négociation intérieure. J'argumente et contre-argumente. J'ai encore le temps de prendre ma décision, rien ne presse, mais j'ai bien ça en tête. 

Je sors de mon sac le livre en russe que j'ai acheté tout à l'heure, ainsi que le saumon et les gnocchis, et je vais dans la cuisine pour me préparer un repas. La télé diffuse une série russe comique. Pendant que je fais chauffer de l'eau et que je coupe le saumon, je jette un oeil à la série. Ca ressemble à PLus belle la vie dans le format, mais l'histoire se passe dans un restaurant, avec le chef cuisinier, les serveurs, le patron du resto. Dommage que je ne comprenne pas tout, ça a l'air vraiment sympa. 

Oleg entre dans la cuisine et fait chauffer un thé. Il s'installe devant la télé. On échange quelques mots avec parcimonie. Il me poe quelques question sur mon voyage. Il parle un peu anglais, alors on alterne entre le russe et l'anglais pour suivre une conversation complète. Je lui parle de mon excitation à l'idée d'accueillir mes parents dans deux jours. Je lui explique aussi qu'il faudra que je profite de ma pause ici pour montrer mon vélo à un magasin de réparation, car depuis le transport Cancun - Riga les freins avant frotte contre la jante. Je n'arrive pas à équilibrer le système, alors j'irai voir un atelier et en profiterai pour m'assurer que je n'ai pas de roue voilée. 

Après avoir mangé (oh que c'est bon de retrouver le goût des pâtes au saumon !), comme j'ai retrouvé de l'énergie et qu'il fait encore jour, je décide de sortir à nouveau et d'aller me promener un peu. En passant devant le bureau de l'accueil, Oleg m'interpelle et me fait passer derrière le comptoir. Tu vois le panneau voir là-bas dans la rue en face ? C'est un magasin de cyclisme. J'ai regardé sur internet, tu ne pouvais pas mieux tomber, c'est tout près ! Ah bah génial, je le remercie chaleureusement. Sympa ce gars derrière son attitude un peu distante et bourrue... 

Nous prenons le temps de fumer une cigarette tous les deux sur la plateforme devant la porte d'entrée. Il fait frais. Ce quartier a un petit quelque chose de glauque, pauvre et calme, mais les lumières chaudes de ce début de soirée rendent l'atmosphère paisible. Un gros chat trapu blanc marche le long d'une palissade en bois. Je montre à Oleg la maison de bois en face, et lui dis à quel point je trouve ces constructions pleines de charme. Le bois n'est que décoratif - me dit-il, la maison est en pierre. Avant on construisait les maisons en bois, mais plus maintenant. Ah. Ben je trouve ça joli en tout cas. Même celle-ci, dont les façades sont bien abimées. J'enfonce ma chapka sur ma tête, descends les marches de l'escalier et tourne à gauche en direction du centre ville.  

Le crépuscule recouvre les façades d'une ombre grise. Je décide de changer de route et de tourner à droite pour contourner l'étrange Empire State letton. Dans ce quartier, on trouve de nombreuses maisons recouvertes de bois. Ces ruelles sont curieusement un peu glauques (trop calmes, trop vides, un peu sinistres), mais un peu apaisantes et rassurantes aussi. Le silence et la tranquillité qui règnent ici sont agréables. D'ailleurs je m'aperçois que je sors à la tombée de la nuit sans la moindre inquiétude. Est-ce parce que je suis en Europe et que je me sens en territoire familier ? Rien ne m'angoisse. Je croise des hommes taciturnes, mains enfoncées dans les poches de leurs manteaux noirs, leur tête à moitié cachée sous des bonnets de laine ou de fourrure. Impossible de croiser leur regard balayant le sol froid des troittoirs. Mais je me sens bien. Je me sens incroyablement bien ce soir-là, à Riga, en Lettonie. Détendue. Enfin presque, tant que j'oublie les décisions que je dois prendre. Mais pour l'heure je me promène et je savoure l'air doux, pas trop froid, de la Perle de la Baltique. Mes fantasmes sur l'Europe de l'Est me donnent l'impression d'être ici chez moi. C'est aussi pour ça, je crois, que je n'ai aucune inquiétude ici. Je remarque que je ne croise personne avec une bouteille d'alcool à la main. Où s'est donc envolé le vieux cliché sur les pays slaves ? Longeant les rails du tramway sur de gros pavés - tiens, et si j'en rapportais un à Séverine pour sa collection ? non, trop lourd - je repasse devant les stands fermés du marché, puis sous le pont, et arrive au carrefour de la Marija iela. Je descends dans le tunnel souterrain. Toutes les boutiques sont fermées, mais une petite dame aux cheveux blancs et aux chaussures usées est encore là pour vendre ses trois bouquets de fleurs. J'entends un violon, un artiste des rues joue pour les passants au coeur du souterrain. La vitrine d'une librairie est restée allumée. Les livres sont serrés les uns contre les autres, stockés dans tous les sens comme si on avait voulu voir combien de volumes pouvaient tenir dans un si petit espace.  Je m'approche, irrésistiblement attirée. Je cherche à déchiffrer les titres en cyrillique. "Les pirates", "Un jour", Le neuvième cercle",... et ça qu'est-ce que ça veut dire ? "Contes du poisson et de la rivière, et autres contes" ? Bon il faut vraiment que je travaille mon vocabulaire. J'espère tellement que ça reviendra facilement ! 

Je remonte en me trompant de sortie. Bon, pas grave, je traverse les rails du tramway et me dirige vers le canal, que je remonte jusqu'à l'opéra. Que c'est joli une capitale parée de son éclairage de nuit... Le restaurant qui fait face à l'opéra dégage un charme encore plus cosy avec ses lumières changeantes, jaune, vert, rouge, bleu. Une voix éraillée s'élève au milieu de la rumeur des passants et des taxis qui, seuls, circulent entre l'île et le vieux Riga. A une centaine de mètres de là, un homme aux cheveux ras, à genoux par terre, chante en russe, accompagné par sa guitare. Sa voix grave porte loin. Son accent est trop prononcé pour que je comprenne ce qu'il dit, si ce n'est qu'il répète "mama" sans cesse dans le refrain. On ne peut pas dire que l'interprétation soit belle, mais la voix cassée transmet pourtant beaucoup d'émotion. C'est poignant, et je reste un moment à le regarder et l'écouter de loin. Les gens passent devant lui, des couples ou des groupes d'amis pour la plupart, jeunes et un peu moins jeunes, et puis quelques touristes aussi. Ils remontent la rue vers la place de la cathédrale ou la place de la Guilde, où se trouvent de nombreux bars et restaurants. 

En suivant le même chemin qu'eux, forcément je me retrouve dans le Riga pour touristes. Mais comme je suis fleur bleue, ça tombe bien, le charme des petites rues et des lampions de toutes les couleurs me ravit ! Les pavés et le crénelage des façades n'en sont que plus beaux à mes yeux. Les gens dînent dehors, ça parle letton, russe, anglais. L'atmosphère est détendue, comme dans n'importe quel quartier populaire de n'importe quelle capitale occidentale. Je tourne dans une ruelle vide, étroite, baignée d'une lumière orangée. Un énorme tonneau trône à l'entrée de la rue, à côté de la porte d'un bar dont le programme annonce un concert live dans quelques heures. Ce sera pour une autre fois, je ne compte pas rentrer après minuit. Je continue mon exploration, et traine devant les vitrines qui exhibent des peluches confectionnées en laine et fourrure. Un bar attire mon attention un peu plus loin. J'aperçois à l'intérieur un camion rouge flamboyant. Un camion à l'intérieur d'un bar ! Voilà qui est original. La plaque d'immatriculation du véhicule indique : Hot Rod. Dans le fond du bar, des jeunes gens mangent des burgers au comptoir. Derrière le camion, des vêtements attendent sur des cintres que les acheteurs craquent pour le look des années soixante. Au-dessus du comptoir flotte un drapeau américain. On est loin de l'ère communiste...

La nuit est désormais bien tombée. Le ciel n'est pas tout à fait noir, en fait il est relativement clair encore. Mais je décide de faire demi tour et de rentrer à l'auberge. J'ai beaucoup de sommeil en retard. Pendant mes pérégrinations j'ai cherché à trouver un cyber, afin de pouvoir poursuivre le blog. Mais mes espoirs de pouvoir profiter de mes quelques jours ici pour être à jour s'envolent à chaque pas. J'ai demandé à la jeune fille de la réception du Big Bed, mais l'unique adresse qu'elle m'a donnée était.. le point de wifi gratuit du centre commercial. Ca me contrarie. J'aimerais avancer. Mais je ne vois qu'une seule chose à faire : continuer sur mon bloc de papier.

Je retourne donc à l'auberge.  Je compte m'installer dans la cuisine, au calme, avec mon calepin et ma musique. Lorsque j'arrive au pied de l'escalier, toute la passerelle ou presque est occupée par de jeunes hommes, certains en tongs en survêtements, d'autres en tshirts et pantacourts (ben ils n'ont pas froid aux jambes ni ailleurs, eux !). Tous fument, et tout en saluant timidement je dois m'infiltrer dans la masse pour atteindre la porte.  

Donc finalement je ne suis pas la seule cliente... Les gars ne sont pas causant, et moi je suis intimidée. J'entre et constate que la maison est bien plus bruyante que cet après-midi. Des éclats de voix me parviennent de la cuisine dont la porte est ouverte. Ah, bon ça va être plus compliqué de me concentrer visiblement... Je vais ouvrir la porte de ma chambre... et découvre une jeune femme fluette aux longs cheveux noirs en train de préparer le lit du bas en face du mien. Donc finalement je ne serai pas seule dans ma chambre. Bon c'est pas grave, je salue la nouvelle, qui me répond vite fait. Je tente d'entamer une conversation, mais la jeune femme, d'origine russe, se montre vite indifférente et le silence s'installe entre nous. Bien bien. Je sors de mon sac mon calepin, un stylo, mon mp3 et mes écouteurs, et je sors pour aller dans la cuisine. 

La voix d'Arman surpasse toutes les autres, y compris celle de la voix off qui double le film russe qui passe à la télévision. Arman est un grand gaillard longiligne, qui avoisine le mètre quatre-vingt quinze. Ses longs cheveux chatains emmêlés sont attachés en queue de cheval tombant sur son pull bleu au col ouvert à la base du cou, laissant apparître un tshirt gris en-dessous. Arman s'agit, interpelle tout le monde d'une voix forte mais souvent sur le ton de la plaisanterie, d'après ce que je crois comprendre. Il a l'air si familier avec tout le monde que je suppose qu'il fait partie du staff de l'auberge. Avec autant de personnes autour de la table et s'affairant sur la plaque électrique et l'éver, la cuisine paraît toute petite. Je repère pourtant une chaise libre, et me l'approprie après avoir dit bon soir à tout le monde. On me répond mais ensuite les conversations reprennent de plus belle.Une des deux filles présentes, jeune, répond à Arman avec autant de décibelles. Je ne comprends rien à ce qu'ils se disent mais ils m'ont l'air de s'amuser à s'envoyer balader mutuellement. Les autres commentent le film ou discutent entre eux en regardant leurs téléphones portables. Sergueï, lui, dîne d'une soupe sans broncher, les coudes posés sur la table, la tête basse, regardant par en-dessous pour suivre le film. Quel âge a-t-il ? Il me semble bien jeune pour vivre ici tout seul. Avec ses joues de poupon, il n'a pas l'air d'un touriste. Aucun ici n'a l'air d'être touriste, d'ailleurs. Je me sens presque une intruse parmi ces jeunes dont j'ignore la raison de la présence dans cette auberge. Ils ont l'air de tous se connaître, plus ou moins bien. Je souhaite bon appétit à ceux qui s'asseoit pour déguster leurs saucisses fumées accompagnées d'une montagne de pâtes. Ca sent bon, ça donne envie. J'ai encore un yaourt aux fruits dans le frigo, je l'ouvre et en laisse pour mon petit déjeuner demain. Je fais un chauffer un thé dès que la bouilloire est accessible, puis ouvre mon carnet et branche mes écouteurs. Bon alors j'en étais où ?... Je me plonge dans le récit, bercée par la musique qui m'aide à revenir quelques semaines en arrière. 

Au fil des minutes qui s'écoulent, les jeunes terminent leur repas et sortent fumer dehors. La cuisine finit par être désertée. En plein décalage horaire, j'ai un regain d'énergie, je ne sens plus la fatigue. Plongée dans mon voyage, je ne vois pas les heures passer. Je me refais un thé, et j'écris encore. Il est trois heures du matin lorsque je me décide à arrêter. Je n'ai pas remarqué que toute la maison est devenue silencieuse. La lumière est toujours allumée dans le couloir. Demain je peux faire la grasse mat, c'est chouette. Je range mon calepin et mon stylo dans mon sac à dos, et retourne vers ma chambre. J'ouvre doucement la porte et constate qu'il fait nuit noire dans la chambre, les rideaux étant tirés. Je pose mes affaires et me mets en pyjama le plus discrètement possible pour ne pas déranger ma voisine. Enfin je me glisse sous la couette, et commence à rattraper mes heures de sommeil en retard...

Lorsque je me réveille à presque 10h, ma voisine est déjà partie. Dans la cuisine, je ne rencontre que Oleg, assis devant une tasse de thé et devant la télé bien évidemment allumée. 

On s'échange un bonjour amical. Je fais chauffer de l'eau. La fenêtre de la cuisine laisse voir une magnifique journée ensoleillée. Je sors sur la passerelle avec mon thé, humant la fraicheur de l'air. Ca sent bon le feu de bois. Je suis en tongs et je n'ai pas froid aux pieds. Je suis trop bien, là, en fait... Et la sensation est juste merveilleuse. J'aimerais que le chat blanc qui se dore au soleil dans la cour monte et vienne caresser mes jambes de ses poils soyeux. Enfin soyeux... c'est ce que j'imagine, mais s'il vit dans la rue il n'est pas sûr que le duvet soit si doux ! Bon alors voyons, quel sera mon programme du jour, en dehors de savourer l'instant présent ? Je dresse une liste mentalement. Il faut impérativement que j'aile dans une bibliothèque pour avoir accès à un ordinateur et à une connexion sécurisée, et m'occuper de ma demande de visa. Et puis ce serait bien que je jette un oeil à ce que sera mon parcours pour arriver en Russie, et de la frontière à Moscou. Il faudrait aussi que je prenne le temps de checker mes affaires administratives. Et parmi celles-ci, de la Banque Postale. J'avais décidé d'attendre d'être en Europe pour tenter de régler cette histoire de code. 

Je sors mon téléphone de ma poche et consulte mes mails. Et ce matin, je lis un message qui d'un coup met un terme à mes tergiversations sur la suite du voyage. Bon. Voilà une affaire que je vais avoir du mal à gérer de loin. Je fais un rapide calcul. Il faut que je rentre en France au plus tard en juin, fin juin. Je n'irai pas au Cap Nord, voilà. Pas le temps. La décision s'impose toute seule. Et au bout du compte... j'en suis contente. Je ne suis pas contente de rentrer plus tôt que ce que je prévoyais, ni de renoncer au Cap Nord, un de mes plus grands rêves. Non, c'est pas ça. Je suis contente parce que je n'hésite pas devant la seule bonne décision à prendre. En d'autres temps, j'aurais été capable de fermer les yeux et de foncer tête baissée pour suivre mes envies sans tenir compte de ma raison. Mais pour une fois, je sais que je fais le bon choix. Ca n'a l'air de rien, mais tout à coup je me sens enfin adulte. C'est aussi simple que ça. Incroyable mais vrai, c'est arrivé. 

Immédiatement je pense à mes parents. Ils débarquent demain à Riga. Contre toute attente, au moment où je me posais des questions existentielles et où j'envisageais de rentrer prématurément, ils m'ont encouragée à aller au bout de mon aventure. Ils sont partie prenante de ce voyage, parce qu'ils vont au bout avec moi, à chaque tour de roue ils sont là, à chaque étape ils participent à mes découvertes et à mes expriences à mes côtés. Je réalise que j'ai peur de les décevoir en leur annonçant que je renonce au Cap Nord. C'est dingue quand même. Evidemment je fais ce voyage pour moi-même, mue par mes envies personnelles. Mais ce que nous partageons à distance depuis que je suis partie est si fort que je sens que cet arrêt anticipé va être un peu brutal pour eux. J'ai bien conscience que ma réaction est parfaitement idiote : c'est mon voyage, c'est à moi de décider comment il se passe, et à quel moment il se termine. Mais je ne peux pas m'empêcher de supposer qu'ils vont être déçus de ne pas aller au Cap Nord "avec moi". Il faudra pourtant que je leur dise. Car ce retour anticipé signifie que je vais devoir me faire héberger pour les mois de juillet et août, vu que je ne récupère mon appart qu'au premier septembre. 

Une autre pensée me vient brusquement en tête. Lorsque Sonia et Val m'ont envoyé, il y a quelques mois, une invitation à leur mariage le 18 juin prochain, j'ai bondi d'excitation et leur ai tout de suite répondu : comptez sur moi, je serai là ! Trop heureuse d'apprendre la nouvelle, trop heureuse de pouvoir être partager ce grand moment avec elles. Oui mais ça, c'était il y a longtemps déjà. C'était avant que je décide de prolonger le voyage de quelques mois. Or, depuis, j'ai un peu fait abstraction de mon engagement, tirant des plans sur la comète pour la suite du voyage... Et lorsque je me projetais dans un parcours passant par le Cap Nord, je savais que cela ne me permettrait pas de revenir en France à temps pour participer au mariage. En réalité voilà des mois que je suis tarabustée par ma conscience, qui, chaque fois que je rêvais d'aurores boréales et de bout du monde, me donnait des coups de coude en me rappelant ma promesse. J'envisageais sérieusement de m'excuser finalement, persuadée que les filles comprendraient et ne m'en voudraient pas. Alors bien sûr, connaissant le coeur de Sonia et Val, elles ne m'en auraient pas voulu. Seulement je me rends compte que ces nouvelles qui m'obligent à décider de rentrer pour le mois de juin me soulagent sur ce point et m'aident à décider une fois pour toutes de tout faire pour être présente à ce mariage. Et ce n'est qu'un bel épilogue, après tout : Sonia a été un des déclencheurs de cette aventure. N'est-ce pas une très belle et bonne raison de rentrer, que de tout faire pour partager avec mon amie de 30 ans un des moments les plus importants de sa vie ? Alors bien sûr, Val et Sonia vivent ensemble depuis près de 20 ans et se sont déjà "mariées" il y a 18 ans, sans attendre que la loi le leur permette. Mais étant donné leur parcours de vie, étant donné le bien que ces filles ont fait et font encore autour d'elles par leurs qualités humaines personnelles, étant donné ce qu'elles donnent aux privilégiés qui font partie de leur vie, n'est-ce pas un réel bonheur de pouvoir prendre part à cette fête plus que symbolique ? J'ai raté d'autres mariages, et des naissances, depuis que je suis partie. J'aurais voulu être là à chaque fois. Cependant cette fois le timing est plus que cohérent, et je réalise que le hasard et ce qui pourrait constituer une contrariété dans mon parcours personnel me donnent en réalité une excellente raison de rentrer. Et voilà que du coup, en plus de la satisfaction de prendre une décision adulte indépendante de toute autre contingence, ce mariage me donne un objectif, une perspective extrêmement positive pour envisager le retour. La vie fait bien les choses... 

Je vais prendre ma douche et lance une machine à laver. Pendant que la machine tourne, je retourne lire mon livre en russe dans la cuisine. Je cherche sur google translate les mots que je ne comprends pas, et tente de les mémoriser. C'est pas gagné... Je consulte le dictionnaire pour un mot sur cinq ! Oleg lève un sourcil interrogateur. Je lui explique ce que je suis en train de faire. Au passage, je lui demande comment on dit bonjour, merci et au revoir en letton. Mais j'oublie aussitôt. Ca ne ressemble à rien de ce que je connais. Jamais je ne réussirai à retenir cette nouvelle langue. D'ailleurs, un peu troublée par les échanges que j'ai pu avoir jusqu'ici avec les gens, je lui pose la question : quand on ne parle pas letton, dans quelle langue vaut-il mieux s'adresser aux gens ? Anglais ou russe ? Oleg réfléchit une demi seconde puis penche la tête de côté et fait une moue hésitante : "ça dépend. Les personnes d'un certain âge comprendront le russe mais pas l'anglais. Les plus jeunes comprennent souvent le russe, mais c'est plus facile pour eux de parler anglais et ça leur vient plus naturellement." Ah, c'est donc ça. Bien, j'essaierai d'en tenir compte.  

Je remonte étendre la machine, puis me prépare à sortir. Je m'aperçois que la batterie de l'appareil photo est presque déchargée. Je branche le chargeur pour récupérer un peu plus d'autonomie. Mais le voyant ne s'allume pas. Qu'est-ce qu'il se passe ? La prise ne doit pas être fonctionnelle... Pourtant c'est sur cette prise que le chauffage électrique était branché cette nuit... Qu'est-ce que c'est que ce bazard ? Je vais dans la cuisine et branche le chargeur sur la prise que j'ai utilisée pour mon téléphone la veille. Rien ne se passe. Le voyant reste éteint. C'est pas vrai ! J'enrage. Je teste sur une autre prise, toujours pas de réaction. Il ne manquait plus que ça ! Bien. Je mets le chargeur dans mon sac à dos, décidée à trouver un électricien pour savoir s'où vient le problème, et le résoudre.

 

Je sors. Il fait super doux, c'est trop bon ! Je n'ai pas besoin de me coiffer de la chapka ni de mettre mon cache col et mes gants. La caresse du soleil est super agréable. Le printemps arrive ! Dire qu'il y a trois jours j'étais en été, habillée tous les jours en thsirt, tongs aux pieds...J'avoue que le choc thermique a été brutal. Pourtant l'été mexicain me paraît déjà si loin...  

Allez, revenons aux objectifs prioritaires de la journée. Direction le centre ville pour trouver une bibliothèque. Je vais vers l'avenue Brividas. Je ne sais pas trop où aller, en fait. Mais depuis la place du monument à la liberté j'aperçois l'Université avec sa superbe façade et sa grande porte de bois. Qui dit université dit bibliothèque. Je m'approche des marches d'escalier, et interpelle en anglais deux étudiants assis là.  Pourriez-vous me dire où se trouve la bibliothèque la plus proche ? Oui bien sûr, à l'intérieur, au premier étage - me répondent les garçons. Oh super, je vais devoir entrer dans ce splendide édifice, voilà qui me plaît ! Je les remercie et gravis les marches, puis passe la porte majestueuse. Le hall est magnifique avec ses moulures, ses piliers ronds et son escalier de pierres de taille conduisant aux étages. Je monte sur le premier palier, et demande à nouveau mon chemin car je ne sais pas si je dois prendre la porte de gauche ou de droite. Je remarque que ce troisième étudiant parle aussi bien anglais que les deux premiers. Avec un très bon accent. Bien meilleur que celui des jeunes français. 

Si le hall d'entrée très classe plonge le visiteur une ambiance moyenâgeuse, les étages supérieurs sont bien plus anodins et sans charme. La porte en bois blanc vieilli donne sur un long couloir carrelé. Sur la droite et sur la gauche se succèdent des portes étroites, avec un affichage minimal. Je m'arrête devant chaque porte pour lire ce qui est marqué dessus. Des noms de professeurs. Il y a une bibliothèque ici ? Bizarre... Il n'y a personne ici. C'est drôle, je me sens une étudiante parmi les autres étudiants, j'ai presque la sensation d'être entrée par effraction. Quelqu'un va me voir et me dire : hey, qu'est-ce que vous faites ici, vous ?... Mais je ne croise personne. Au bout du couloir je suis presque surprise de lire "bibliothèque" sur la dernière porte, aussi sinistre et étroite que les autres. Je pousse la poignée. Et me retrouve dans une toute petite salle, antichambre d'une autre un peu plus grande. Ah tout de même un portique de sécurité me confirme que je suis bien au bon endroit. Parce que sinon j'aurais eu l'impression d'être entrée dans une salle d'étude. Des jeunes filles et jeunes hommes sont penchés sur leurs livres, concentrés. Les murs de la salle sont entièrement occupés par des rayonnages en bois, supportant livres et revues classés. Je ne vois pas d'ordinateur. Mais je repère une dame à lunettes derrière un bureau. Je m'approche, essayant de ne pas trop faire craquer le parquet de la salle sous mes pieds chaussés de mes sempiternelles baskets dorénavant bien usées. Excuse-me, I am french and tourist, and I was told that it is possible to use a comuter in library... Très gentiment, la jeune femme me sourit et se lève : yes of course, I will open a session. Super ! La jeune bibliothécaire me précède dans l'autre pièce. Je découvre quatre ordinateurs installés devant la fenêtre. Je m'asseois devant un écran. La jeune femme m'a ouvert une session pour une heure. Ah zut, ça ne fait que très peu de temps, ça... mais je n'ose pas lui en demander plus. Tant pis, je vais faire le maximum en une heure. 

Et en une heure, je fais pas mal de choses. Je choisis d'abord une assurance. Depuis le 15 février 2016 je n'ai plus d'assurance spécifique pour le voyage, mon contrat Marco Polo étant arrivé à échéance. J'avais décidé de ne pas le prolonger pour les prochains mois, comptant sur la chance pour qu'il ne m'arrive rien de grave d'ici mon retour.  Mais pour le visa je dois présenter au consulat une attestation d'assurance pour la durée de mon séjour en Russie. Ensuite je me casse la tête pour arriver à envoyer un programme journalier cohérent, avec hébergement pour chaque journée. Il a fallu que je trouve des adresses d'hôtels sur internet. Bon, au moins tout ce que j'indique existe réellement, même si je n'ai pas l'intention de respecter ce programme. J'ai donc tout envoyé par mail à l'agence qui va me délivrer les documents officiels (programme, voucher, invitation). Je leur ai communiqué mon adresse postale au Big Bed pour recevoir les  originaux par courrier,  j'ai souscrit une assurance, j'attends le contrat par mail. Je n'aurai plus qu'à l'imprimer. Voilà voilà. Je me sens soulagée, il n'y a plus qu à attendre de recevoir les papiers et je pourrai aller poser ma demande de visa au consulat. 

Ensuite je m'attaque à la Banque Postale.... Je prends une profonde inspiration, et rédige un énième mail sur la banque en ligne. Je les préviens de mon arrivée en Europe, leur rappelle le souci de code, et les avertis que puisque leur dernier message confirme que mon code n'a pas changé je vais tenter un retrait dans quelques jours. Je leur laisse donc le temps de me prévenir s'il s'avérait qu'il n'est pas sûr que mon code fonctionne. Ensuite je fais copie de mon mail à l'abruti qui prétend être mon conseiller financier. et le lui envoie sur sa boite mail personnelle. 

En réalité ce que je viens de faire ne sert à rien. En effet, cela fait déjà deux fois que je tente d'utiliser ma carte avec ce code, deux fois que je signale que ça fonctionne pas, deux fois qu'on me répond que ça devrait fonctionner. Il n'y a donc aucune raison que cette fois-ci soit la bonne. Je sais, je sens que si j'essaie une fois de plus, même en les ayant prévenus, je vais bloquer ma carte et ne pourrai toujours pas avoir accès à mon argent. Pourquoi est-ce que je me contente de faire ça ? J'ai la sensation de me couvrir. Ce qui, en un sens, est vrai, mais ne résoud absolument rien.

Sur le temps restant, j'étudie un peu le parcours en Russie. Et j'écris à Céline pour la prévenir de mes démarches pour le visa et de ma date approximative d'arrivée à Moscou. 

L'heure est révolue. Je n'ai pas pu écrire une ligne sur le blog. Tout juste ai-je pris ldeux minutes pour aller sur le site et consulter au hasard les pages du voyage. Et cette fois encore la magie a opéré. J'ai vu défiler les photos, J'ai entraperçu le chemin parcouru, revu les visages aimés, et ressenti une immense émotion. Plus d'un an est passé depuis le départ. Et j'ai déjà vécu tant de choses, j'ai accumulé tant de souvenirs, tant de personnes extraordinaires sont entrées dans ma vie... La fin se profile, et si elle doit arriver plus vite que prévu, il est urgent et indispensable que je continue à savourer et à vivre pleinement chaque minute qu'il me reste.

 

Je me lève, remets ma veste et remercie la bibliothécaire. Je sors de la salle avec un grand sourire. J'adore ces ambiances de bibliothèques universitaires. 

Sans trop réfléchir, je me retrouve à nouveau près du monument à la liberté. Le soleil brille plus que jamais. Je remarque un petit attroupement près du monument. En m'approchant, je m'aperçois qu'il y a une relève de la garde. J'observe la parade, avant de reprendre ma route dans le vieux Riga. J'ai repéré hier soir sur internet un endroit qui pourrait être un cyber. Je veux aller vérifier. D'après le plan, c'est à côté du Mac Do. Mais lorque j'arrive devant, je constate qu'il s'agit d'un café avec connexion wifi. Bon j'ai compris, je dois lâcher l'affaire. Mince alors... C'est que le blog est mon journal intime, mon journal de voyage. Un journal comme je n'en ai jamais tenu jusqu'ici, qui gardera la mémoire de tous ces moments, ces dérails que j'aurai pour la plupart oublié dans quelques années. Je sais que je ne vais pas être aussi rigoureuse sur papier. Je fatigue plus sur papier que sur ordi. J'écris beaucoup plus vite avec un clavier qu'avec un stylo. Si j'ai du mal à trouver un ordinateur désormais, jai peur de perdre le fil.  

 

Bon. Puisque je ne peux pas avancer sur le blog, allons nous perdre dans Riga ! Je change de direction, pour remonter l'avenue Brividas et trouver le quartier Art nouveau. D'ailleurs j'ai une course à faire. Il faut que je résolve mon problème de chargeur. J'ai dans l'idée (bêtement) que cela vient de l'adaptateur que j'ai acheté à l'aéroport. Il m'arrive parfois - souvent, en fait - d'avoir des idées un peu incohérentes. Je crois à ce moment-là que je résoudrai le problème en achetant un adaptateur ici, en Lettonie.  Je retrouve donc l'avenue Brividas. En attendant de pouvoir traverser la rue, je remarque qu'un jeune homme à côté de moi est en tshirt. Ok il y a un beau soleil aujourd'hui, mais moi je suis toujours en veste gore-tex et polaire. Il fait bien trop froid encore pour moi, pour que j'envisage de ne porter qu'un tshirt ! Je suis impressionnée....

Je commence à remonter l'avenue Brividas. Elle commence par des magasins de marques, modernes, des immeubles et restaurants standing. Puis apparaissent des bâtiments aux façades abimées, noires, portant d'énormes écussons et sculptures massives, grossières. Les magasins deviennent des brics à bracs plus ou moins attrayants. Toujours plus loin, des maisons en bois s'intercallent. Puis des édifices très "choux à la crème", d'après l'expression de Titi. Un mur en ruines taggé se dresse entre deux bâtiements publics aux murs massifs. 

Ca fait bien vingt minutes que je marche quand j'aperçois le magasin que je cherche, au bord d'un carrefour ouvrant deux artères dans le prolongement de Brividas. Une grande église au clocher étroit sépare les deux avenues. Je pousse la porte du magasin et tente de me faire comprendre par le vendeur. J'achète un nouvel adaptateur pour 1,50 euros. Bon, mon problème devrait être résolu, me voilà rassurée.

Je poursuis ma balade sur Brividas, et tombe en arrêt devant un panneau annonçant une bibliothèque publique.  Ah tiens. Chouette, je vais tenter ma chance, peut-être pourrai-je avancer un chouïa sur le blog. L'entrée ressemble à celle d'un immeuble  de bureaux. Apparemment il faut prendre l'ascenceur. Je monte dedans en compagnie de trois autres femmes en imperméables beiges. Je sors au troisième étage. J'ai vraiment l'impression de pénétrer dan les locaux d'une société. Mais c'est bien la bibliothèque. Et je me vois autorisée à utiliser un ordinateur pour une durée de deux heures. Youpi ! Je m'installe en face d'un écran posé sur une table, contre le bord d'une fenêtre donnant sur une cour intérieure. J'apprécie de pouvoir voir la lumière du jour tout en écrivant. Le ciel s'est un peu couvert mais la lumière reste chaleureuse. Mis à part que je ne peux pas télécharger de photos, j'avance pas mal dans l'écriture et me replonge avec plaisir dans mes aventures yucathèques avec Titi - puisque sur le blog je n'ai toujours pas quitté le Mexique. Quel bonheur de revivre en pensées ces moments privilégiés...

Je suis en train de taper sur le clavier, lorsque les notes d'un piano s'élèvent tout à coup dans le silence paisible de la bibliothèque. Je m'arrête. Qu'est-ce que c'est ? Mais on dirait que la musique vient d'ici, le piano semble dans la pièce, le son n'a pas l'air de sortir d'un haut parleur. Le mur me cache une partie de la grande salle, qui se prolonge au-delà de l'espace dans lequel sont installés les ordinateurs. Quelqu'un est en train de jouer. Je ne connais pas l'air classique que j'écoute mais il est très doux et très agréable. Je suis sous le charme. Pour le coup, voilà une situation et des sensations qui coïncident tout à fait aux clichés que je pouvais entretenir sur les pays slaves. Dans ma représentation de l'Europe de l'Est, cette scène est tout à fait naturelle. J'adore ça... L'ambiance de cette bibliothèque me plaît, je m'y sens plus que bien. La musique m'accompagne presque jusqu'au bout du récit. Lorsque les deux heures arrivent à échéance, je clos ma cession et me lève pour aller voir l'artiste. Derrière le mur, je découvre une femme, de dos, habillée de noir, penchée sur le piano. D'épais cheveux blonds virant au blanc, tirés par le broshing et laqués, retombent à la base de son cou, juste au-dessus de ses épaules. Deux femmes vêtues de robes d'un autre âge, tenant leurs sacs à mains bien serrés sur leurs genoux, regardent et écoutent, assises sur deux des chaises disposées en demi-cercle autour du piano. La pianiste cesse alors de caresser les touches, concluant son concerto privé sur une dernière note qui résonne dans le silence, que nous troublons aussitôt en l'applaudissant. Merci pour ce joli moment, madame...

Je tourne le dos, reprends l'ascenceur et retourne à l'agitation de l'avenue Brividas, un grand sourire aux lèvres. J'ai fait le nécessaire pour mon visa, j'ai écrit à la LBP, j'ai avancé sur le blog dans une atmosphère des plus plaisante, papa et maman arrivent demain... Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Je commence à remonter Brividas pour revenir vers le centre ville, lorsque mon regard est attiré par l'énorme bâtiment aux murs roses et blancs, et celui, gris, orné de visages antiques, qui lui fait face dans la rue qui conduit à l'église luthérienne Sainte Gertrude. J'entre dans l'église, que je trouve silencieuse et vide. C'est étrange, dans nos cultures occidentales froides et rigoureuses, le protestantisme oppose un silence et une désolation bien triste face au confinement des églises orthodoxes toujours chauffées par un poêle et par les vapeurs d'encens, toujours habitées par les dévotes et les popes qui viennent entretenir la flamme, lustrer les icônes vénérées, diffuser l'absolution et la bénédiction aux pieds des livres et des reliques sacrés.

Je retrouve l'air libre et le ciel gris-clair, et contourne l'église pour marcher au hasard de ce qui retient mon attention. Mais tout est intéressant et beau ici, en tout cas chaque bâtiment comporte une originalité, une particularité, ces rues forment un patchwork de styles variés. Ca ne donne pas le même résultat que New York, mais ça a son charme tout de même à mes yeux. Quel que soit leur état, je suis systématiquement séduite par les maisons en bois - je ne cesserai de le répéter et de m'extasier avec mes parents. 

Une ondée passagère m'oblige à protéger l'appareil photo en le cachant une dizaine de minutes sous ma veste. Mes parents m'ont annoncé qu'ils m'avaient acheté un nouveau filtre pour l'objectif, le mien étant tellement usé, sale et rayé, que je ne prends plus une photo correcte : l'appareil ne sait pas sur quoi faire la mise au point ! Beaucoup de photos sont floues depuis le Yucatan. Bon j'avais demandé aux parents de m'acheter en France un filtre basique car je n'en trouvais pas ici, mais ils m'ont évidemment pris du haut de gamme, les brigands. J'ai hâte de pouvoir installer ce nouveau filtre, car c'est tout de même dommage de gâcher mes photos. 

Sans l'avoir véritablement calculé, me voilà bientôt dans Elisabeth iela et Alberta iela., les rues du quartier Art nouveau. Je les parcoure un peu mais ne vais pas trop loin, décidant de laisser cette partie de la découverte au programme de la visite avec mes parents car ils voudront certainement voir ces beaux édifices emblématiques de Riga. Je reviens vers le vieux centre en passant par Krisjiana iela pour changer, pour retrouver ensuite le parc. Ici aussi les amoureux ont choisi un petit pont de bois pour laisser une trace de leur amour en attachant des cadenas aux rambardes. Les modes se suivent... et se ressemblent partout. Vive le conformisme. Ce qui est une initiative romantique à l'orgine devient un passage obligé.  

J'achète un sandwich pour continuer ma promenade. J'aime sentir l'ambiance décontractée du vieux Riga. En tombant nez à nez avec le dôme, je remarque une sculpture sur la gauche, sur la petite place pavée qui fait face à l'entrée d'un passage voûté, Des asiatiques se prennent en photo devant et caresse le museau de ce qui semble être un chien ou un loup. J'attends que le petit groupe se dissipe et m'approche, pour découvrir l'âne, le chien; le chat et le coq des musiciens de Brême, des frères Grimm. 

Je m'engage dans le passage voûté, passe devant l'entrée d'un couvent, et débouche dans une autre pette rue piétonne pavée, pleine de boutiques et de restaurants et bars. Un peu plus loin, sur la place de la grande Guilde, des marchands de souvenirs, cartes postales, objets en ambre et bijoux en argent proposent leurs marchandises dans des petites roulottes en bois. Je ne résiste pas à l'envie de jeter un oeil aux bagues en argent, et après plusieurs essayages et papotages en ruse avec la vendeuse - une petite fonde rondelette, blonde, d'une cinquantaine d'années - je craque sur une bague à la symbolique plus bouddhiste qu'orthodoxe. 

Au centre de la place, un bar propose des tables en terrasse, sur une estrade en bois. Un groupe de rock à Billye envoie un bon vieux son rétro pour le plus grand plaisir des clients, pas encore trop nombreux. Je décide qu'il est temps de me poser un peu et de reposer mes jambes. Je m'installe à une table, commande une bière et sors mon calepin et un stylo pour reprendre le récit du voyage. J'écris tout en savourant la musique. Rien ne vaut un bon Elvis Presley, interprété avec conviction par un chanteur qui joue le jeu à fond, du costume aux intonations, sans pour autant se prendre au sérieux. Un groupe de touristes allemands s'est installé aux premières loges. Une femme d'une quarantaine d'années s'est levée. Les yeux fermés, son verre de vin rouge à la main, un sourire charmeur adressé à personne en particulier sur les lèvres, elle danse autant que peut se le permettre une femme de son style bourgeois élégant un rien alcoolisé. Elle a du style. Pas très convaincant, mais elle s'en fiche, elle se fait plaisir, alors j'aime ça. 

Bientôt, un des jeunes allemands se lance à son tour, pinte de bière à bout de bras. Lui aussi se laisse porter par l'émotion du moment, visiblement, mais dans un style bien plus instable. Qui va le rattraper lorsqu'il va fatalement se prendre les pieds dans une latte et s'étaler par terre, complètement gris ? Ca, j'aime moins. Ses potes - ils sont près d'une dizaine et dans le même état que lui - l'encouragent à grands renforts d'applaudissements. 

Je ne sais pas si les musiciens apprécient. En tout cas le chanteur fait de beaux efforts pour leur adresser de temps en temps un sourire flatté. 

Ma bière est finie, je l'ai bue lentement en écrivant beaucoup. L'atmosphère se rafraichit. Je remets ma veste et quitte le bar. Le coucher de soleil repeint les murs des maisons en rose. Je tombe en arrêt devant la superbe façade de la maison des têtes noires. Les dorures brillent de tous leurs feux sous l'éclat du crépuscule. 

Tranquillement, je prends la route de la maison. Enfin de l'auberge, mais dans ma tête j'y pense comme "la maison". Avant cela, je fais un détour par le Big Bed pour prévenir la jeune réceptionniste qu'un courrier va m'être expédié à cette adresse, en provenance de la France. Je lui demande de bien vouloir y prêter attention, s'agissant de documents nécessaires pour ma demande de visa pour la Russie, et je l'avertis qu'elle le recevra probablement pendant mon absence. En effet nous quitterons normalement Riga avec mes parents dans deux jours, pour faire une virée d'une semaine à Tallin puis Vilnius. 

Tatiana, qui me donne son prénom par la même occasion, m'assure qu'elle veillera sur mon courrier.   

Tatiana en profite pour me demander comment je me sens dans l'autre hôtel. Je la rassure et lui dis qu'elle avait raison : c'est certainement plus familial là-bas qu'ici, je m'y sens bien, j'ai tout ce qu'il me faut. Ma réponse a l'air de lui faire très plaisir. J'enchaîne alors en lui demandant si elle a grandi ici, et si ce travail est un job d'étudiante ou son travail à temps plein. Elle m'explique qu'elle vient du sud de la Lettonie. Elle vit seule ici, et travaille à temps plein. Je ne m'en étais pas encore aperçu mais elle dort dans un des dortoirs de mon hôtel. C'est le dortoir réservé aux personnes qui restent pour un long moment. A son tour elle me demande où j'habite, et par quel hasard je peux parler un peu russe. On discute un peu, pendant que les chauffeurs routiers font chauffer des bols de soupe dans le micro-onde, derrière le paravent, en regardant le bétisier qui passe à la télé. Et puis je souhaite bonne nuit à Tatiana, et je descends les marches de l'escalier avant de sortir sur l'avenue, de traverser Marija par le sous-terrain - dans lequel évolue ce soir une jeune femme au violon, accompagnée par un jeune homme qui frappe un djembé - et remonte la rue Gogol jusqu'au carrefour avec ma rue, Strugu iela. Tout le long du chemin, je tente de réaliser que demain, à cette heure-ci, je ne serai plus seule. Mes parents seront avec moi. Ca me paraît iréel... On y est, j'ai du mal à croire qu'ils vont vraiment prendre l'avion - ce sera la première fois pour maman - pour venir me voir. Deux fois déjà pendant le voyage nous avons envisagé des retrouvailles. Une fois lorsque j'étais à Marrakech (heureusement qu'ils ne sont pas venus, ils n'auraient jamais supporté la chaleur !), et une fois aux Etats-Unis. Ca ne s'est pas fait. Alors cette fois, est-ce bien réel ? Je crois que je n'y croirai vraiment que lorsqu'ils seront montés dans l'avion...  

De loin, j'aperçois un regroupement devant la cour et l'escalier de l'auberge. Des hommes, pour la plupart en blouson épais et bonnets, sont attroupés autour de l'un d'eux, qui parle fort et semble donner des recommandations. Une camionnette stationne devant l'escalier. Qu'est-ce qu'il se passe ? Je ne ralentis pas, les salue au passage (personne ne me réponds, ils sont concentrés sur leur discussion), et monte les escaliers. Le temps de finir de fumer ma cigarette, je les observe du coin de l'oeil. Celui du milieu doit être le boss. Sont-ils là pour travailler ? Est-ce un autre groupe de chauffeurs ? Je ne sais pas dans quelle langue ils parlent, mais ce n'est pas du russe. Le chef se tait, il doit avoir fin de transmettre les consignes. Les gars s'approchent de l'arrière de la camionnette dont on a ouvert la porte. Chacun leur tour, ils attrapent leur sac de voyage, et descendent ensuite l'escalier du bâtiment d'en face. Ils s'engouffrent un par un dans l'immeuble sinistre, par une porte en fer rouillé. Mon dieu ce que c'est lugubre... Je rentre à mon tour, pour retrouver la chaleur humaine de mon propre hébergement.

A la réception, Oleg discute avec un jeune homme au crâne presque rasé penché sur l'ordinateur. Mais combien sont-ils à travailler ici, en fait ? Je n'arrive toujours pas à identifier qui est qui. Oleg me demande comment s'est passé ma journée. Sympa. Sous ses airs peu volubiles, il aura tous les jours un petit mot gentil, une attention. 

 

Je lui raconte que je suis dans les démarches pour obtenir mon visa, et je lui annonce que j'accueille mes parents demain, après plus d'un an de séparation. Les lèvres d'Oleg s'étirent pour former un sourire discret - sans doute le maximum qu'il puisse faire pour témoigner de son émotion à cette nouvelle fabuleuse.  Je demande par la même occasion si je peux laisser mon vélo et mes affaires à l'auberge pendant la semaine où nous allons partir en vadrouille hors de Riga, puisque je vais revenir ici ensuite jusqu'à ce que je puisse partir pour la Russie. Il me confirme qu'il n'y a pas de souci pour ça. 

Je file dans la cuisine, que je retrouve à nouveau blindée. Arman me salue bruyamment et me demande comment j'ai trouvé Riga, ce que j'ai vu, où je suis allée. "Je peux te montrer les quartiers dangereux si tu veux, normalement il ne faut pas y aller, mais avec moi tu n'auras pas de souci". Oui oui, ben peut-être, merci, on verra. "Tu sais que c'est un ancien quartier juif, ici ? Je peux te montrer la synagogue qui a été brûlée sous l'ère communiste, c'est tout près d'ici. Tu me dis quand tu veux y aller, et je t'accompagne". Ah bon, merci bien, je te dirai ça, mais là tu sais mes parents arrivent demain et je vais passer du temps avec eux, on ne s'est pas vus depuis longtemps. Tout en discutant, je sors un fromage au cumin que j'ai acheté au supermarché. "Qu'est-ce que tu as prix comme fromage ? Ah c'est bien ça, il est bon. Vous avez de meilleurs fromages en France, mais celui-là il n'est pas trop mauvais". Je lui en propose un morceau, mais il refuse et sort une bière du frigo. "Tu aimes la bière ?" Il m'en offre une, que j'accepte volontiers en notant dans un coin de ma mémoire le nom, pour savoir quelle marque acheter si je veux à mon tour lui en offrir plus tard.  

Arman parle fort, s'agite et prend de la place, beaucoup de place dans cette cuisine. Il monopolise un peu l'attention et s'adresse à tout le monde. Il se donne des airs de bon samaritain. Ses yeux d'enfant me donnent confiance en lui dès le départ. Ok ok, il croit qu'en tant que touriste je vais être attirée par les plans "Riga hors des sentiers battus, pour tout connaître des points de vente de la bonne vodka et du shit, et retrouver la trace des pogroms de l'ère soviétique". Bof. Il l'a proposé une fois, il ne le refera plus. C'est un bon gars, et ça se sent. Je lui demande s'il bosse ici. "Moi ? Est-ce que je travaille, est-ce que je ne travaille pas ? Qui sait ?" - plaisante-t-il. En fait si, il travaille, mais pas ici. Dans les entrepôts de bus. Il part tous les matins à 7h30. Il vit ici, comme plusieurs autres, et dort donc dans le dortoir "longue durée". Lui non pus n'est pas de Riga. Personne ne l'est ici. Ils sont ukrainiens, russes, polonais, etc. Ils sont là pour bosser, et resteront le temps de la durée de leur contrat. Même ma voisine de chambre n'est pas une touriste. Elle aussi part très tôt le matin, et rentre se coucher très tôt le soir. A part le jour où nous avons fait connaissance, nous n'aurons pus l'occasion d'échanger un mot. 

Je me fais chauffer une soupe. Et vais chercher le chargeur de l'appareil photo pour tester mon nouvel adaptateur. Et c'est la douche froide. Le voyant ne s'allume toujours pas. Le problème ne venait pas de l'adaptateur... Bon sang, je n'ai presque plus de batterie. Il faudra que je trouve la solution demain.

Nous continuons à discuter un peu avec Arman, devant la télé. Je commence à bien apprécier cette série russe autour de la cuisine. Je ne comprends pas toutes les blagues, mais je devine le contexte général et réussis à rire en même temps que tout le monde ! Peu à peu, la cuisine se vide, et je sors mon calepin pour me remettre à écrire. Toujours en décalage, je ne relève pas la tête avant un bon moment, peu importe l'heure. Je ne me rends à nouveau pas compte que tout le monde est couché sauf Oleg, qui entre bientôt avec Tatiana. Celle-ci me salue. Elle est rentrée dormir. Me voyant penchée sur mon calepin, elle me demande ce que je fabrique. Je lui explique que je tiens un journal, n'ayant pas trouvé d'ordinateur pour poursuivre mon blog en ligne. "Oh mais si personne n'utilise l'ordinateur de la réception, s'il vous plaît, utilisez-le !" - me propose-t-elle spontanément. Surprise, je la remercie chaleureusement mais lui dis que ça ira très bien comme ça, je ne veux pas déranger, c'est leur outil de travail. "Mais puisque l'ordinateur est libre, maintenant, s'il vous plaît n'hésitez pas" - insiste-t-elle. Elle m'emmène à l'accueil et m'invite à m'asseoir dans le fauteuil, puis allume l'ordi. Ah ben génial, je la remercie. Et je peux reprendre le blog là où j'en étais, dans le calme et le silence de l'auberge endormie. Enfin je cède à mon tour, et vais me coucher encore une fois à 3h du matin, en veillant à ne pas réveiller ma voisine. Je ferme les yeux en me répétant une fois de plus : demain je retrouve papa et maman...

Et voilà le jour J. Dans quelques heures, j'accueillerai papa et maman. Ca me parait incroyable. Je jette un oeil dehors, le ciel légèrement couvert ne semble pas manifester d'émotion particulière, c'est un jour comme les autres. Ma voisine est bien sûr déjà partie. Je m'étire et vais dans la cuisine préparer mon petit déjeuner, un thé et un bon yaourt aux fruits. Je ne me suis pas levée tôt, il est 8h30 et il semblerait que tous les habitants de la maison soient déjà partis. Seul Oleg navigue entre la réception et la cuisine, son flegme bienveillant me donnant l'impression d'être à la maison. "Ca va ?" me demande-t-il en rangeant la vaisselle. Je lui réponds avecun grand sourire : Oui ! Je vais chercher mes parents à l'aéroport tout à l'heure

Un film policier russe choisi par Oleg passe à la télé. Je prends le temps de petit déjeuner tranquille avant d'aller sous la douche et de m'habiller. Je suis prête à 10h. La douceur de l'air dehors donne une tonalité très agréable à cette journée. Ca ne pouvait pas être mieux pour l'arrivée des parents. Je marche lentement vers la station de bus, et décide de ne pas attendre plus longtemps pour me rendre à l'aéroport. Je serai très en avance, mais après tout ça me va. Je savoure la sensation d'attente. Je m'arrête au kiosque pour acheter mon ticket, puis vais trouver le bon arrêt de bus parmi tous ceux autour desquels se pressent les passants. Et puis mes yeux se posent sur l'enseigne de Stockman, le grand magasin, qui ressemble vaguement aux Galeries Lafayette. Je pense à mon chargeur d'appareil photo. Ca vaudrait le coup de tenter voir s'ils ont ce qu'il me faut. J'entre donc dans le magasin, qui effectivement est un peu l'équivalent des Galeries. Et j'emprunte l'escalator pour monter au 4ème étage. Là, je m'adresse - en anglais - à un vendeur, qui me décourage vite fait : non, nous n'avons pas ce qu'il vous faut, madame. Il faut le commander sur internet. La tuile... Si ce type de magasin n'a pas de chargeur Canon, je ne vois pas qui peut en avoir... 

Je resors du magasin préoccupée, et retourne à l'arrêt de bus. La navette pour l'aéroport arrive au bout d'un petit quart d'heure. Je m'installe et regarde la ville depuis mon poste d'observation.

Nous repassons par le pont que j'ai emprunté pour traverser la Daugava le jour de mon arrivée. Dans le bus, certaines personnes trainent une valise avec eux mais la plupart sont des habitants se rendant dans les quartiers éloignés du centre ville. Ils descendent au fur et à mesure des arrêts, pour s'élancer dans les quartiers de maisons en bois, ou sur les chemins en terre lézardant jusqu'à la forêt. J'allume mon téléphone, et découvre un texto de maman. Que s'est-il passé ? Visiblement l'arrivée à l'aéroport de Montpellier a été chaude, mais ils ont bien pu embarquer. Ouf ! J'attends qu'ils me racontent la raison du moment de panique que je devine entre les lignes.

A l'approche de la zone de l'aéroport, nous faisons un grand tour le long des pistes. A un moment donné, nous passons près de hangars, lorsque j'aperçois derrière les murs de vieux coucous, des vestiges de l'aviation, massifs,couleur rouille ou vert pas beau. Etonnant. Après vingt minutes de trajet, le bus dépose les quelques passagers restant devant le hall des arrivées. J'ai deux heures devant moi. Je monte la rampe pour aller dans le hall des départs et voir à quoi ressemble l'aéroport de jour. Je constate que ce hall était accessible par l'escalier et l'ascenceur si j'avais voulu, le soir de mon arrivée, dormir sur un banc un peu plus moelleux. Ceci dit, je ne regrette pas mon choix d'être restée en bas, au moins j'étais tranquille et moins "vulnérable", quoi que la sécurité semble bien faire son boulot ici. Je tente ma chance au relais du buraliste, espérant trouver Le Monde en français. Mais je ne trouve rien. Il y a bien des journaux en russe, mais je me contente de lire les gros titres et n'achète rien. Dans un grand hall un bobsleigh est exposé. Derrière, un grand écran diffuse des images de ce sport très prisé en Lettonie. 

Etant donné qu'il fait beau, je préfère aller attendre dehors. Je sors ma liseuse et m'asseois au soleil pour patienter en poursuivant ma lecture. Et finalement le temps passe très vite ainsi. A 12h30, n'y tenant plus, je range la liseuse et m'approche du panneau des arrivées. Le vol est annoncé à l'heure. Tiens, la correspondance entre Paris et Riga se fait avec Air Baltic. Oula... Connaissant le peu de confort et le service minimum d'Air Baltic, je me demande comment les parents vont vivre ce vol. Je suis impatiente de connaître les impressions de maman sur son premier vol. Papa a l'habitude puisqu'avec son travail il prenait souvent l'avion, mais pour maman c'est une grande première et j'en suis très heureuse. J'avais tellement envie qu'elle connaisse ces sensations et surtout qu'elle voie de près ces nuages qu'elle nous apprenait à reconnaître quand nous étions enfants. La première fois que j'ai pris l'avion j'ai tellement pensé à elle en traversant cette couche épaisse de cumulus. J'ai trouvé ça extraordinaire, je voulais qu'elle vive ça aussi. A-t-elle pu obtenir une place près d'un hublot ?

Les minutes s'égrinent plus lentement à partir du moment où je fais les cent pas devant le panneau des arrivées, guettant les informations.  

Et puis ça y est, le panneau affiche "Approaching". Je suis excitée comme une puce. Il faut encore patienter. Plusieurs vols vont arriver dans un tir groupé. Le hall est petit, on ne peut pas se louper. Je tourne en rond, dansant à moitié sur mes jambes, lorsque le panneau annonce l'arrivée en avance de quelques minutes du vol Air Baltic en provenance de Paris. Voilà, papa et maman sont à Riga. Incroyable... Tout simplement incroyable. 

Je me poste derrière la barrière à 3 mètres de la porte par laquelle ils vont sortir. Evidemment, le temps que les passagers descendent et récupèrent leurs bagages plus d'une demi heure passe encore. Chaque fois que la porte s'ouvre je me tords le cou pour chercher des yeux les silhouettes qui arrivent du fond du couloir. Ca parle allemand et italien avant qu'enfin j'entende parler français. Ca ne va plus tarder. J'ai l'appareil photo en main, impatiente. 

Et puis enfin j'entrevois maman, d'abord, dans le fond. La porte se referme presque aussitôt, mais elle m'a vue aussi. J'attends que la porte s'ouvre à nouveau, et les voilà tous les deux ! 

Nous communiquons énormément avec mes parents depuis le début de ce voyage, si bien que je n'ai pas tant que ça la sensation qu'on s'est quittés il y a si longtemps. Mais que c'est bon de les voir en chair et en os et de les serrer dans mes bras, et de les entendre en live. Ils ont l'air en forme, aussi heureux que moi. Ce voyage est particulier pour eux. D'abord, nous nous retrouvons après des mois de séparation. Ils me suivent pas à pas dans ce voyage et partagent réellement cette aventure à mes côtés, vivant chaque épisode au plus près de mes émotions et états d'âme. Ils me diront souvent qu'ils ont voyagé avec ,moi à travers le blog. Mais cela fait également des années que papa et maman rêvent de découvrir les pays baltes. Ils prévoyaient de faire ce voyage pour leur anniversaire de mariage. Pour eux, se retrouver ici c'est aussi un rêve qui se réalisent. Probablement, le prétexte de me retrouver a permis la concrétisation de ce rêve. Je ne suis pas sûre qu'ils auraient fait ce voyage sinon, car les contraintes d'un tel voyage les freinaient un peu.

8 avril 2016 : apres pres 14 mois sans se voir,

retrouvailles a Riga avec les parents !

17 avril 2016

 

Riga.

 

Avant mon entrée en sixième, le proviseur du collège en face de chez moi, une femme, a tenu aux élèves et parents d'élèves un discours très optimiste et incitateur sur l'apprentissage du russe. Apprendre le russe, disait-elle, constituerait pour nous un atout indéniable sur le marché de l'emploi, car à n'en pas douter l'Union soviétique (et oui, on en était en encore là) ouvrirait tôt ou tard ses portes. 

Trente ans plus tard, rares ont été les occasions pour moi de pratiquer la langue. Il faut dire que je n'ai pas cherché, au début de ma carrière professionnelle (si on peut appeler ça une carrière, dans mon cas) de débouché nécessitant la maîtrise du russe. J'ai cherché du travail pour pouvoir vivre, c'est à dire payer le toit et la nourriture. Bref, les boulots que j'ai trouvés ne nécessitaient pas la maîtrise du russe. Pendant des annees je n'ai pas pratiqué cette langue que je parlais pourtant à un très bon niveau au sortir de l'université. Et puis lorsque j'ai trouvé du boulot pour un transporteur, j'ai tenté de communiquer en russe avec les chauffeurs polonais et tchèques. Et je me suis heurtée à un mur. Oui ils comprenaient ce que je leur disais, mais ils étaient réticents à me parler dans cette langue.

Plusieurs années plus tard, il y a trois ans, en fait, je suis partie le long du Danube avec Sandra. Nous avons pédalé en Autriche, République tchèque, Hongrie, Slovaquie. Là aussi, on m'a vite fait comprendre qu'il valait mieux que je tente de m'exprimer en allemand plutôt qu'en russe. Les gens n'aiment pas qu'on leur parle dans cette langue.

 

En arrivant a Riga, j'étais toute heureuse car une forte proportion de la population est russe et donc parle russe. Avec ces gens-là, je peux enfin essayer de me rafraîchir la mémoire, et utiliser cette belle langue que je trouve jolie et très chantante. C'est toujours un plaisir pour moi de parler aux gens dans leur langue. Emballée par mon plaisir tout neuf, je viens de me heurter encore à un mur. J'ai repéré un cyber, et ca fait trois fois que je viens et que, ayant entendu des gens parler russe dans le cyber, je m'exprime en russe depuis le début egalement (oh ca ne va pas chercher bien loin, c'est juste pour demander un ordi, combien ca coûte, etc). A l'aise désormais dans ce cyber, j'avais besoin de faire imprimer des documents. Comment dit-on en russe "imprimer?". A ma question naïve et incnsciente, le gars du cyber me répond : pourquoi ? en anglais. Euh... parce que j'aime bien essayer de parler en russe. "Et pourquoi pas en letton ?" me demande-t-il, sans sourire et en se rasseyant avant de replonger dans son ordi.... Bon...

 

Le russe représentera peut-être un atout pour moi, au retour, mais finalement à part les russes de Russie, on ne peut pas franchement s'amuser à parler cette langue... 

Une fois passées les embrassades, papa peste contre la fatigue du voyage. L'attente était longue avant les vols, les repas pas terribles et les tarifs rédibitoires. Et puis ils me racontent leur stress pour trouver l'accès à l'aéroport de Montpellier. Maman s'est servie du GPS pour les conduire à bon port, mais des travaux sur la route les ont obligés à faire un détour, et ils ont cru ne jamais arriver à l'heure pour embarquer. J'imagine l'état de tension nerveuse dans lequel ils se sont trouvés avant de monter dans l'avion ! 

Maman n'a pas pu s'asseoir à côté du hublot mais elle avait juste une personne qui faisait écran, si bien qu'elle a tout de même pu voir le ciel. Elle en profitera plus au retour. 

Nous prenons les valises et nous approchons du guichet d'Europcar pour récupérer la voiture de location. Les parents sortent leur confirmation de réservation. Le hall s'est vidé, c'est fini pour les arrivées du début d'après-midi. Nous mettons quasiment une heure pour récupérer la voiture. En anglais, allemand, russe, nous essayons de nous mettre d'accord avec l'employé de l'agence, qui comprend que mes parents ont déjà tout réglé en France mais prélève tout de même, à titre de garantie, des frais pour l'essence et conducteur supplémentaire. Je suis de prime abord extrêmement surprise que papa ne souhaite pas conduire la voiture. C'est donc moi qui serais la deuxième conductrice. A bien y réfléchir, ça n'a rien de surprenant que papa n'ait pas envie de conduire une voitre qu'il ne connaît pas. Nous empoignons les valises et la clef, et sortons de l'aéroport pour rejoindre le parking 300 mètres plus loin. Les négociations à l'agence ont pris un temps fou, tout le monde en a marre et a hâte de se poser. En arrivant, papa avait faim. Mais il est désormais 15h et nous décidons de faire l'impasse sur le déjeuner. 

Maman découvre avec déception que la voiture ne correspond pas à celle qu'elle avait demandée. Elle souhaitait tester une voiture surélevée, en vue de leur prochain achat pour remplacer la Clio, mais c'est raté. Bon. Elle s'installe au volant et tente de mettre le contact... Le moteur ne réagit pas. Allons bon, on ne va décidemment pas s'en sortir avec cette fichue voiture, qui, par ailleurs, est très stylée. Nous cherchons partout s'il y a une manip à faire pour démarrer mais ne voyons rien. Papa s'impatiente. Un monsieur s'approche d'une voiture de loc proche de la nôtre. Nous allons le voir pour lui demander si par hasard il sait ce qu'il faut faire pour démarrer. Et oui, il sait. Il suffit d'enclencher la pédale d'embrayage. Bon, merci monsieur. Allez, tout le monde se détend, ça va bien se passer... En route pour le centre ville. 

Avec le GPS de maman, je nous guide vers la capitale. Evidemment nous loupons la bonne sortie d'autoroute et devons faire demi tour, un peu crispés sur ces premiers kilomètres de circulation en Lettonie. 

Enfin nous arrivons à proximité de l'hôtel, qui se situe dans le centre ville, à cinq minutes à pieds du passage sous-terrain que j'emprunte tous les jours pour rejoindre mon quartier. L'hôtel est très mignon à l'intérieur, très cosy. Par contre dans la rue, qui termine en impasse, une odeur d'égoûts ou d'eau stagnante nous agresse dès que nous sortons de la voiture. Charmant. L'hôtel se trouve tout près de la Daugava, et des travaux sont en cours juste derrière. Il faudra faire avec cette odeur. Au moins à l'intérieur le confort est tout ce qu'il y a de plus correct.

Papa et maman font leur check-in, et montent s'installer dans leur chambre sous les toits pendant que je vais garer la voiture sur un parking extérieur surveillé par un gardien. Puis je reviens et patiente dans le hall de l'hôtel en grignotant un bonbon. Cela fait bien dix minutes que je suis là, lorsque papa sort de l'ascenseur et me dit qu'ils m'attendaient dans leur chambre. Je le suis, et entre derrière lui. Maman se lève du lit, et je vois sur la couverture plusieurs objets dont je devine qu'ils me sont destinés. Ah ah, c'est l'heure des cadeaux ! C'est tout eux, ça. Je m'asseois à côté de maman et déballe les surprise. Ma grande soeur leur a donné du nougat à me transmettre. Mmmm, ça fait longtemps que je n'en ai pas mangé ! J'ouvre également le boitier du super filtre que papa m'a trouvé chez son photographe. Et puis le canif. Ils avaient vendu la mèche avant de partir : après le vol de mon couteau suisse au Bélize, couteau offert par mes ex collègues de la Fédé, mes parents ont décidé de me racheter le même modèle. Et le voilà sous mes yeux. C'est génial !

Ca ne remplace pas ma déception d'avoir perdu celui offert par la fédé, mais c'est un cadeau super utile, un véritable investissement. C'est simple, le couteau suisse d'un modèle inférieur que papa m'avait offert quand j'étais ado a fait partie de toutes mes expéditions, de tous mes voyages, depuis. Le bout de la grande lame est cassée depuis longtemps, mais je m'en servais toujours. Celui-ci est d'un modèle plus complet. Maman m'explique qu'elle a failli appeler Hélène à la fédé pour savoir précisément les références du modèle qu'ils m'avaient achetés, mais finalement ils se sont décidés tout seuls. Ils sont juste parfaits ! Et puis maman m'a également apporté sa lampe frontale, pour remplacer celle que je me suis fait voler. Une autre belle surprise m'attend : maman m'a apporté le sarouel rouge et noir que j'ai renvoyé à Lunel parce qu'il était troué au niveau des fesses. Elle l'a recousu, profitant de son cours de couture pour réaliser la réparation difficile en bénéficiant des conseils de sa prof. Et elle ne s'est pas contentée de réparer, elle l'a customisé en brodant sur la pièce qu'elle adû rajouter pour consolider la couture : Soleader in the road. Et oui, il y a un bug. Copiant sur le lien du blog, sur lequel je m'étais trompé en le créant et que je n'ai jamais pu corriger depuis, elle a brodé "in the road" et non "on the road". Bon c'est pas grave, personne n'y fera attention ! En tout cas la réparation est top et je suis trop heureuse de retrouver mon sarouel préféré. Enfin, il y a aussi une clé USB en forme de chouette, sur laquelle maman a copié les fichiers de musiques russes que j'avais envie d'écouter à l'approche de ma rencontre avec la Russie. Ils ont pensé à tout, mes parents chéris...

De mon côté mes "cadeaux" à moi ne seront pas terribles : j'apporterai à maman les écussons des pays traversés, qu'elle pourra s'amuser à coudre sur mon sac à dos... 

Nous prenons le temps de jeter un oeil au guide Michelin, étendues sur le lit, avant que papa nous rappelle que l'heure tourne et que nous n'avons toujours rien dans le ventre. Nous refermons les sacs à dos et quittons l'hôtel pour partir découvrir le vieux Riga tous ensemble, cette fois. 

J'ai beau avoir déjà arpenté ces rues depuis deux jours, je vais désormais redécouvrir la ville à travers les yeux de mes parents et c'est super agréable. Nous sommes à l'intérieur de la vieille ville, et en trois minutes nous nous retrouvons sur les artères principales du coeur de la ville. La première que nous empruntons mène à la petite place où j'ai acheté une bague en argent et passé du temps dans le bar en extérieur, écrivant en écoutant le concert de rock. Tout à leur découverte, mes parents admirent l'architecture de la vieille ville et s'arrêtent devant les vitrines : maman pour tout ce qui concerne l'artisanat, papa pour détailler les menus des restos où nous irons manger. Il fait bon, et une table libre en terrasse d'un bar nous donne l'occasion de nous asseoir pour grignoter un petit quatre heures avec un thé ou un café. Le service est si long qu'il s'en faut de peu que nous n'abandonnions notre table pour aller nous sustanter ailleurs : c'est au moment où nous décidons de laisser tomber, que la serveuse arrive enfin. 

Depuis qu'il a posé le pied sur le sol de la Lettonie, papa tente de se faire comprendre en allemand. Le fait est que depuis toute petite je l'ai toujours entendu parler allemand ou anglais pendant les vacances. Mais, ayant vécu en Allemagne, à Munich, avant de venir en France,  il est plus à l'aise pour parler dans la langue de Goethe que dans celle de Shakespeare. Cependant ici les jeunes apprennent plutôt l'anglais. Nous découvrirons bientôt un problème majeur, d'ailleurs : ici les menus des restaurants et bars sont écrits en lettons et la plupart du temps traduits en russe, rarement en anglais. 

De mon côté, cela fait des années que je rêve secrètement d'épater mes parents en faisant l'interprète en russe pour les guider dans ces pays et en Russie. Mais je vois bien que j'ai tout oublié  de ce que j'ai appris à l'école. J'arrive à entamer la conversation, mais dès lors qu'on me répond je ne comprends pas la moitié des mots qui sont débités sur un rythme un peu trop rapide. Je ravale ma fierté, et nous nous débrouillerons avec tous nos bouts de langues plus ou moins maîtrisés.

Après avoir savouré notre pause boisson, nous nous engageons dans le dédale de petites ruelles conduisant à la Maison des têtes noires, deans laquelle se trouve l'Office du tourisme. 

Sur le chemin, papa s'arrête pour consulter les cartes des restos, pour repérer les endroits où nous pourrons venir dîner ou déjeuner les jours suivants, et ce soir. 

A l'Office du Tourisme, nous apprenons qu'il est encore un peu tôt pour faire la balade en bateau sur le canal. La saison n'a pas encore démarré, il n'y a pas si longtemps l'eau n'était pas dégelée partout. Nous prenons toutes les infos dont nous avons besoin, puis reprenons nos pérégrinations dans le vieux Riga. En dehors des menus, papa cherche à compléter sa collection de monnaies. Il est à l'affût de revendeurs d'euros, cherchant à récupérer l'ensemble des euros lettons, comme il le fera ensuite en Lituanie et en Estonie. Maman quant à elle est fascinée par l'ambre et cherche déjà un cadeau pour ma grande soeur qui aime particulièrement cette pierre. C'est drôle de voir mes parents en mode vacances, je retrouve bien là nos habitudes familiales et ça fait beaucoup de bien !

Côté habitudes, d'ailleurs, il y en a une qui se manifeste très vite : papa nous fait remarquer qu'il est déjà 18h30 (le temps a filé si vite cet après-midi !), qu'aucun d'entre nous n'a eu un vrai déjeuner ce midi, et que le temps de se mettre en route pour un petit resto et que nous passions commande nous avons des chances de pouvoir attaquer un bon dîner à 19h précises. Elle est pas belle, la vie ? Nous rebroussons chemin vers les rues où nous avons repéré quelques restos plus tôt dans la journée. Et trouvons notre bonheur, pour nous attabler dans un cadre chaleureux et confortable. Une nouvelle partie de mon voyage commence avec mes parents. Jusqu'ici on ne peut pas dire que j'aie donné une thématique gastronomique à mes vadrouilles. Pendant les dix prochains jours avec eux, je vais me rattraper car nous allons toujours faire d'excellents repas, avec des vrais menus et de vrais plats réellement excellents.  

D'une manière générale, il faut bien reconnaître que je vais vivre comme un coq en pâte pendant toute la durée de leur présence avec moi dans les pays baltes ! Ils vont me chouchouter comme je ne l'ai pas été depuis longtemps. 

Je suis à l'écoute de mes sentiments, me demandant si ces retrouvailles ne vont pas rendre plus difficile mon retour à la solitude pour la fin de voyage.

 

Au cours de ce dîner, je parle à mes parents de mon retour anticipé, et leur en explique les raisons. Je n'ai pas le sentiment de les décevoir, comme j'ai pu l'appréhender. Ils comprennent ma décision . Par contre nous prenone conscience tous les trois que fin juin, c'est demain quasiment. Je rentre dans trois mois tout au plus. Et le temps va filer très vite, c'est certain...

Viennent alors les questions sur mon avenir. Qe vais-je faire en rentrant ? 

Bonne question. Oh ça fait un moment déjà que j'y pense. Ce voyage n'a visiblement pas changé cette caractéristique de ma personnalité : je n'ai pas de vocation particulière, tout est susceptible de m'intéresser. Enfin pour peu qu'il y ait une dimension humaine et sociale dans l'activité. 

J'évoque tout de même les quelques idées qui me sont passées par la tête. 

D'abord il y a cette idée qui me tarabuste, cette folle envie de me rapprocher d'un secteur qui me passionne : les milieux littéraires. Je sais bien qu'à l'heure actuelle je n'ai pas l'expérience et les compétences nécessaires pour prétendre faire ce genre de métier, mais je trouve facinant le boulot des personnes en charge de suivre les auteurs, depuis la réception du projet initial jusqu'à la publication d'un ouvrage, avec tout le travail d'accompagnement que cela implique. Bon mais j'imagine très bien la situation ridicule dans lquelle je me trouverais si j'étais demain face au directeur d'une maison d'édition. Ma seule qualité réelle serait le plaisir indicible que me procure la lecture, mais si on me posait la moindre question sur les courants littéraires actuels je n'aurais strictement rien à dire : je ne les connais pas.  Un peu léger pour postuler. Mais après tout je suis dans une phase de ma vie où je suis en droit de tout tenter, je n'ai rien à perdre et tout à gagner en osant. J'ai une piste, d'ailleurs, que je compte exploiter. 

Lors d'un déplacement professionnel, je me suis rendue dans la voiture bar du train qui me ramenait à Paris. J'ai alors fait la connaissance d'une dame, âgée probablement d'une cinquantaine d'années. Des cheveux mi-longs blonds, des lunettes, un regard perçant et doux à la fois. Je ne sais plus qui a adressé la parole en premier à l'autre, d'une manière anodine, quoi qu'il en soit nous avons commencé à papoter. Comment en suis-je arrivée à lui dire que je m'apprêtais à quitter mon travail pour réaliser mon rêve et partir en voyage ? Je ne sais plus. De son côté, elle m'a raconté comment elle aussi avait décidé de tout lâcher un jour, il n'y avait pas si longtemps, quittant son job commercial pour se lancer dans sa grande aventure personnelle à elle : la création de maison d'édition. Elle m'a donné le nom de sa maison, à Paris. A notre arrivée à la gare, nous nous sommes mutuellement souhaité bonne chance pour l'avenir. Et bien j'ai l'intention de trouver son adresse à mon retour en France, et d'aller frapper à sa porte pour lui dire que je suis rentrée. Et pour lui demander ce qu'elle pense d'un profil comme le mien, et de mes chances de trouver ma place dans cet univers professionnel.

Mes parents me rappellent que j'ai récemment obtenu un master en management et organisation des événements sportifs. Ce serait domage de ne pas valoriser ce diplôme en quittant le secteur de l'événementiel sportif. Je suis d'accord. Et cela fait incontestablement partie des pistes de recherche que j'explorerai en rentrant. Mais ce n'est pas la seule. J'aimerais bien, sinon, trouver l'occasion d'utiliser les langues étrangères dans mon prochain job. C'est vrai, j'aime tellement ça, pratiquer les langues, et puis j'ai des facilités, alors c'est quand même ballot de ne pas m'en servir plus souvent. Je pourrais peut-être chercher du côté des événements et accompagnement de croisières. Une bonne façon de continuer à voyager et de parler différentes langues. Je vois mes parents dubitatifs à cette nouvelle perspective. Bon enfin on verra bien, quoi, pour l'instant je suis ici, à Riga, et mon voyage n'est pas terminé. Ils me rappellent que j'ai envisagé, à un moment donné, de rester à Marrakech pour travailler avec mes amies de Priscilla. Et en effet, je sais que j'ai quitté le Maroc avec une question en suspens. Et je sais que je vais devoir y retourner pour apporter une réponse à cette question. Y a-t-il vraiment une place pour moi là-bas ? J'ai bien l'intention de rendre visite aux filles à la fin de mon voyage. D'abord parce qu'elles me manquent et que j'ai besoin de les retrouver, ensuite pour savoir où elles en sont de leurs projets. Et qui sait, si elles ont toujours besoin de moi, alors je sonderai mes envies profondes. 

Mes parents me parlent aussi d'eux, de leurs projets à eux, et me donnent des nouvelles des uns et des autres. C'est tout de même incroyable de se retrouver tous les trois assis là, à Riga, discutant comme on pourrait le faire dans les fauteuils de leur maison de Lunel. Nous demandons au serveur de nous prendre en photo. Très émue, j'entends mes parents me remercier de les faire voyager eux aussi depuis que j'ai poussé le premier coup de pédale. Chacun à leur façon, ils m'ont suivie au jour le jour, partageant mes découvertes et mes états d'âme. Je le sais bien, je les ai senti proches de moi depuis le premier jour. Mais je me rends compte ce soir-là que, pour eux aussi, ce voyage aura été une belle aventure.

Et lorsqu'elle s'arrêtera, elle ne s'arrêtera pas uniquement pour moi.   

Je ne m'attendais pas à ce que ce voyage crée ce lien entre nous, et j'en suis extrêmement heureuse. 

Nous finissons par quitter le restaurant et rentrons lentement à l'hôtel. Nous décidons de nous laisser dormir le lendemain matin  (mes parents ont dû se lever à 5h pour prendre l'avion) et nous donnons rendez-vous à 10h à l'hôtel. Je les accompagne dans leur chambre pour tenter de résoudre un souci avec le téléphone portable de maman. Papa en profite pour trouver les coordonnées d'un hôtel à Tallin. Enfin je les embrasse et les quitte pour retourner dans mon auberge. 

Dans la rue qui conduit de l'impasse de l'hôtel à la voie du tramway, je tombe par hasard sur un cyber café. Ah bah super ! Ouvert 24 heures sur 24, en plus ! J'entre. Presque tous les postes (il doit y en avoir près de 30, dans diférentes petites salles et couloirs) sont occupés, et uniquement par des hommes et des gamins. La plupart sont sur des jeux vidéo ou en réseau. J'entends parler russe dans les autres pièces, alors je m'adresse à l'accueil en russe également. On m'attribue un poste. Je suis aux anges. Je m'installe devant un ordinateur et me rends sur le blog. J'en repars à minuit, trop heureuse d'avoir pu avancer dans la rédaction. 

Lorsque j'arrive à l'auberge et que mon téléphone se connecte au wifi gratuit, je m'aperçois que maman m'a envoyé un petit message pour me souhaiter bonne nuit. Elle va voir que je n'ai lu le message qu'à minuit, et probablement se demander ce que j'ai fichu entre le moment où on s'est quittés et celui où j'ai vu son mail. J'espère que mes parents ne vont pas s'inquiéter. 

Je retrouve tout mon petit monde dans la cuisine de l'auberge de jeunesse. Il y a deux petits nouveaux, qui ressemblent à des touristes. La preuve, ils sont de type européens, sont en train de manger une soupe en sachet, et porte des pantalons avec pleins de poches partout et des chaussettes de randonneurs. Ils sont allemands. Je n'aurai pas trop l'occasion de  converser avec eux car Arman est là, et me demande des nouvelles. Je lui raconte ma journée, et lui fais part de ma préoccupation concernant le chargeur de mon appareil photo. Il me demande de lui montrer mon chargeur. Je m'exécute. Sous les yeux d'Oleg, il ferme un oeil pour mieux observer sous toutes ses coutures mon chargeur. "Mmmmmm...." Arman réfléchit; oleg se penche par-dessus son épaule. Ils échangent quelques mots en letton. Semblent avoir d'abord des avis différents, avant de tomber d'accord : il y a une différence d'ampérage, probablement. Arman redresse la tête et rouvre son deuxième oeil. "Tu peux sortir avec moi demain matin à 8h ?" - me demande-t-il en russe. "On va aller au marché aux puces, à 5 minutes d'ici. On peut trouver un chargeur, mais c'est le marché juif, alors tu m'accompagnes mais tu me laisses négocier, tu ne parles avec personne. Parce que s'ils s'aperçoivent que tu es touriste, ils vont augmenter le prix. Moi je vais t'avoir un chargeur à un bon prix." Oh vraiment ? Top-là, je serai prête à 8h. 8h précises, car après ce détour au marché aux puces, Arman ira travailler. Cool, je savais bien que je pouvais avoir confiance en lui ! Je retrouve un peu l'espoir de trouver une solution pour mon appareil photo. 

Je reste encore un peu pour regarder la télé avec mes compères, discutant avec d'autres jeunes locataires de l'hôtel. C'est drôle, j'ai la sensation que la période d'observation est finie, ceux qui jusqu'ici se contentaient de répondre à mes bonjour sans engager pour autant la conversation s'intéressent désormais à moi. En russe - qu'ils maîtrisent mieux que moi - et en anglais - queje maîtrise mieux qu'eux -, nous parvenons tant bien que mal à communiquer. Tous travaillent temporairement à Riga et se logent ici car c'est l'hôtel le moins cher qu'ils aient trouvé. A part les deux touristes allemands, tous les autres sont dans ce cas. On me redemande quelle bizarrerie de la vie a fait que j'aie pu apprendre le russe à l'école en France ! Je leur explique que la proviseur de mon lycée était une fervente pro-soviétique ! Ils se marrent tous lorsque j'ajoute que l'argument massue que la proviseur avait brandi pour nous inciter à nous inscrire en russe, était que l'Union soviétique allait bientôt ouvrir ses portes et offrir de nombreuses opportunités d'emploi à tous ceux qui auraient appris cette langue. Ils veulent me donner leurs conseils sur les choses à voir en Lettonie. Mais nous sommes convenus avec mes parents de nous contenter des trois capitales baltes, car les routes ne sont pas aussi rapides que les autoroutes françaises, et si nous voulons visiter Tallinn et Vilnius sans courir et sans passer notre temps en voiture, nous ne pouvons pas trop faire de détours. 

Je vais me coucher, et suis debout le lendemain matin pour accompagner Arman au marché aux puces. Oleg vient me voir et me demande de patienter. Il m'apporte une pomme et un yaourt. "C'est le petit déjeuner", me dit-il. Ah bon ? En fait, les deux jours précédents, il a oublié de me donner de quoi manger. Ce sont les deux touristes allemands qui lui ont rappelé que le petit déjeuner est inclus dans le tarif... Bon ben merci !

J'avale la pomme et le yaourt le temps que Arman soit prêt à sortir. Puis nous enfilons nos manteaux et partons ensemble à grandes enjambées. En effet le marché n'est pas loin, il est juste dans l'avenue Gogol, en face de l'entrée de la rue de l'hôtel. Je ne l'avais pas remarqué plus tôt, car il n'est pas indiqué. Sur le trottoir, un mur gris bétonné cache les stands qui se tiennent dans une grande cour à ciel ouvert. Une porte de garage en ferraille donne accès à la cour. Généralement elle est fermée. Ce matin, elle est ouverte. J'entre à la suite d'Arman. Celui-ci salue deux ou trois personnes, et s'approche d'un stand qui étale des accessoires électriques et de téléphones portables. 

Arman sort de sa poche mon chargeur et montre l'embout au vendeur. Celui-ci cherche dans une boite en carton derrière son comptoir, et en tire un chargeur avec le même embout. Les deux hommes discutent deux secondes et demi, puis Arman se tourne vers moi et m'annonce : 3 euros. Je prends les trois euros dans ma poche et les lui tends. Arman demande à vérifier que le matériel fonctionne bien. Je jette un oeil aux autres stands : des pneux de vélo, du matériel électrique en tout genre, des outils, des gants de travail, des bottes et chaussures de sécurité, etc. Tout est noir, et tous les stands sont des petites maisons de bois marron foncé Le gars branche le chargeur et lui montre le voyant allumé. Ok c'est tout bon. Nous repartons aussitôt. 

Je suis bien contente, j'exprime ma reconnaissance à Arman. "Attends on va voir si ça marche avec la pile de l'appareil photo" - me dit-il. Nous revenons à l'auberge, et j'essaie tout de suite le chargeur. Le voyant rouge s'allume. Génial ! Je suis sauvée ! Je renouvelle mes remerciements, et promets à Arman de rapporter des bières ce soir. Il rigole et me salue avant de partir pour bosser. Moi je laisse la pile se charger un peu et vais chercher des kleenex dans mes sacoches, car je commence à beaucoup renifler : contrecoup du choc thermique entre le Mexique et la Lettonie, je suis en train de bien m'enrhumer. 

L'heure tourne, je rejoins mes parents à leur hôtel. Ils m'apprennent qu'ils n'arrivent pas à joindre l'agence en France qui leur a boooké le voyage et la réservation de la voiture. Ils tiennent à les prévenir que le bureau de l'aéroport de Riga leur a facturé des choses non prévues ou en tout cs déjà réglées d'après leur contrat avec l'agence. Nous regardons ça ensemble et leur envoyons un mail avec copie des factures.

Puis nous démarrons notre journée par la visite du dome. Il fait très froid ce matin, malgré le soleil. A l'accueil, nous achetons nos billets pour entrer dans le choeur et accéder au clocher. La dame qui contrôle les tickets nous surprend par sa froideur. Qu'avons donc nous fait pour qu'elle nous rappelle à l'ordre de cette manière peu aimable ? Nous n'avons pas pris la direction du début de la visite. Oula, grave, ça ! S'il s'était agi de moi uniquement, je crois que cela ne m'aurait fait ni chaud ni froid. Mais cette brave dame a eu le malheur de mal accueillir mes parents, qui viennent d'arriver avec leur bonne humeur en Lettonie, réalisant, par ce déplacement, un vieux rêve. Alors madame, tu vas te calmer. 

Nous faisons le tour de l'intérieur de l'église, admirant l'architecture et les blasons des chevaliers teutoniques suspendus aux piliers, et la statue de Roland taillée dans la pierre. Puis nous gravissons quelques marches d'escalier et prenons l'ascenceur pour monter sur le clocher. Là-haut l'air est très frais, et la vue imprenable sur Riga et ses environs. 

Je prends conscience que la Lettonie, c'est vraiment tout plat. Aucun relief ne se dégage alentours. Au moins pour le vélo ça ne devrait pas être trop difficile ! Maman me parle pourtant de la vallée de la Gauja, réputée, qui doit comporter quelques reliefs puisque le guide mentionne des grottes et des points de vue. Sur le clocher, le froid se fait beaucoup plus mordant. Papa et moi avons nos chapkas sur la tête, maman a laissé son bonnet à Lunel et grelotte. 

En quittant l'église, j'emmène mes parents au marché central. Il faut marcher un peu et traverser le souterrain pour resortir côté gare ferrovière et magasins Stockman. Nous déambulons parmi les stands de vêtements, de fruits et légumes, et de fleurs. Maman s'arrête pour regarder les vêtements tricotés mains et admire la qualité. Elle choisit une paire de petits chaussons pour "bébé Flo". Un peu plus loin, elle se décide à essayer des bonnets car décidément le froid lui donne mal à la tête. Après deux ou trois essais, elle trouve celui qui va bien. Nous avançons un peu. Papa constate à son tour que les légumes et les fruits sur les étals sont très beaux et font envie. Nous décidons d'acheter des airelles. La vendeuse nous pose une question que nous ne comprenons pas. On en achète un petit paquet, que nous comptons déguster plus tard. Cependant maman me propose d'en goûter tout de suite. J'en avale deux et fais la grimace : c'est très amer ! On ne pourra pas les manger sans sucre. Au final, je les emporterai avec moi à l'auberge et en mangerai quelques-unes en piquant du sucre  dans les placards. 

Quelques mètres plus loin, maman s'extasie devant les chatons, vendus par des dames qui les proposent sous forme de compositions ou en branche toutes simples. Je crois que la vision de chatons réveille des images de son enfance. 

"Dis donc c'est le style babouchka ici" - commente ma mère en arrivant au milieu des stands de vêtements aux motifs tristoune ou surchargés,, confirmant mon impression lors de ma première visite au marché... Nous tombons cependant en arrêt devant une petite boutique, le regard de maman s'étant posé sur les tabliers de cuisine suspendus sur une penderie mobile. "Ah, c'est peut-être l'occasion de changer celui de ton père, qui n'est pas très fun" - dit-elle en regardant les différents motifs proposés.  Ah mais oui, tout à fait ! Nous faisons essayer à papa un tablier avec une belle matriochka au fichu vert. Excellent ! Tout juste ce qu'il lui fallait ! Et hop, nous embarquons le tablier.

Nous nous décidons ensuite à entrer dans un des énormes pavillons. C'est celui de la boucherie. Youpi. D'énormes morceaux de viande sont étalés dans les vitrines réfrigérées. Je n'ai jamais vu de pièces de viande aussi énormes. Que ce soit en filet, en tranche, en boudin, en langues, pieds, ou côtes, tout est disproprortionné ! Un morceau doit pouvoir nourrir minimum une famille. Sur les côtés du pavillon, on peut commander des plats et les manger sur place. D'ailleurs nous commençons à avoir tous faim. Après avoir fait le tour des stands proposant de quoi se sustanter, nous ne trouvons rien de suffisamment alléchant ou copieux, et quittons le pavillon. 

Nous visitons encore un second pavillon, celui des fromages et des pains, avant de quitter le marché tenaillés par la faim. Il nous faut un petit moment pour revenir dans le vieux Riga en chasse d'un resto. Nous trouvons cette fois-ci une chaine, Il Patio, où l'accueil s'avère aussi agréable que les plats sont bons. Et nous découvrons un concept de toilettes pédagogiques original : dans ce resto italien, passer trois minutes au petit coin vous permet d'apprendre les langues. Une voix vous accueille et se lance dans une leçon thématique. C'est d'abord papa qui revient en se marrant, nous expliquant quelle aventure intellectuelle il vient de vivre. Je prends le ticket suivant. Mon cours est axé cuisine. J'écoute donc la voix me dire comment on dit poulet, poisson, tomate, courgette, etc, d'abord en letton puis en italien. Sympa. 

Après cet excellent repas, nous reprenons notre balade vers Brividas cette fois-ci. Nous passons devant l'ambassade de France. Juste un peu plus loin, un groupe de jeunes femmes en tenue de diplômées ou de choristes, je ne sais pas, pose pour une photographie de groupe sur les marches de l'université. Comment font-elles pour être dehors en manches courtes par ce froid ?! Une fois que la photo est prise, toutes se dépêchent de rentrer en riant dans l'université. 

Nos pas nous conduisent jusqu'à la cathédrale orthodoxe. Des gens entrent et sortent, couvrant leurs cheveux et se signant plusieurs fois avant de monter les marches. 

Nous entrons à notre tour. Cette cathédrale est la deuxième plus grande des pays baltes. Il est interdit de prendre des photos à l'intérieur. C'est dommage, car l'architecture, les peintures murales, le marbre rose et les icônes sont très beaux. C'est trop bête de ne pas pouvoir garder de souvenir de ces églises magnifiques. C'est assez surchargé. Ca me fascine de voir qu'il n'y a pas un centimètre carré qui ne soit travaillé, décoré, orné. Le marbre rose me surprend, tout comme les peintures couleur pastel. Je ne m'attendais pas à ce genre de coloris. Le centre de la cathédrale est vide. Seul trône un genre de pupître en bois, présentant une icône dorée en plusieurs tableaux, et mis en valeur par un petit bouquet de fleurs à côté. 

Sur un côté, un pope est en train de célébrer un culte, apparemment, pour une poignée de fidèles. C'est curieux, plusieurs fois j'aurais cette impression que dansune même église, dans diverses petites chapelles, plusieurs cultes privés peuvent être donnés en même temps par différents popes, tandis que les visiteurs se baladent dans la nef centrale. Cette pratique ne me semble pas propice au recueillement. Pourtant les fidèles sont concentrés et ne prêtent pas la moindre attention au va et viens des autres visiteurs, touristes ou bien fidèles circulant dans l'église pour aller honorer plusieurs icônes avant de repartir.

J'aimerais bien revenir pour assister à un culte ouvert à tous. Apparemment il y en a tous les jours. A Paris, il y a très longtemps, j'avais suivi ma grande soeur dans l'église orthodoxe fréquentée par la famille d'un de ses copains de classe. J'avais beaucoup aimé les chants. L'accord des timbres de voix et les modulations de la litanie m'avaient donné la chair de poule J'ai envie de revivre cette expérience. 

Nous quittons l'église, et décidons de prolonger la promenade vers le quartier Art nouveau. Nous zigzagons dans les petites rues en direction d'Elisabeth iela. Plusieurs jolies maisons en bois attirent mon attention. Mes parents sont assez impressionnés par l'état de délabrement de nombreuses façades. Moi j'avoue que je n'y fais pas tellement attention, du moins ça ne me choque pas spécialement. Je crois que j'ai plutôt le sentiment d'être au coeur d'une ville qui secoue lentement la poussière des plis de son manteau usés. Oui bien sûr on butte sur le passé et la grisaille abîmée à chaque coin de rue. Mais les centres commerciaux qui poussent dans la capitale, les restaurants et bars animés, les grands panneaux publicitaires annoncent la transition vers une nouvelle ère plus moderne qui lui donnera un nouveau visage. Les vieilles façades seront restaurées, et les gens porteront des manteaux moins élimés et ternes, et ne parleront plus russe dans la rue... 

Nous en avons plein les pattes, et faisons un stop dans un sympathique petit café revêtu de bois à l'intérieur comme à l'extérieur, et surtout fréquenté par de jeunes étudiants. J'aime bien l'ambiance de cet éndroit, aliant la simplicité à un charme propret. Grâce à un bon café et un bon thé pour maman, nous retrouvons quelques forces pour aller admirer les moulures et les statues sculptées sur les murs des magnifiques bâtiments d'Elisabetha et Alberta iela principalement. Certaines façades ne sont pas encore rénovées, mais la plupart ont tout de même un cachet certain. Beaucoup de ces bâtiments sont occupés par des ambassades. 

Il est temps de prendre la route du retour, nous avons déjà beaucoup marché pour la journée. Nous revenons vers la vieille ville en passant par les jardins du parc Kronvald dans les allées duquel les mamans promènent leurs enfants. Au bord du canal, nous tombons sur une statue de Pouchkine. Le poète tient son haut de forme et ses gants dans ses mains, et pose dans une attitude très élégante.  

Tant qu'à faire de revenir vers le centre, je propose de rentrer par un chemin nous faisant passer par d'autres lieux phares de la ville, certifiant à papa - qui en a marre de marcher - que ça ne rallonge pas le parcours. Et le fait est que sur le papier (enfin sur la carte touristique que nous avons avec nous), c'est kif kif bourricot. Pourtant on n'en verra pas le bout ! Le retour nous paraîtra extrêmement long. Je m'apercevrais d'ailleurs que maman est tout autant kaput que papa, bien qu'elle l'ait moins dit. Je vois bien que mes parents ont à coeur de ne pas me freiner dans mes envies. Ils me répèteront souvent qu'avec eux je perds mon rythme, je me traîne, et laisseront entendre que je dois m'en sentir frustrée. Alors oui c'est vrai que mon rythme de marche n'est bien sûr pas le même avec eux que sans eux. Pourtant à aucun moment je ne m'en suis sentie frustrée. Pendant la durée de leur présence, c'est le temps passé ensemble qui m'importera. Quel que soit le programme, tout me va. J'aurais beau le leur dire plusieurs fois, je crois qu'ils n'en n'ont jamais été convaincus vraiment, 

Et c'est en me heurtant à cette conviction et ces excuses régulières sur les conséquences de leur présence que je mesure aussi à quel point mes parents vivent cette aventure au rythme de mes sentiments et de mes pensées. Ca me touche beaucoup. Ils sont heureux d'être ici, évidemment, mais ils se sentent presque coupables de m'empêcher de rencontrer d'autres personnes, et de vivre mes expériences comme je l'ai fait jusqu'ici. Ai-je à ce point chanter les louanges de ma liberté tout au long du blog ? Sans doute. Mais comment peuvent-ils ne pas réaliser que tout ce qui compte pour moi en ce moment c'est qu'on soit ensemble ? 

Nous pénétrons dans le vieux centre par la porte suédoise, et débouchons sur la jolie place de la cathédrale, que nous n'avions pas encore vue, avant de tomber sur les trois frères dans Maza Pils. Les trois frères sont les trois bâtiments les plus anciens de la ville, se tenant les coudes dans une ruelle très étroite, penchés un peu les uns sur les autres. Je lirai plus tard qu'un des bâtiment est représentatif de la renaissance néerlandaise, le deuxième est décoré dans le style du Maniérisme, et le troisième présente un pignon baroque. Rien que ça !...

C'est exténués que nous allons nous poser dans un resto, repus de toutes ces impressions fugaces qui donnent corps à la capitale lettonne, désormais, dans nos esprits. Les couleurs rose et orangé du soleil couchant ont accompagné nos derniers pas dans la ville avant de pousser la porte du restaurant situé à côté de l'office du tourisme, dans la maison des têtes nègres, à dix mètres de la statue de Roland. En plus d'être chaleureux, le restaurant propose une cuisine typiquement lettone. D'ailleurs nous ne comprenons quasiment rien aux menus et choisissons plus ou moins au hasard. La serveuse, une jeune brunette d'une trentaine d'années aux cheveux courts, ajoute sa joyeuse humeur à l'ambiance sympathique qui se dégage de ce lieu composé de comportiments boisés assortis de coussins blancs dans un style un peu tyrolien. Notre serveuse sort les deux mots de français qu'elle connait, puis deu mots d'italien puisqu'elle comprend qu'elle sert une table internationale ce soir. Elle me fait rire, en voilà une qui aime son boulot ! Derrière les murs de notre compartiment, au fond de la salle, un groupe semble fêter quelque chose. La serveuse nous explique le fonctionnement d'un petit boitier sur la table, et qui comporte plusieurs boutons. Lorsque nous serons prêts à commander, nous pourrons appuyer sur le bouton de droite. Si par hasard nous voulons annuler cet appel, on peut appuyer sur un autre bouton. Et je crois qu'il y avait encore un ou deux boutons supplémentaires mais je ne me rappelle plus à quoi il devaient servir. Nous nous plongeons dans les menus et faisons notre choix, avant de jouer avec les boutons...

La serveuse est tellement sympa et la cuisine tellement bonne qu'en partant nous promettons quasiment de revenir la voir samedi, pas ici mais dans le deuxième restaurant tenu par le même propriétaire et dans lequel elle travaille aussi.

J'accompagne mes parents à l'hôtel. Papa demande à la réceptionniste d'appeler un hôtel qu'il a repéré à Tallin, mais celle-ci estime qu'on peut bien le faire nous-mêmes. C'est dit d'une voix neutre, sans plus d'amabilité que ça mais sans froideur excessive non plus. Papa peste contre la dégradation de la qualité de service dans le commerce. Moi je comprends qu'on est en effet assez grands pour se débrouiller, mais tout de même c'est dommage qu'on ne sente aucune volonté d'être agréable... Bienvenue en Lettonie...

Une fois dans la chambre, mes parents appelle. Et là, nouvelle déception : oui il y a de la place pour après-demain soir, mais il faut réserver sur internet. 

Habituée des réservations, je ne suis pas surprise... je pense par contre que décidément l'évolution des services ne tient pas tellement compte de la difficulté des personnes âgées à se familiariser avec internet. Hors internet, point de salut, on ne peut plus rien faire ! 

Après bien des opérations et des recherches, nous envoyons deux demandes de réservation dans deux hôtels différents. Puis nous préparons le programme du lendemain. Maman irait bien faire un tour dans la vallée de la Gauja, mais sur une journée seulement cela nous ferait courir. Alors nous optons pour le musée en plein air de Riga. Il recompose différents exemples d'habitations typiques, au sein d'une forêt. 

Puis je quitte mes parents et leur souhaite bonne nuit avant d'aller au supermarché pour acheter les bières que j'ai promis de rapporter à Arman. Je me retrouve devant une allée entière remplie d'une quarantaine de sortes de bières différentes. Bon... lesquelles choisir ?... Je vais voir dans les frigos, et opte pour deux bières différentes que je ne connais pas du tout mais qui ne semblent pas parfumées à quoi que ce soit. Mais alors que je m'approche des caisses, un jeune homme m'interpelle en anglais. "After 10 oc'clok you cannot buy beer", me dit-il. Ah bon ? Ah mince alors ! Je e remercie pour l'info et repose les bières. Bon et bien me voilà démunie, je vais rentrer les mains vides... Ainsi en Lettonie il est interdit d'acheter de l'alcool après 2h; Après tout, c'est plutôt une bonne idée.

J'ai beau rentrer tard, la cuisine est envahie par une compagnie joyeuse. Arman init de préparer son dîner : unénorme plat de pommes de terre qu'il recouvre très généreusement de fromage. Mon dieu il va manger tout ça ?? Je lui explique que je n'ai pas pu acheter de bière. "Beer ? Why ?" Ben tu te rappelles, j'avais dit que je régalais, ce soir. Il balaie l'info de la main et se lève pour ouvrir le frigo : "mais tiens, c'est moi qui te l'offre, la bière, t'en fais pas ! Alors ça marche ton chargeur, tu as pu faire des photos ?" Oui oui, super, merci encore ! "Tu veux bien me montrer des photos ?" Ah, euh... ok !  

Je m'asseois à côté de lui et prends l'appareil photo dans mon sac à dos. Il m'amuse, il s'intéresse vraiment aux photos que j'ai prises. La jeune réceptionniste du Bug Bed entre dans la cuisine et me demande comment s'est passée ma journée. Elle voit ma carte touristique de la Lettonie. Les autres jeunes s'intéressent à la discussion et j'en profite pour leur demander s'ils ont des conseils à me donner à propos de jolies choses à voir sur la route qui mène vers Tallin et celle qui descend vers Vilnius. Mais les voilà tous partis à me vanter les beautés des régions dont ils sont originaires... et qui ne se trouvent pas franchement dans les zones par lesquelles nous allons passer. Trop à l'intérieur des terres. Penchés sur la carte étalée sur la table de la cuisine, ils me montrent d'où ils viennent, me citent des noms que je ne retiens pas. Je souris. Il y a trois jours on ne s'adressait la parole que pour se dire bonjour et au revoir. Il semblerait que la glace soit brisée...

Je vais me coucher plus détendue que jamais depuis que je suis arrivée en Lettonie. Je me sens encore plus chez moi dans cette auberge - refuge de migrants et de jeunes en recherche d'opportunités de travail plus florissante que chez eux.

Le lendemain matin, Oleg m'apporte une pomme et deux petits paquets de gâteaux pour le petit dej. Le seul autre guest touriste de l'hôtel, arrivé hier, s'est plaint de la maigreur de petit déjeuner. Alors Oleg souhaite être plus prévenant avec moi. Je le remercie, et nous sirotons ensemble nos cafés devant un téléfilm policier en russe affreusement doublé. 

La journée s'annonce belle. J'aime décidément cette lumière froide et ces rayons de soleil caressant les palissades en bois. J'aimerais sentir un feu de cheminée dehors, mais il n'y en pas pas dans le coin. Je vérifie auprès d'Oleg qu'il est toujours possible de laisser mes affaires et mon vélo demain matin à l'auberge, pour une semaine. Puis je m'habille et rejoins les parents à leur hôtel. La nuit a effacé un peu des fatigues de la veille. Nous sortons déjeuner, puis nous allons chercher la voiture garée sur le parking extérieur à côté de l'hôtel Maman prend le volant, et moi le GPS pour nous mettre dans la bonne direction, c'est à dire pour rejoindre le nord-est de Riga. Encore peu habituée aux voies lettones et aux signalisations au sol pour tourner, nous loupons évidemment la bonne route et perdons un peu de temps avant de tomber sur l'autoroute qui monte vers Jurmala. 

En fait, le Musée n'est pas si loin, mais on met une plombe à trover l'autoroute et à sortir de la circulation du centre ville puis de la très lingue avenue Brividas qui remonte sur plusieurs kilomètres. Lorsqu'enfin nous quittons cet environnement de béton et de trafic routier chargé, les lacs et les roseaux apparaissent, puis la forêt. Oh que ça va faire du bien de passer la journée en nature ! J'aime ces couleurs froides. J'avais éprouver le même plaisir lors de notre balade en vélo au Danemark avec Julie, quelques années auparavant. N'ai-je pas dit à mes parents, quand ils m'ont demandé mes premières impressions sur Riga, que je pourrais vivre ici ?... 

Nous nous trompons encore de sortie et devons faire un nouveau demi-tour avant de trouver enfin le parking du Musée. La journée est juste idéale pour cette balade dans le temps, dans la forêt lettone, de reconstitution de fermes en reconstitution de village.

A peine avons-nous commencé la promenade, ma mère s'extasie sur les jolies fleurs de la forêt. Je ne sais pas comment elle connaît tous ces noms improbables. J'ai tendance à oublier que maman n'est pas une parisienne, et qu'elle connait bien mieux la campagne que ses filles.

Le plan du Musée montre une bonne quarantaine d'habitations sur le site, mais seules quelques unes sont ouvertes aux visites. Nous commençons la balade par une longue ferme qui donne accès par une porte à un restaurant, et par une autre à un grand hangar dans lequel sont exposées des troïkas. Enfin... Arman me dira le soir que les vraies troïkas ne se trouvent qu'en Russie ! Oh il me le dira avec un regard moqueur. Mais me voilà prévenue : la troïka est russe, point final. Ca ne m'empêche pas d'être fascinée devant ces véhicules en bois que je tente d'imaginer parcourant les forêts, tirées par des chevaux, faisant tinter leurs grelots en hiver. Il y a aussi des petites charettes et voitures hautes, à grandes roues et habitacle tapissé de velours rouge et or. Ou encore celle-ci, à moitié ouverte et au toit de tissu noir arborant une croix en relief : une voiture mortuaire, visiblement.

Un peu plus loin, en suivant un chemin qui monte un peu, nous découvrons une église masquée par des arbres. Le bâtiment est mignon et semble bas de plafond. Nous sommes sur le point d'entrer pour voir à quoi elle ressemble à l'intérieur, lorsqu'une femme nous alerte : on ne peut pas visiter aujourd'hui, la chapelle est réservée pour une cérémonie privée familiale. Un baptême. Ah bah c'est trop dommage... En même temps c'est super que les gens puissent procéder à leurs cérémonies dans ce cadre vraiment charmant. Finalement la brave dame nous autorise à entrer dans le hall d'entrée et à nous approcher un peu pour admirer les peintures du plafond, entre autres merveilles.  Le plafond est très bas, accentuant l'impression de profondeur et d'intimité de la pièce. Les rangées de bancs sont fermées par des portes en bois, comme dans les vieux films. Ah comme c'est dommage que nous ne puissions pas faire quelques pas de plus et nous asseoir sur ces bancs, juste pour voir ce que ça fait, pour changer de point de vue et, qui sait, faire un saut dans l'espace temps...

En tout cas, avec un plafond aussi bas, les chants des lithurgies doivent encore plus vous saisir et vous plonger dans un état de recueillement.

Nous redescendons de la hauteur sur laquelle l'église a été élevée, et explorons un autre sentier, qui nous conduit jusqu'à un groupe de maisons dont les toits sont en partie couverts de mousse verte. Une clôture en bois délimite la propriété, comme, plus loin, nous en verrons d'autres dessinant l'enceinte de petits villages comprenant les demeurres, les ateliers stockant le matériel ou les garde-mangers. Nous pouvons entrer à l'intérieur et nous promener de pièces en pièces (enfin c'est vite fait, en général il n'y en a que deux) comme si nous étions chez nous. Tous les objets sont accessibles, les fourneaux allumés, faisant office de cuisine et de chauffage central. Les lits sont disposés le plus près possible du four. J'ai du mal à m'imaginer la vie de famille dans ce cadre exempt d'intimité. Quand on pense qu'aujourd'hui, dans les familles aux revenus moyens, les enfants ont leur chambre et exigent que les parents frappent à la porte avant d'être autorisés à pénétrer dans leur espace privé... Autres temps, autres moeurs... J'ai conscience, à cette pensée, d'être formatée par mon éducation et ma culture européenne individualiste. Ce n'est pas la norme partout dans le monde, et, en un certain sens, c'est tant mieux...

De simples rideaux séparent les lits de la vie commune du foyer. J'imagine le son lourd des bottes et des sabots sur les lattes de plancher. Les outils sont ceux de personnes autonomes pour la chasse, la confection des vêtements, la préparation du gibier, la pêche. Je suppose qu'autour de la table en bois, à la lumière de la petite lampe à huile posée sur la nappe, les seules lectures devaient être celles de textes sacrés. Dans la pièce servant au stockage de victuailles et de matériel, une troïka attend d'être attelée pour une virée dans la forêt. 

Nous visitons plusieurs petites maisons de ce type. Plus loin, c'est un tout petit village qui s'étale sous nos yeux, avec le four à viande dressé au milieu comme une sorte de tipi en bois. Une des maisons est occupé par un artisan qui sculpte des objets en bois et expose des décorations et vêtements en laine. Ca sent plein nez l'artisanat pour touristes. Nous allons explorer le village. Ici aussi les meubles sont rustiques, et les logements exigus. Alors que nous poursuivons la balade dans la forêt, maman remarque des bidons en plastique aux pieds des arbres. C'est la sève de bouleau, aux vertus thérapeutiques, qui est récoltée, ici ou là, dans le parc naturel du Musée. 

Un des villages est installé à côté d'un lac. Nous nous posons quelques instants près de son eau argentée. Autour de chaque lac, les roseaux s'étendent sur les berges. Pas de risque de manquer de matière première pour bâtir les toits des maisons ! La forêt sent bon. On est mignons, tous les trois, avec nos bonnets et nos manteaux dans ce paysage aux couleurs froides malgré les rayons du soleil. L'air est doux mais tout de même on ne peut pas tomber la veste, on a beau être en avril, il fait bien frais ici. Idéal pour donner de belles couleurs aux joues. 

Nous grimpons sur une autre petite butte pour voir de plus près un grand moulin aux ailes de bois parfaitement reconstituées. Maman cherche le mécanisme de rotation d'un oeil dubitatif. 

Après plusieurs villages, la fatigue arrive à point lorsque l'heure de fermeture du Musée approche. Nous reprenons la voiture pour rentrer par une autre route vers la capitale, contents de notre virée en nature. Je prends le volant. Cette voiture est vraiment agréable à conduire, une fois qu'on a pris ses marques avec ses dimensions et la signalisation lettone. Ca va être super chouette notre road trip dans les pays baltes. J'ai hâte d'être à demain et de rouler avec mes parents sur les routes qui nous emmèneront en Estonie et en Lithuanie. La vie est belle, qui aurait cru que nous vivrions cette aventure tous les trois, ici et maintenant ? Voilà encore une des belles surprises que m'aura réservé ce voyage. Bon, évidemment, il faudra que nous limitions nos découvertes aux capitales des deux autres pays. En une semaine, si on ne veut pas courir, et compte tenu de notre rythme actuel, ce sera largement suffisant. C'est dommage, il y aurait tant à voir ! Mais c'est très bien comme ça, l'important est de savourer chaque journée.

De retour dans le centre, nous garons la voiture et allons dîner. Une fois de plus, tout est excellent. Vraiment je me serai régalée toute la durée du séjour de mes parents. 

En quittant l'hôtel, je passe quelques heures au cyber pour avancer sur le blog. L'ambiance est vraiment glauque, tout de même. Tous ces gars installés devant leurs écrans pour jouer ou regarder des films... Je demande au réceptionniste un ordinateur, en russe. Il m'annonce un numéro et me rends ma monnaie (puisqu'il faut payer en avance pour le nombre d'heure souhaité). En comptant les pièces qu'il me donne, je lui demande la bouche en coeur de me rappeler comment on dit un chiffre en russe. Il me regarde de travers. "Et pourquoi pas en letton ?" - me répond-il. Ah... Dépitée par cette agressivité et par mon manque de jugeotte, je bafouille que je veux bien essayer d'apprendre, mais que ça me vient plus facilement en russe. Et puis je hausse les épaules, vexée de m'être fait cueillir à froid, et pars m'installer devant l'ordi qu'il m'a attribué. 

Je reste jusqu'à près de minuit. C'est toujours pareil. Cette immersion dans le voyage me coupe de la réalité.

Je repars quelques semaines en arrière, dans un autre univers qui n'a plus rien à voir avec ce que je suis en train de vivre. Alors j'oublie le présent, je n'entends plus les conversations des mecs autour de moi et ne remarque plus leurs allées et venues dans les couloirs du cyber, et je suis à nouveau en train de marcher sur la pointe des pieds avec Titi dans la jungle, à la recherche d'un toucan ou d'un puma. Je regarde les photos des singes et je souris en revoyant la couleur turquoise de la mer des caraïbes, et je réalise tout le chemin parcouru pour arriver jusqu'ici. Je cherche en même temps sur youtube les musiques entendues pendant cette période, celles qui désormais me ramèneront automatiquement au Mexique à chaque fois que je les écouterai. Lorsque les quatre heures payées au cyber arrivent à leur terme, il me faut revenir au présent. C'est presque avec surprise que je redécouvre les murs familiers de cette petite ruelle de Riga qui me ramène vers les rails du tramway et le grand magasin Stockman. L'air s'est refroidi avec la nuit tombante, j'enfonce la chapka sur mes yeux et plonge les mains dans mes poches. Passé les arrêts de bus près du marché central, la rue Gogol se vide et redevient très silencieuse. Ce soir, l'auberge est plutôt calme. Ma voisine dort, et comme d'habitude je vais me coucher à la lumière de ma lampe de poche. 

Je me réveille toute contente, excitée par notre départ. Ca fait quasiment une semaine que je suis à Riga, je suis également heureuse de changer de décor. Je prends ma douche et prépare mon sac Cancun en le chargeant des affaires que je veux prendre pour la semaine. Puis je vais voir Oleg et lui montre les quatre sacoches vélos que je vais laisser à l'auberge. Il m'explique alors qu'un des dortoirs accueille les pensionnaires longue durée, et qu'il a un lit dans ce dortoir. Il en ouvre la porte et me montre, pour me rassurer, que mes sacoches vont rester sur le lit au-dessus du sien. Ce sont des lits superposés par trois. Oleg dort au milieu, et porte mes sacoches sur le dernier lit en haut. Parfait, je vois que je peux partir tranquille !

Je petit déjeune puis leur souhaite à tous une bonne journée et une bonne semaine, et je les quitte pour retrouver papa et maman. Le temps qu'ils soient fin prêts, je vais chercher la voiture et la gare devant l'hôtel. Puis nous chargeons, enlevons nos manteaux et nous installons dans notre carrosse. Et c'est parti !

Evidemment à mon goût il manque un peu de musique poussée à fond, mais c'est tout de même une chouette virée qui commence ! Nous sommes aussi pressés les uns que les autres de découvrir les paysages baltes et de passer les frontières. Maman prend le volant, je m'installe au poste de co-pilote, papa a toute la banquette arrière pour lui tout seul : on est partis !

Nous avons décidé de monter vers Tallin par la route qui longe la Baltique. La Baltique ! J'ai hâte de la voir. Il y a des noms, comme ça, qui font rêver. Je l'imagine gris-argenté et plate comme un miroir. Mais peut-être sera-t-elle plus sombre et menaçante ? Nous devons attraper la E67 qui deviendra ensuite la A1.  En fonction de la circulation, nous comptons nous arrêter pour un café ou le déjeuner à Salagcriva, qui se trouve sur la Baltique.

Et pour rejoindre la E67, nous devons partir dans la même direction qu'hier pour le Musée à ciel ouvert. Repasser sur le pont qui sépare les deux lacs Juglas ezers et Kisezers. D'ailleurs, nous ne sommes qu'au début de la collection de lacs que nous allons voir pendant tout le trajet. Jusqu'à Lilaste, la région en regorge. Après avoir laissé derrière nous la circulation cet les décors citadins, nous entamons un parcours monotne qui ressemble à une grande ligne droite au milieu de la forêt, avec, de temps en temps, des percées dans ce mur végétal pour nous laisser admirer les lacs encadrés de champs de roseaux. La route est souvent très belle, parfois un peu abîmée et cahoteuse, en tout cas pas du tout le bitume disestato qu'on aurait pu craindre. Par contre il va falloir s'habituer aux règles et notamment aux restrictions de vitesse et de voies. "Mais on n'est toujours pas sur l'autoroute ? - interroge papa depuis l'arrière de la voiture. "On la prend où, alors, l'autoroute ??" Et bien si, on y est sur l'autoroute lettone. Et apparemment ici une autoroute ne comporte qu'une seule voie dans chaque sens de circulation, et la vitesse est limitée à 90 kmh les trois quarts du temps. Quelque fois on nous lâche la bride, on peut monter à 100, voire 110... Bon. A ce rythme-là, en effet, il nous faudra bien la journée pour faire 300 kilomètres...

Après avoir prêté une attention extrême aux panneaux et aux moindres bifurcations, nous finissons par nous tranquiliser une fois engagés sur la bonne route, celle qui nous mènera à Tallin en passant par Pänu. Autre curiosité de la circulation sur ces routes baltes : sur les autoroutes, on peut faire demi-tour ! Et pour se faire, ieux vaut avoir anticipé ses choix. Car le demi-tour s'exécute bien évidemment sur la voie de gauche, quand il y en a deux. Une flèche et un traçage au sol indique, sans avertissement préalable, que c'est ici et maintenant qu'il faut tout à coup mettre son clignotant, freiner et tourner à 180 degrés. Bigre, mais comment peut-on faire ça sans provoquer un accident ? Etrange... Dans ce cas-là, le GPS aide au moins à savoir qu'on ne va pas tarder à devoir ralentir et prévenir les suiveurs de la manoeuvre pour qu'ils se mettent au diapason et évitent la collision. 

Une fois que nous nous sommes éloignés de l'agglomération, nous avons la sensation bizarre d'être plongés sans transition en rase campagne. Enfin en rase forêt, puisque la route se fraie un chemin à travers les bouleaux et les pins. Plus une habitation en vue. 

Les bords de route sont nettoyés et rasés sur près de trois mètres avant l'oré de la forêt. Est-ce pour inciter les animaux à ne pas traverser ? Et pour éviter que les intempéries envoient des branches sur la route ? Nous remarquons rapidement que la large bande d'arrêt d'urgence fait aussi fonction de voie de garage pour permettre les dépassements. Ici, lorsqu'on aperçoit dans son rétroviseur qu'une voiture est sur lepoint de nous rattraper, on se range à cheval ou carrément sur la bande d'arrêt d'urgence pour céder la place au poursuivant. Tout cela se fait visiblement de manière fluide et sans coups de klaxon intempestifs. Il nous faudra avoir cette habitude en tête pour ne pas créer de bouchon derrière nous et conduire à la lettone. Même les camions se rangent sur le côté, et c'est tant mieux car il y en a tout de même pas mal sur ces voies uniques qui ressemblent plus à des nationales qu'à des autoroutes. A chaque croisement important, la signalisation nous oblige à lever le pied et repasser à 70, 60 ou 50 kmh. Bref, on ne s'ennuie pas au volant, il faut être très vigilant. 

Aucun doute en tout cas sur une chose : la Lettonie est très plate ! On a l'impression d'avaler les hectares de forêt. Je crois que nous sommes tous les trois aussi heureux de traverser ces champs de bouleaux tout particulièrement. Je pense qu'on en rêvait aussi les uns que les autres. J'apprends que le bouleau est l'arbre préféré de maman, et le fait est qu'il a du charme, ce bel arbre au tronc blanc tout fin et aux branches élancées vers le ciel. Le printemps pointe à peine le bout du nez. S'il a déjà secoué la neige des branches, il laisse pour l'instant les arbres nus exposant leurs branches au soleil en attendant de voir poindre les premiers bourgeons. "Tu auras peut-être la chance de les voir avec des feuilles quand tu pédaleras vers la Russie dans quelques jours"  me dit maman. Oui c'est vrai qu'il y a de grandes chances pour que j'assiste au réveil de la nature après cette saison d'hibernation. N'empêche, comme j'aimerais voir un jour ces forêts sous la neige... En tout cas je suis vraiment sous le charme du paysage et de ces parterres de mousses et de feuilles mortes autour des arbres. J'éprouve un plaisir anticipé à l'idée de planter ma tente bientôt dans ce décor. Cette forêt a en effet quelque chose de rassurant. Elle n'est pas trop dense et ne favorisera donc pas mes fantasmes sur l'éventuelle attaque de bêtes fauves. Elle laisse pénétrer la clarté du jour. Le sol ne me semble pas trop dur mais au contraire accueillant pour une tente et un matelas autogonflant. Ah, vivement....

Enfin tout de même, un détail modère mon enthousiasme : très souvent entre l'orée de la forêt et la route, de grandes flaques marécageuses recouvrent le sol et noient les racines. Il faudra trouver les rares accès à sec pour s'enfoncer dans les sous-bois à l'abri des regards. Et puis qui dit marécage dit salubrité douteuse, et moustiques; Sans compter la menace des tiques. Bon, accueillante jusqu'à un certain point, cette forêt... Mais décidemment je suis excitée à 'idée de camper ici, en Lettonie, et plus tard en Russie. J'ai toujours autant de mal à y croire et je continue à croiser les doigts pour que tout se passe bien pour l'obtention de mon visa. Je serais tellement déçue de ne pas pouvoir aller en Russie... Je m'y prépare cependant, car on ne sait jamais...

Après avoir quitté la A2, la A1 nous emmène vers la Baltique, que nous commençons à longer à partir de Lilaste. Je pensais qu'on verrait la mer depuis la route, mais une barrière de végétation nous en empêche. La forêt longe les plages et les dunes quasiment tout du long. Il nous faudra vraiment attendre d'arriver à Salacgriva pour la voir de très près. Je crois cependant que nous aurions pu aller la saluer plus tôt, si nous nous étions engagés dans l'un de ces petits chemins moitié asphaltés moitié terreux qui, de temps en temps, quittaient la route pour s'enfoncer dans la forêt en direction de l'ouest. Mais nous ne parlons pas letton, et les rares panneaux ne nous disaient pas grand chose. Ces embranchements ressemblaient plus à des sentiers forestiers qu'à des accès au villes, villages et plages du coin. Pourtant, je découvrira plus tard que la plupart de ces petites routes menaient effectivement à la population et à la mer. 

Tout le long de la route, mais masqués par cette barrière sylvestre, les villages se succèdent et se relient entre eux par un autre réseau de routes et chemins de terre. Il y a donc bien des gens qui peuplent ces régions, mais ils sont protégés du bruit et de la gêne de la circulation des voies rapides. Pourtant c'est presque si nous avons eu le sentiment de traverser une zone désertique, vu des fenêtres de la voiture. 

 

Nous attendrons donc sagement d'être à l'approche de Salacgriva pour nous arrêter alors qu'une percée dans les arbres laisse la place à un parking de terre accédant à de petites dunes et, à environ trois cents mètres, la plage. Et la voilà, la Baltique bleu argenté, toute calme et plate, enfin, en fond de décor. Nous n'allons pas mettre un pied dans l'eau mais tout de même la vue concrétise un peu plus cette réalité : nous sommes en Lettonie !

Les maisons qui apparaissent sur le bord de la route à l'approche de la petite agglomération de Salacgriva sont la plupart du temps en bois. J'imaginais cette ville, avec sa position sur le littoral, comme une destination touristique et donc avec un certain charme. Erreur. La ville est assez quelconque, suite de maisons proprettes ou un peu vieillottes. Depuis la route qui traverse le village, des chemins de terre partagent les blocs de résidences délimitées par des palissades en bois. Nous cherchons le centre ville mais finissons dans une impasse au bord de la mer. Un petit phare rouge et blanc se dresse au bout du parking, à quelques mètres d'une boutique de bricolage qui propose également des gateaux secs et des boissons chaudes. Nous fermons nos manteaux et rabattons nos capuches pour nous approcher du bord de la jetée dans le froid. Un pauvre bateau rouge portant deux containers mouille en face, à l'entrée de ce tout petit port industriel. Le ciel bleu et le grand soleil qui brille rendent ce décor sans vie presque chaleureux. De quoi vivent les gens ici ? Qu'est-ce qui leur donne le sourire ? Certainement pas la vue sur la mer, cette grande étendue gris-bleue, plate, qui part se perdre là-bas dans un froid glacial. Je suppose qu'en été, lorsqu'il fait chaud et qu'on peut se promener bras nus, les balades au bord de l'eau doivent tout de même être agréable et rendre la vie douce. Mais franchement, entre le désert de forêt et la mer endormie sur ces grandes plages lisses, cet endroit me paraît un peu tristoune pour y vivre toute l'année.. 

Papa et maman remarquent une boite aux lettres sur le mur de la boutique. Papa va chercher dans la voiture les deux cartes qu'ils ont écrites et les glisse dans la boîte. Nous décidons d'essayer de trouver le centre ville et de trouver un café, histoire de faire une petite pause. Mais à partir du moment où nous quittons ce parking au bord de la mer, papa se met à angoisser : cette boite aux lettres, quelles preuves avons-nous qu'elle est bien en fonction ?? Aucun horaire de levée n'était visible. Est-ce que les cartes arriveront un jour à destination ?... Rien n'est moins sûr.

Nous tournons un peu dans les rues désertes, avant de nous garer derrière un genre de bâtiment public fermé, qui dispose d'une petite cafétéria ouverte. L'occasion de boire un café et un thé et de faire un tour aux toilettes, avant de reprendre notre road trip le long de la mer, en direction de la frontière, qui ne se trouve plus qu'à une quinzaine de kilomètres d'ici. Nous remontons dans la voiture avec la même excitation partagée à l'idée de passer la frontière dans quelques instants. Maman conduit, papa et moi tenons nos appareils photo prêts pour immortaliser notre entrée en Estonie. Qu'ils sont petits, tout de même, ces pays baltes ! Deux cents kilomètres suffisent pour passer une frontière. La route ne longe la mer qu'à distance, nous retrouvons donc la forêt, qui masque les petits villages cachés derrière les bouleaux et les pins. De temps en temps, sur la droite, les champs réapparaissent et découvrent quelques fermes de bois. Les yeux rivés au bout de la ligne droite que l'autoroute à une voie trace au milieu des arbres, je guette l'apparition du poste frontière. Quelques kilomètres plus loin, le paysage se dégage et la route s'élargit. Des pilones en béton gris se dressent bientôt de part et d'autre du bitume. Nous passons entre les poteaux rouillés et les petits baraquements délabrés, cherchant le drapeau estonien que nous nous attendons à apercevoir un peu plus loin. Mais nous ne verrons qu'un panneau européen annonçant l'entrée en Estonie. C'est tout. Bienvenue en Estonie. Pas bien folichon tout ça. Mais le soleil nous accompagne et la journée est belle. Le simple fait d'être entrés dans un nouveau pays nous fait passer en mode "découverte" accru. Nous ouvrons grand les yeux, comme si dès la frontière nous aurions pu nous attendre à des changements notoires. Mais non. Sur les kilomètres suivants, la forêt reste la même et la campagne semble tout aussi désolée. 

Nous faisons une nouvelle pause pour trouver des toilettes, et nous arrêtons sur le parking d'un petit centre commercial. A l'intérieur de la galerie, maman tombe sur une mercerie : le rêve ! Alors qu'avec papa nous restons dehors pour fumer une cigarette, maman revient nous chercher pour nous demander de revenir avec elle et un appareil photo : c'est tellement inattendu de trouver une mercerie ici, au milieu de rien - alors qu'elle n'en a pas vu à Riga -, et en plus avec une vendeuse sympa et souriante ! Ca mérite bien une photo ! 

Plus nous avançons en territoire estonien, plus je trouve les maisons colorées, en tout cas plus qu'en Lettonie. Il est pas loin de 13h lorsque nous arrivons à Pärnu, la faim au ventre. La ville est assez grande, et nous accueille sous un grand beau soleil radieux. En nous dirigeant vers le centre ville nous découvrons de petites rues toutes mignonnes et une belle église orthodoxe aux coupoles gris-vert.

Nous garons la voiture et cherchons un resto pour déjeuner. 

 

Pendant que les parents lisent les menus, je vais jeter un oeil à la rue piétonne qui se trouve juste à côté des restaurants devant lesquels nous avons laissé la voiture. Les décorations ciselées des fenêtres et des toitures, les couleurs passées des façades donnent à l'ensemble une teinte assez kitch. Décidemment dans les pays baltes on a l'impression de remonter le temps. Une statue honore la mémoire de Johann Voldemar Jannsen, poète et journaliste, figure centrale du mouvement de renaissance estonien.

Nous entrons dans un restaurant à la décoration assez rétro. Ca sent bon, et le menu propose des plats typiques. Nous savourons nos plats dans une ambiance chaleureuse et bon enfant, avant de repartir après une petite promenade digestive dans le quartier. Il nous faut encore deux bonnes heures et demi pour arriver à Tallinn, sur le même genre de routes à voie unique et à maxi 110 kmh qu'en Lettonie. Et avec les mêmes reliefs : la forêt à perte de vue, interrompue de temps en temps par des perspectives sur des zones d'agriculture tout aussi plates et peu habitées. Une ferme par-ci, un tracteur par-là. Les estoniens aiment les doublements de voyelle. La plupart des noms de ville que nous apercevons sur la route comporte un doublement de voyelle : Räägu, Jaagupi, Rääski, Päärdu, etc. 

Enfin la capitale estonienne est annoncée. Grâce au GPS, nous parvenons à entrer dans le vieux centre historique, cerné de remparts. Plus exactement, nous ratons le virage menant à la porte de pierres donnant accès à une petite rue pavée montant vers le coeur de la ville. Forcément, les marquages au sol sont visibles au dernier moment, alors emportés par la circulation nous visualisons trop tard la sortie que nous devions prendre. Nous devons faire demi tour plus loin, pour entrer dans la rue Olevimägi. La rue longe un parking et tourne plusieurs fois en montant. Encore quelques mètres, et nous arrivons devant notre hôtel. Nous nous garons le long du trottoir et sortons les valises. En poussant la porte, nous découvrons  un hall baroque. La moquette et les tapisseries sur les murs en pierres de taille me donnent l'impression d'entrer dans un petit chateau. Mes parents ont certainement l'habitude, depuis quelques années, de ce standing, mais moi pas du tout. Comme ça fait du bien, un peu de confort ! Et je ne suis pas au bout de mes surprises. Certes, ma chambre n'a pas de fenêtre donnant sur l'extérieur, mais le lit est tout douillet, la chambre est grande et je vais me payer le luxe d'un bain dans la grande baignoire !

Ca tombe très bien, car depuis trois jours je suis de plus en plus enrhumée. Une vraie cata, je passe mon temps avec un mouchoir à la main. Ce qui n'est pas étonnant, vu le passage brutal de l'été mexicain au printemps frais letton. Ca va durer encore une semaine, ce rhume carabiné. Heureusement je n'attraperai tout de même pas la grippe. 

La mauvaise nouvelle à la réception, c'est qu'il faut aller garer la voiture ailleurs, car l'hôtel n'a pas de parking gardé. Nous prenons tous les bagages et je prends le volant pour chercher une place. Je galère un peu, les rues sont super étroites. Je finis par trouver une place dans une des rues principales. Etonnant. Ai-je le droit de me garer ici ? Je descends et cherche un parcmètre. Mais lorsque je le trouve, je m'aperçois qu'on ne peux payer qu'avec son téléphone. Formidable. J'aperçois une voiture de police et vais me renseigner. Pas de bol, il faut que je sorte de la vieille ville. Bon. C'est parti pour un tour d'exploration. Finalement je trouverai un parking mais je devrais revenir à la réception pour trouver un paquet de pièces de 2 euros à glisser dans la fente du parcmètre pour 24 heures. Pratique ! 

Lorsque je reviens, mes parents sont contents de me voir. Mes péripéties ont duré un long moment. Nous nous habillons chaudement et sortons nous promener dans la vieille ville. Nous n'irons pas bien loin pour ce soir, le froid et la fatigue de la route nous ont pris pas mal d'énergie, mais à peine sortis nous nous extasions devant tout ce qui nous entoure. Les guides disent que Tallinn est la plus belles des trois capitales baltes. Et le fait est que le centre est bien mieux conservé, et du coup globalement beaucoup plus joli. Ici la gloire des anciennes villes hanséatiques est encore palpable. Les demeurres des marchands rivalisent de charme. Les rayons du soleil couchant illuminent les façades de pierres et nous éblouissent. Côté décoration, on trouve un peu tous les styles et toutes les couleurs. En approchant de la place de l'hôtel de ville, on a l'impression de se promener au Moyen-âge. Ici aussi nous avons de quoi faire avec les boutiques d'ambre ou de laine. A Riga nous avons trouvé des boucles d'oreille en ambre pour Isa, et des petits chaussons de laine pour bébé Flo. Maintenant mes parents se sont mis en tête de me trouver une bague avec de l'ambre. Au croisement de deux petites ruelles, papa s'approche d'une petite échoppe encore ouverte. Il a repéré ce qu'il cherche : la gamme complète des euros des pays baltes. Nous entrons. Pendant qu'il regarde les différentes enveloppes pour vérifier les contenus, je trouve un écusson du drapeau estonien. Papa demande un renseignement à la vendeuse, en anglais. Elle lui répond sur un ton très désagréable, dans le même genre hautain que la vieille dame de la cathédrale de Riga. Mon père réitère sa question. Et l'autre l'envoie presque balader. Oula ! J'ai comme une envie furieuse de lui envoyer son écusson dans la tronche. Heureusement qu'elle est planquée derrière une vitrine, cette andouille. Nous reposons moi l'écusson et lui l'enveloppe, et sortons de sa boutique vraiment étonnés par le manque d'amabilité des commerçants baltes. Non mais qu'est-ce qu'il leur prend ? On dirait vraiment qu'on les dérange quand on leur adresse la parole. 

Quelques minutes plus tard, la beauté de la place de l'hôtel de ville nous fait oublier cette contrariété. C'est juste magnifique. Des employés des différents restaurants qui bordent la place, et du Musée de la torture, abordent les touristes, vêtus d'habits du Moyen-âge. Beaucoup piétinent dans le froid, attendant le badaud. Les tables sont dressées en terrasse, on se demande bien pour qui vu la fraicheur de l'air. 

Nous nous promenons encore un peu, puis cherchons un restaurant alors que la nuit tombe. Après un dîner une fois de plus excellent (qu'est-ce que mon régime alimentaire a changé depuis l'arrivée de mes parents !), nous rentrons profiter de la soirée dans notre hôtel bien chaud et douillet. L'hôtel dispose d'un restaurant. En sortant, plus tôt dans l'après-midu, nous avons pensé y dîner, mais son accès est beaucoup trop casse-cou pour mes parents ! Depuis le trottoir, un escalier descend, très raide, quelques mètres plus bas. Même moi j'aurais dû me tenir à la rampe pour ne pas arriver trop vite en bas. Dommage, car l'endroit semblait accueillant. Plusieurs boutiques et restaurants sont conçus sur ce modèle, disparaissant dans les sous-sols de la ville, accessibles uniquement par des escaliers pour trompe-la-mort.

Nous partageons un petit moment ensemble, tous les trois, dans la chambre de mes parents, discutant de notre programme du lendemain et de la route à prendre pour nous rendre à Vilnius ensuite. Puis je les embrasse et leur souhaite une bonne nuit, et je descends prendre un bon bain dans ma grande baignoire. Dans l'eau chaude jusqu'au cou, je pense au fait que dans quelques mois, trois au grand maximum - autant dire demain ! - je serai dans ma baignoire, dans mon appart, à Maisons-Alfort. De retour à la maison. Je dois m'avouer que je ne suis plus si sûre de ne pas vouloir aller au Cap Nord. Pourtant je ne peux pas regretter ma décision de rentrer fin juin maximum. C'est la décision de la raison, et je suis fière de l'avoir prise. Mais mon orgueil me tanne. Mes rêves aussi. Maintenant que je suis plus proche de la fin de mon aventure que du début, je réalise que ce que j'ai vécu pendans ces derniers mois ne correspond pas vraiment à ce que j'avais imaginé. Pendant des années je me suis rêvée roulant sur les routes d'Amérique du sud, partant à la conquête du Macchu Picchu, plantant la tente en Norvège sur la route du Cap nord, ... Et voilà que je rentre bientôt, et qu'ai-je fait ? Deux mois en Espagne, trois mois et demi au Maroc, un passage aux Etats-Unis et au Canada, près de quatre mois et demi au Mexique, une traversée éclaire du Guatemala et du Bélize, et un bref saut de puce dans les pays de l'Est et du Nord de l'Europe. Alors, c'était ça, mon grand voyage ?... Mon orgueil aimerait pouvoir se targuer, à mon retour, d'avoir traversé des contrées sauvages et roulé jusqu'au bout du monde. On en est bien loin. Et puis comme toujours quand ce genre de pensées me perturbent, je me rappelle à l'ordre : qu'est-ce que j'ai à prouver aux autres, au fait ? A qui suis-je en train de vouloir raconter des histoires ? C'est ridicule. J'ai aimé chaque instant de ce voyage, même les moments galères, même les jours où je me suis fâchée, ceux où j'ai eu des coups de blues, ceux où j'ai pesté. Bon oui bien sûr j'aurais aimé être une super héroïne et avoir tout vu et tout vécu. C'est pas le cas, mais j'ai été incroyablement heureuse, et j'ai bien l'intention de l'être jusqu'au dernier jour. C'était bien ça, l'objectif. Plus que les sites à voir, c'est la vie en chemin qui me faisait rêver.

Et puis, comme je l'ai réalisé quelques mois plus tôt, ce voyage peut être un premier pas. Une première aventure. Si j'en ai envie, je pourrai partir à nouveau. Ca n'est plus un rêve impossible. Seulement voilà. Dans ma tête, à ce moment-là, je sens bien que je suis "en mode retour". Un retour choisi. Pour des raisons pragmatiques plutôt que par lassitude d'être en route, certes. Mais je dois reconnaître que ça me va, d'arrêter là. La perspective de rentrer à la maison me rend joyeuse. Je ne reviens pas à reculons, au contraire. J'aspire à retrouver les gens que j'aime et ma vie sociale avec mes repères, mes habitudes. Et puis j'aspire aussi à retrouver du travail, une activité professionnelle qui m'enthousiasme, qui m'épanouisse. Et, plus étonnant encore pour qui me connait bien, j'aspire à avoir mon chez-moi. Envie de me poser. D'avoir une vie normale. Et c'est ça qui me perturbe, en fait, derrière toutes ces questions à la noix sur mon voyage. 

Ca me ressemble si peu, cette envie de poser mes valises. C'est curieux. Je n'aurais jamais cru être si... conventionnelle, au fond. C'est bien moi, là, la pseudo grande voyageuse, celle qui rêvait de voir les quatre coins du globe, qui me retrouve avec un sourire en banane à l'idée de rentrer dans mon petit HLM de banlieue, de refaire mon CV au propre pour trouver un job conventionnel et dans la foulée me lancer dans l'achat d'un appart dans lequel j'emménagerais si possible avec l'âme soeur ? Oula... gros changement... 

Est-ce vraiment la nouvelle moi ? On dirait bien que oui, et ça me va bien, au fond. Mais il faut avouer qu'à mes yeux c'est nettement moins classe que d'être celle qui ne se sentait pas faite pour la vie normale. Et si désormais j'ai envie de me poser, est-ce que ça veut dire que ce voyage était ma seule et dernière occasion de vivre une grande aventure de vie sur la route ? Est-ce que j'aurai encore l'occasion, plus tard, de faire un périple en Amérique du sud, et de pédaler jusqu'au Cap Nord ? Combien d'années faudra-t-il que j'économise pour ça ? En aurai-je encore envie plus tard ou bien les années à venir me donneront-elles plutôt le désir de m'ancrer quelque part et de ne plus trop crapahuter ? Après tout, en prenant de l'âge, on n'est pas censés devenir de plus en plus sédentaire ?... 

Je sors du bain et me secoue les puces. Allez, assez de réflexions à la mords-moi le noeud, s'il ne me reste plus que quelques semaines à vivre sur la route, je veux retrouver la plénitude de mes premiers jours de voyage, je veux savourer. Demain est un autre jour. Et puis si j'ai certaines envies aujourd'hui, peut-être que ces envies seront différentes une fois de retour dans mon appart de banlieue parisienne. Alors stop aux projections. Ce qui m'a rendue heureuse jusqu'ici c'est de ivre le moment présent sans trop me perdre en conjecture sur demain ni nostalgie sur hier. Gardons le cap, ce voyage n'est pas fini.

Je retrouve mes parents au petit déjeuner le lendemain matin. Et puis comme convenu nous nous séparons pour vadrouiller dans la ville selon nos envies. Mes parents me donnent quartier libre, inquiets de trop me priver de ma liberté. Après tout ils n'ont pas tort, c'est vrai que ça me fera du bien de partir à l'aventure à mon rythme. On prévoit de se retrouver pour 16h. Avant de me promener, je pars remettre des sous dans le parcmètre. Le réceptionniste nous a parlé d'un parking vraiment pas cher à la sortie de la vieille ville. J'ai l'intention de déplacer la voiture. Je retrouve celle-ci couverte de givre. Le fait est qu'il fait très roid ce matin. Je démarre et tourne bien vingt minutes avant de trouver enfin, à quinze minutes de marche de la vieille ville, le fameux parking à 4 euros la journée. Trois fois moins cher que l'autre. Je reviens par la rue Pikk et tombe sur mes parents au moment où ils s'apprêtent à entrer dans une église que je comptais visiter également. Nous la visiterons donc ensemble, détaillant les écussons des chevaliers suspendus aux piliers de l'église.  C'est tout de même fascinant de constater les signes de la présence allemande ici dans les pays baltes. Ces terres ont tour à tour été sous domination russe, allemande, danoise ou suédoise.  Alors qu'on s'attend, en partant en voyage, à être dépaysé, voilà qu'on trouve des détails familiers dans l'architecture. Même sensation étrange ressentie à New York et Montréal, où l'on retrouve parfois comme un parfum d'Amsterdam, ou encore en Amérique centrale, où les espagnols ont laissé leur empreinte. Après les siècles de conquêtes et de grandes invasions, voici l'ère du chacun chez soi, repli identitaire, "ici c'est chez nous", "les étrangers dehors". Au fait, qui sont les étrangers ? Qui peut prétendre être vraiment chez lui, plus que quelqu'un d'autre ? Voilà des notions qui me paraissent bien abstraites, et certainement pas figées dans le temps. 

En sortant de l'église, je quitte mes parents et pars explorer Tallinn de mon côté. Je me balade dans les petites rues par un grand soleil radieux. La ville est mignonne comme tout. Les remparts sont impressionnants. Le château domine la vieille ville. Je passe devant les trois soeurs, anciennes maisons de marchands désormais transformées en hôtels pour touristes fortunés. Le passage Sainte Catherine est bien sûr un incontournable des parcours touristiques avec son atmosphère médiévale et ses petites boutiques et ses restos pleins de charme. Mes pas me conduisent aux portes des remparts, à la jonction avec la ville moderne. Je m'attarde un peu sur les étals d'un petit marché exposant de nombreux vêtements brodés. Ca pourrait plaire à maman. J'avoue que si j'avais des sous et de la place dans mes bagages je me laisserais bien tentée par les gros pulls de laine aux couleurs chatoyantes.  De nombreux vendeurs sont habillés à la mode du Moyen âge. Je plains tout de même ceux qui doivent rester dehors car vraiment le froid est saisissant.

Les femmes guettent mon regard et s'avancent pour me faire la réclame des châles, pulls, jupes, bonnets et chaussettes de laine. Je tente de faire un peu la conversation en russe, frustrée de me sentir peu à l'aise dans cette langue que j'aimerais tant pouvoir maîtriser à nouveau couramment. Peut-être aurons-nous l'occasion de revenir par ici avec mes parents, Maman pourrait être intéressée par toutes ces jolies choses brodées. 

 

Je décide de rester pour l'instant sur les boulevards extérieurs, à peu près sûre que mes parents n'iront pas explorer ces coins. Au bout du marché, une belle église se dresse avec ses murs tout blancs probablement rénovés récemment, son toit de tuiles rouges et sa coupole gris-vert. Toute mignonne, avec de grosses pierres de taille à l'entrée. Je m'approche du panneau contenant des explications historiques et découvre qu'il s'agit d'ue église adventiste. Et bien, ça fait longtemps que je n'en avais pas vue d'aussi jolies...

Je suis tentée d'aller voir la mer Baltique. Des panneaux de signalisation indiquent les lieux d'embarquement pour Helsinki, Saint Petersbourg, Stockholm.

La Russie, la Finlande et la Suède à portée de mains... J'ai tellement hâte d'y être, ça fait si longtemps que j'en rêve... Bon, les choses étant ce qu'elles sont, je ferai un passage éclair dans ces pays et n'en verrai qu'une infime partie. Mais c'est déjà tout un monde qui s'offre à moi malgré tout.  

 

Je traverse l'avenue qui longe la vieille ville et m'engage dans une large artère bordée de magasins modernes, supermarchés, banques, au-dessus desquels s'élèvent de grands hôtels. Je limiterai mon immersion dans la Tallinn moderne à une petite heure, remontant l'avenue juste pour voir à quoi ça ressemble. J'entre simplement dans un grand centre commercial dans l'espoir d'y trouver des toilettes. Ca me permet de me réchauffer quelques minutes et de tomber sur un immense magasin LEGO. Mes yeux brillent. Ah si j'étais riche, et si je pouvais rapporter des valises de souvenirs, je ferais une rafle dans le magasin ! Je reste une indéfectible nostalgique des LEGO et Playmobil... Cependant, comme je ne peux pas me faire plaisir, je ne m'attarde pas et sors du magasin pour retourner vers la vieille ville.   

Je monte vers le château de Toompea et vais me régaler de la vue panoramique depuis les hauteurs  de la forteresse. Le ciel est sublime, les toitures rouges ont beaucoup de charme, avec la mer en toile de fond. En face du parlement estonien, la cathédrale Alexandre Nevsky tend ses coupoles grises vers le soleil. Ses façades blanches ornées de briques rouges toutes propres se détachent nettement sur la place pavée. Je sors de mon sac un foulard pour recouvrir mes cheveux et je monte les escaliers conduisant à l'intérieur de la cathédrale. Dans deux alcôves opposées, des popes célèbrent chacun une messe pour deux petits groupes de fidèles. Est-ce que ce sont des messes familiales ? Quel est le thème de chacune des célébration ? Je n'en ai pas la moindre idée.

C'est étonnant, cette possibilité de proposer plusieurs messes ou bénédictions dans le même lieux de culte. D'autres fidèles s'approchent des icônes réparties dans le choeur, se signent plusieurs fois et se penchent pour embrasser le verre qui protège les images sacrées. Personne n'a l'air d'hésiter à l'idée de poser ses lèvres là où des dizaines d'autres lèvres ont laissé leur empreinte auparavant. Des membres de la congrétation sont chargés de nettoyer régulièrement les icônes, mais tout de même, je ne serais pas très enthousiaste si je devais embrasser à mon tour les peintures des saints... 

Je m'approche des différentes alcôves et observe les pratiquants, avant de quitter la cathédrale et de retrouver l'atmosphère bien fraiche de cette belle journée de printemps.

De jeunes mouettes au duvet moucheté se dorent la pilule au soleil sur les pierres grises des remparts, avec vue imprenable sur la Baltique. A l'intérieur de l'enceinte de la forteresse, les petites rues étroites et pavées se faufilent entre les belles maisons, les boutiques pour touristes fortunés désireux de rapporter de beaux vêtements en laine ou des bijoux en ambre. De drôles de poupées en chiffons font le guet à l'entrée des magasins. Je visite la cathédrale, et prends mon temps dans les petites ruelles, avant de passer sous une arche de pierre et de descendre le long escalier escarpé qui rejoint la ville basse.

Sur une petite plateforme qui domine la ville, des statues de moines noires dont le visage est masqué donnent froid dans le dos et font penser à la période sombre de l'inquisition. Ah les religions et leur besoin d'effrayer le quidam, de contrôler l'esprit, de briser les volontés individuelles... Toujours épouvanter, écraser, dominer. Plus le temps passe et moins je supporte ces témoignages de la volonté de manipulation des masses.

 

Les touristes s'accrochent aux rambardes pour escalader l'escalier vraiment casse-cou qui monte à la forteresse. Aux pieds de la colline, des panneaux d'informations touristiquent commémorent l'extermination de la communauté juive de Tallinn pendant la seconde guerre mondiale. 

Je retrouve mes parents et nous passons le reste de la journée ensemble. Une fois de plus, nous trouverons un bon petit restaurant le soir, après avoir décliné les propositions des jeunes employés chargés d'aller à la chasse au client.

Ca fait quelques années maintenant que nous n'avons plus l'habitude de partir en vacances ensemble, avec mes parents. En dehors du contexte exceptionnel de nos retrouvailles ici, dans les pays baltes, c'est vraiment agréable de partager ces moments de détente et de découverte tous les trois. La dernière fois que je suis partie avec eux remonte à bientôt quatre ans. C'était en Autriche, et j'avais profité du calme et de la beauté des paysages pour rédiger mon mémoire pour le Master 2 que je terminais alors. Etant donné mon goût pour le voyage et mon envie de toujours aller voir des coins que je ne connais pas encore, les occasions se font rares de vadrouiller ensemble, après l'avoir tellement fait par le passé. Je savoure leur présence, le plaisir de les voir détendus et heureux. J'ai quelques remords par rapport au temps : il aurait sans doute été plus agréable pour eux de se balader avec des températures plus clémentes. Bon, ça s'est présenté comme ça, ni eux ni moi n'avons trop réalisé dans quoi nous nous embarquions. Ca ne gâchera pas notre joie pour autant, par contre on a eu de la chance qu'aucun des deux ne tombe malade. Quant à moi, mon rhume persiste et durera encore une bonne semaine.

J'avais déjeuner d'un morceau de pizza vite englouti dans la partie ville nouvelle, le dîner sera l'occasion de passer un moment convivial bien au chaud pour déguster de nouvelles saveurs, dont - pour moi - des maki slaves avec oeufs de lompe et thon. De retour dans notre hôtel, la soirée se termine en discussions tranquilles allongés sur le lit, à propos de ce que nous avons vu et du programme des jours à venir. Cette ambiance cocon familial est vraiment chouette. 

Le lendemain je sortirai à nouveau de la vieille ville pour aller voir la mer et le château de Kadriorg, anciennement château de Catharinenthal, dont la construction fut ordonnée par Pierre le Grand. Je ne peux pas encore m'en rendre compte, mais ce château est tout à fait dans le style des constructions entreprises par Pierre, avec colonnades, grandes fenêtres, jardins et fontaines tout autour. Il fait encore très froid ce jour-là, je pars avec ma chapka bien enfoncée sur la tête et toutes mes épaisseurs de vêtement sur le dos. Une longue promenade me conduit hors les murs de la vieille ville puis vers les anciens entrepôts du port de Tallinn, désormais transformés en grands magasins de meubles, vêtements, alcools, objets pour la maison ou spécialités gastronomiques des pays baltes mais aussi de Suède et Finlande. Je ne m'y aventure pas, peu encline à faire du shopping. Je continue le long de l'avenue Narva Maantee, jusqu'à ce qu'apparaissent sur ma gauche, à moins de cent mètres, la mer Baltique, d'une belle couleur bleue toute calme et plate.

Cette vision me gonfle d'émotion. Voilà, c'est idiot, mais le simple fait de me savoir au bord de la Baltique m'émeut. Je passe devant une grande statue d'ange, mémorial russe érigé en souvenir du nauvrage du cuirassé La Sirène qui fit naufrage en 1893, entraînant la mort de 177 marins. Au bord de la mer, quelques personnes marchent à un rythme soutenu ou font leur jogging sur une terre tout juste dégelée. Les arbres nus pointent leurs bourgeons vers le soleil. Je m'approche de l'eau mais ne tente pas d'y mettre un pied, je suis bien trop frileuse pour ça ! Contempler la Baltique me suffit, alors que j'en connais au moins une qui aurait - juste pour le fun - retiré ses chaussures pour pouvoir dire "j'ai baigné mes pieds dans la Baltique". 

Le bord de mer n'est pas spécialement aménagé ici, il ne s'agit pas d'une plage mais d'une promenade, bordée de gros rochers. 

Je traverse à nouveau le parc et marche sur l'herbe encore couchée par la fonte des neiges. Parvenue sur Narva Maantee, je rebrousse chemin jusqu'à la petite rue perpendiculaire grimpant vers l'entrée du parc du château. Ce parc me semble immense, je n'en ferai pas tout le tour. Il a l'air très fréquenté par les jeunes, qui viennent s'asseoir sur les bancs et au bord des fontaines et du bassin artificiel pour discuter ou pique-niquer. Un joli petit kiosque trône au milieu du bassin, comme on en trouve beaucoup dans les jardins royaux. Je ne visite pas le château - qui abrite désormais une collection de peintures, mais je me promène un moment dans le parc et fais le tour du monument. En prenant le chemin du retour, je passe par la voie du tram dans le quartier de Kadriorg qui a beaucoup de charme. Ses maisons en bois s'élèvent les unes à côté des autres, entourées de jolis jardins. J'aime l'atmosphère paisible de ce quartier, ça sent le bois et la végétation, les couleurs sont éclatantes au soleil.

Pour rentrer à l'hôtel par la vieille ville, je me perds à nouveau dans les petites ruelles qui longent les murailles. Je tombe par hasard sur la boutique d'un antiquaire. Par la vitrine, je découvre un portrait de Serge Gainsbourg et Jane Birkin, dans leurs jeunes années. Sont-ils passés par Tallinn un jour ?... 

Notre dernier dîner avec les parents aura lieu dans un restaurant qui nous accueille avec un énorme ours brun en peluche à l'entrée. Vêtu d'une robe et d'un fichu de babouchka, il tient une balalaïka entre ses mains. L'endroit est assez sombre mais bien chaud (ça tombe bien, nous sommes frigorifiés), le décor de bois rend l'atmosphère chaleureuse et le repas est une fois de plus délicieux. Le mur du comptoir est couvert de billets de différents pays. Des bougies posées sur les tables créent une petite ambiance intime. Demain nous nous remettons en route. J'aime ça, cette attente d'un nouveau départ, synonyme de nouvelles surprises, d'horizons et d'ambiance différents. A quoi ressemblera Vilnius ? Nous avons une journée de route devant nous, avec probablement une étape avant d'arriver sur Vilnius. Nous essaierons de nous en approcher au maximum, gardant peut-être 100 kms à faire le lendemain matin. Notre rythme me convient très bien, nous nous contentons des capitales mais au moins nous prenons le temps de les parcourir tranquillement, d'en sentir l'atmosphère. 

Mon grand lit moelleux me rappelle que ce confort est vraiment super agréable, et que je dois veiller à ne pas trop m'y habituer car sur la dernière partie de mon voyage je vais sûrement plus camper que dormir dans de vrais lits. Je compte bien profiter de la forêt pour faire du camping sauvage entre la Lettonie et Moscou, et plus encore en Finlande et en Suède. Même si mon retour en France est pour bientôt, il me reste encore pas mal de nuits sous la tente. J'ai hâte, d'ailleurs, de retrouver ma petite maison de toile. Mais pour l'instant je savoure la douceur des draps et des gros coussins !

Après le petit déjeuner le lendemain matin, je pars chercher la voiture sur le parking extérieur. Il fait un froid de canard là-dedans ! Heureusement le soleil est au rendez-vous et le givre que la nuit a déposé sur le capot de la voiture et le pare-brise se dissipe rapidement. 

Nous chargeons les bagages, et nous installons pour reprendre la route. Direction le sud ! Nous éviterons de repasser par Riga, en prenant par l'intérieur des terres, direction Tartu, plutôt que de longer à nouveau la mer comme à l'aller. Le paysage devrait être toujours aussi plat, mais ça nous changera tout de même un peu. Nous n'échapperons pas au retour dans la banlieue de Riga, mais attraperons vite la route qui descend vers Panevezys. 

Nous nous extirpons de la circulation de la capitale estonienne, et la route s'engage au milieu des champs, puis de la forêt. Nous ne nous lassons pas d'admirer les bouleaux et les pins. De temps en temps des villages surgissent entre les bosquets, ou simplement de petites fermes de bois, peintes en bleu, vert,...

Je mets un peu de musique, c'est tellement agréable lorsqu'on voyage. Et puis j'espère entendre des chansons folkloriques. Ce qui arrive, d'ailleurs, parfois. Certaines sont chouettes, d'autres un peu criardes. J'aime me mettre dans l'ambiance d'un pays en écoutant ses musiques. A l'arrière, papa somnole de temps en temps. Quelques gouttes de pluie finissent par tomber. Maman est au volant. A côté d'elle, l'appareil photo sur les genoux, je guette les petites fermes et tente de prendre des photos au vol. Parfois nous discutons, parfois chacun est plongé dans ses pensées. Nous restons cependant vigilants sur la circulation car la signalisation est vraiment bizarre. 

Une fois de plus, nous guettons l'approche de la frontière. La route est un peu vallonnée, juste ce qu'il faut pour nous donner quelques perspectives sur la forêt environnante. Nous arrivons dans le petit village de Valga, tout en bois, sans trottoir mais avec des accottements de terre. La frontière est au bout du village. Et voilà, nous allons retraverser la lettonie pour nous trouver dans quelques heures à peine dans un nouveau pays, la Lituanie.

C'est vraiment étrange de passer si vite d'un pays à un autre. Non loin de la frontière, maman remarque un cimetierre sur le bord de la route. Nous en verrons plein d'ailleurs, remplis de croix de toutes sortes, essentiellement orthodoxes mais pas uniquement. Des bancs sont disposés devant certaines stèles. Certaines concessions sont entourées de petits murets ou de barrières arrivant à la taille. En tout cas rares sont les cimetierres fermés. La plupart de ceux que nous verrons ensemble ou que je verrai par la suite en Russie sont ouverts ou juste entourés d'une petite haie. Beaucoup de noms sont écrits en russe sur les stèles. 

L'heure de la pause café arrive. Nous guettons les brasseries et stations services un bon moment avant d'apercevoir un panneau de signalisation bleu et blanc arborant enfin la traditionnelle assiette et ses couverts. Nous atterrissons sur le parking de ce qui ressemble à l'entrepôt d'un transporteur routier. Pas très convivial, le resto... D'ailleurs est-ce vraiment un restaurant ?? Rien ne l'indique, même si les panneaux nous ont bien conduits jusqu'ici. Des camions sont garés sur le parking. Nous nous sentons un peu seuls. Pas d'autres clients à l'horizon. Nous hésitons avant de sortir de la voiture, puis nous décidons à affronter la pluie et le froid glacial pour aller voir si les portes de l'entrepôt s'ouvrent. 

Elles s'ouvrent. Le restaurant s'avère être une cantine de routiers. Charmant. Fatalistes, nous nous contentons de cette salle impersonnelle pour nous réchauffer avec un thé et un café. Papa goûte un pirojek, genre de petits pâtés en croûte. Celui-ci est fourré à la viande. Papa ne se régale pas... Bon, et bien il est peu probable que cette adresse figure dans le Lonely Planete des Pays baltes ! Enfin en attendant nous avons pu faire notre pause café ! Nous retraversons le parking lugubre sour la pluie pour retrouver la chaleur et le confort de la voiture. 

Je regarde la forêt avec toujours autant de plaisir, ravie de deviner un sol tendre propice au camping, et des sous-bois suffisamment clairs pour que le regarde porte loin : je sens que j'aurai moins peur de dormir dans ces forêts que dans d'autres endroits plus denses et sombres. J'ai hâte de commencer mon périple sur la route qui me conduira à Moscou ! En admettant que j'obtienne mon visa sans problème, et que je puisse passer sans difficulté la frontière en vélo... Pour l'instant, j'ai toujours des doutes. Je croise les doigts pour que tout se passe bien, et n'ose imaginer qu'on pourrait me refuser mon visa.  

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Le temps reste maussade sur la fin de journée. Nous passons la frontière entre la Lettonie et la Lituanie dans l'indifférence totale des autorités des deux pays. La pluie et la campagne désertique campent le décor tristoune. Je cherche des yeux des différences entre la Lituanie et la Lettonie mais il est difficile d'en trouver dans cette uniformité de paysages forestiers et champêtres qui s'étendent à perte de vue. Je me demande à quoi ressemble ces contrées en plein été. Je ne pense pas qu'elles deviennent d'un coup plus dynamiques. Quelle vie sociale, quelles distractions peuvent motiver les jeunes qui grandissent ici ? La vie associative est-elle aussi développée qu'en France ? Pas évident de se faire une idée, depuis mon poste d'observation dans la voiture. 

En milieu de journée, nous cherchons un endroit pour nous arrêter et déjeuner. Mais rien n'est moins facile dans ce désert de forêt. Finalement nous nous nous garons le long d'un bouiboui sur le bord de la route. C'est une gargotte turque dans laquelle nous devrons commander des assiettes toutes simples avec mélange de boeuf-salade-frites, mais ça fera parfaitement l'affaire. Et puis c'est tellement compliqué de se comprendre, puisque les deux jeunes femmes qui s'affairent derrière le comptoir sont turques et ne parlent ni anglais ni russe, que nous prenons ce qui se présente. Une boisson fraiche puis un café complètent ce repas pris sous l'oeil curieux de jeunes gens venus grignoter un sandwich grec sur la table d'â côté. Au moins, manger nous aura fait du bien. Nous sommes prêts à repartir pour les derniers kilomètres, sous un ciel toujours aussi peu enjoué. 

La pluie nous accompagne jusquà notre arrivée à Panevezys, première ville importante que nous abordons depuis notre entrée en Lituanie. Nous commençons à chercher un hôtel avant d'atteindre le centre ville. Derrière les mouvements de va et vient des essuie-glace, papa repère l'enseigne d'un hôtel. Nous nous garons et entrons rapidement dans le hall pour éviter d'être mouillés. L'endroit n'est pas très convivial, bien que la jeune femme à la réception nous accorde un sourire chaleureux. Une lueur de curiosité dans son regard me donne cependant l'impression que notre présence ici surprend un peu. Pourquoi donc ?...

Papa profite de cet arrêt pour aller faire un tour rapide aux toilettes. Pendant que nous l'attendons, je regarde autour de moi. Les chambres sont à l'étage, sans ascenseurs. Voilà qui ne va pas convenir à mes parents, probablement. Une grande salle impersonnelle au rez-de-chaussée permet visiblement de se restaurer. Mais on dirait une cantine. Je commence à me demander si cet hôtel n'est pas un arrêt de routiers. Nous croisons deux ou trois hommes qui dorment visiblement ici. A priori ce ne sont pas des touristes. Lorsque papa revient, mes parents hésitent puis renoncent à l'idée d'aller jeter un oeil aux chambres de l'étage. Monter les valises là-haut ne les emballent pas. Moi c'est l'ambiance un peu étrange dans laquelle on dénote sans trop savoir pourquoi, qui ne m'emballe pas. Evidemment la barrière de la langue ne permet pas d'entamer la conversation et de se détendre, la réceptionniste parle à peine anglais, nous ne pouvons pas trop communiquer. Nous remercions et faisons demi-tour vers la voiture. 

Je pense qu'aucun de nous trois ne se voyait dormir et dîner ici, au bord de la route, sans rien d'autre à faire que de regarder l'écran de télévision de la salle commune qui diffuse les infos en lituanien. Voilà typiquement le genre d'endroits où j'aurais pu attérir toute seule, et je m'en serais contentée. Mais pour notre soirée à trois, personne n'est emballé. 

Nous remontons dans la voiture et poursuivons jusqu'au centre ville. 

La route traverse un quartier d'immeubles bas et gris entourés d'arbres, avant de filer sur quelques mètres dégagés jusqu'au pont enjambant le fleuve, à l'entrée de la vieille ville. Un panneau indique le Smelyne hôtel. Nous nous garons sous la pluie sur le parking visiteurs et pénétrons dans le vestibule autrement plus chaleureux et d'un meilleur standing que notre premier hôtel en bord d'autoroute. L'endroit accueille des séminaires d'entreprise, d'après ce que je peux supposer en apercevant à travers les vitres des salles de réunion avec tableau et vidéo-projecteurs. J'ai peur que les tarifs soient dissuasifs. Pourtant papa revient bientôt nous dire de monter nos valises dans nos chambres. 

Il en a pris une pour eux et une pour moi. Et quelle chambre ! Chauffage dans la salle de bain, grand lit moelleux, moquette toute douce sous les pieds, décidemment je suis vraiment une princesse depuis que j'ai retrouvé mes parents ! Nous nous donnons un peu de temps pour nous reposer avant de nous retrouver dans le salon restaurant pour dîner. Je lave mes chaussettes et les fais sécher sur les radiateurs allumés, et consulte mes mails sur mon téléphone, allongée sur mon lit, télé allumée. Finalement nous ne sommes pas dans un quartier plus animé que le premier hôtel, mais celui-ci est nettement plus douillet. Par la fenêtre de ma chambre, j'ai vue sur le jardin de la maison voisine, revêtue de lattes de bois vert pâle. Derrière la maison, j'aperçois les tours de la grande église de briques rouges, aux clochers pointus, ressemblant plus à une église catholique qu'orthodoxe. 

Je rejoins mes parents dans le salon, qui dispose d'une terrasse à l'extérieur. A l'exception d'un couple, nous sommes les seuls clients. Nous dînons confortablement installés à une table ronde dans une ambiance cosy, pendant qu'une jeune employee s'ennuie au bar déserté. On a presque l'impression que le personnel attend que nous ayons fini de manger pour fermer et aller dormir. Nous ne tarderons pas, de toute façon, et profiterons de la soirée dans l'intimité de nos chambres respectives. Peu intéressée par les émissions qui passent à la télé, je trouve sur youtube un documentaire sur la campagne napoléonienne en Russie et note que l'empereur a séjourné quelques temps dans le palais de Vilnius que nous nous apprêtons à découvrir demain. 

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